La panique serait-elle la seule raison de l'austérité ?

La panique des investisseurs, puis des hommes politiques, pourrait-elle être la seule raison à l'austérité drastique appliquée en Grèce ou en Espagne? La décrue des écarts de crédits dans les pays périphériques européens après l'intervention de la BCE pourrait le laisser croire, comme tente de le démontrer Michel Santi*, conseiller des banques centrales de pays émergents et fondateur de l'ONG "Finance Watch".
Michel Santi DR

Pourquoi cette politique d'austérité a-t-elle été imposée aux nations européennes périphériques? Est-ce la dégradation des fondamentaux économiques qui l'ont rendue inévitable ? Ou l'austérité n'est-elle que la résultante de la panique ayant saisi les marchés qui, à son tour, a tétanisé les dirigeants politiques ? A cet égard, la corrélation entre l'envolée des coûts de financement de la dette souveraine de ces pays et l'ampleur de l'austérité appliquée est éloquente. C'est effectivement les pays ayant subi les plus hauts « spreads » - c'est-à-dire qui ont progressivement été contraints par les marchés de se financer toujours plus chers -, qui ont aussi mis en place les mesures d'austérité et de privations les plus drastiques.

L'intuition selon laquelle les marchés financiers et leurs menaces de débordements ont exercé une pression intense sur l'Union européenne et sur ses dirigeants en vue de grosses économies budgétaires est donc avérée. Sachant que, à l'inverse, nulle austérité n'a été décrétée parmi les pays dont les spreads sont restés stables. Dès lors, que peut-on en déduire ? Que les marchés n'ont, en finalité, été « que » des messagers, des porteurs de mauvaises nouvelles ? A savoir que la dégradation de la dette publique et de la compétitivité de ces nations se traduisait mécaniquement en une envolée de leurs frais de financement, lesquels ne pourraient être maîtrisés que grâce à des économies tous azimuts ? Ou que c'est la peur et les mouvements de panique collectifs qui ont eu un impact désastreux sur le creusement de ces spreads, qui se sont irrémédiablement éloignés des fondamentaux... un peu comme l'envolée des marchés boursiers se trouve, à intervalles réguliers, être totalement incompatible avec l'état de l'économie réelle ? Comme la réponse à ce dilemne n'est pas évidente, il est permis de douter et d'opter pour la seconde hypothèse.

La BCE, salvatrice pour les spreads

Quoiqu'il en soit, c'est dans ce type de contexte que la présence d'une banque centrale est cruciale. Seule en effet sa détermination et son action de pourvoir des liquidités est à même de calmer le jeu. L'objectif ultime de son intervention étant d'apaiser les marchés et autres acteurs afin que les fondamentaux soient analysés pour ceux qu'ils sont, et non à travers le prisme de la panique collective. Et, de fait, la décision de la Banque centrale européenne en 2012 et de son patron Mario Draghi de soutenir l'Euro « quoi qu'il arrive » fut spectaculairement déterminante.

En acceptant d'assumer son rôle de prêteuse en dernier ressort, la BCE a rasséréné les marchés et a soulagé les pays sinistrés qui ont progressivement vu une amélioration notoire de ces spreads. Loin d'assainir les comptes publics des nations européennes périphériques, la BCE s'est bornée à manifester sa présence, avec pour résultante un effondrement des frais de financement de ces pays. Ainsi, c'est les pays où ces spreads s'étaient le plus dégradés (Grèce, Portugal) qui ont bénéficié de la plus forte décrue.

Affolement des marchés contre fondamentaux économiques

Comme les données économiques ne s'étaient naturellement pas améliorées d'un coup de baguette magique, il est donc aisé d'en déduire que les frais de financement ont baissé en même temps que le facteur « peur ». De plus, c'est dans les pays où cette peur avait été la plus intense que l'intervention de la BCE s'est révélée la plus efficace, car c'est là que les spreads avaient le plus baissé. Il est même possible de pousser encore plus loin ce raisonnement, ett d'affirmer que l'envolée des coûts de financement de la dette souveraine des pays périphériques n'avait strictement aucune corrélation avec les fondamentaux économiques! 

Sinon, comment expliquer que ces spreads soient à des niveaux raisonnables aujourd'hui - bien loin de leurs records du milieu de l'année 2012 - alors même que les ratios dettes / P.I.B. se sont sensiblement aggravés et, ce, dans tous les pays sur la sellette ? La dégradation des statistiques relatives à leurs comptes publics et à leur croissance n'aurait-elle pas dû se traduire « mécaniquement » par de nouveaux records sur le financement de leur dette ? Oui, mais entretemps la BCE s'était manifesté... confirmant du coup l'intuition selon laquelle c'est l'affolement des marchés - et non les fondamentaux économiques ! - qui avaient initiés l'envolée de ces spreads.

Folie rigoriste de la peur

L'austérité n'est donc que l'aboutissement d'une intense panique ayant saisi nos responsables politiques, eux-mêmes mis sous pression par des marchés financiers déboussolés, faute de prêteur en dernier ressort. Poussons une ultime fois ce raisonnement, car il est désormais très aisé d'effectuer cette constatation. C'est les pays ayant mis en place les mesures d'austérité les plus extrêmes qui ont aussi été ceux qui subissent aujourd'hui la plus forte chute de leur croissance.

En somme, voilà des nations ayant été acculées à une austérité sans précédent par des marchés et par des dirigeants européens pris de panique, sachant que ces sacrifices n'ont nullement produits les effets escomptés. Ils ont en effet détérioré davantage les fondamentaux de ces pays, ainsi que leur capacité à honorer le règlement de leur dette. La crise de liquidités a ainsi dégénéré en une crise de solvabilité !

Voilà ce qu'il en coûte d'écouter religieusement des marchés financiers qui, loin d'avoir été des messagers, se sont bornés tout le long à envoyer de mauvais signaux. Signaux très mal interprétés par des dirigeants européens totalement ignorants en matière financière et qui se sont embarqués le c?ur léger dans une croisade contre les déficits publics. Pendant que, pour sa part, la BCE se complaisait dans son splendide isolement jusqu'à ce que la situation devienne authentiquement intenable, alors que son intervention plus précoce aurait permis d'éviter tellement de souffrances humaines.

Pour paraphraser Paul Krugman qui emploie la métaphore significative des « cafards », l'acharnement de nos responsables politiques et de l'élite économique et financière à imposer l'austérité ne va pas sans rappeler la vermine ou la mauvaise haleine ! Elle revient toujours en dépit de tous les traitements possibles, à l'instar de la folie rigoriste qui s'acharne à réduire des déficits publics qu'il est au contraire vital d'user à bon escient lors d'une récession.
 

* Michel Santi est un économiste franco-suisse qui conseille des banques centrales de pays émergents. Il est membre du World Economic Forum, de l'IFRI et est membre fondateur de l'O.N.G. « Finance Watch ». Il est aussi l'auteur de l'ouvrage "Splendeurs et misères du libéralisme"

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Commentaires 41
à écrit le 03/05/2013 à 0:01
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Le seul constat valable est que les inégalités se creusent, toujours plus de pauvres et des riches toujours plus riches. Normal, l'austérité, c'est fait pour ça, enrichir les riches. Ce qui est choquant, c'est que beaucoup de commentaires trouvent ce...

à écrit le 02/05/2013 à 19:06
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Et si on revenait aux définitions ? Les marchés sont composés d'investisseurs, qui devant la folie de l'endettement européen ont préféré aller voir ailleurs (trop de risque), ce qui a fait monter les taux. Les gouvernements ont alors été contraints d...

le 03/05/2013 à 6:07
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de quels investisseurs s'agit-il? de ceux dont les mouvements de capitaux sont joués par ordinateurs sur des variations boursières de l'ordre de la minute, voire moins; ceux-là ne sont pas des investisseurs, mais des spéculateurs.. qui a poussé au c...

à écrit le 02/05/2013 à 16:54
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"L'austérité est la mutualisation trouvée des pertes que refusent les créanciers." Les banques pretes a la Grece tout en sachant que celle ci ne pourra pas rembourser mais demande a l'Europe de rembourser a sa place sinon les banques sont en faill...

le 03/05/2013 à 0:10
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@Question? La réponse est :O. La réponse à la question bonus est: les bonus. Le problème posé date de 1973 lorsque Pompidou, ancien directeur de la Banque Rotschild a octroyé aux banques privées l'exclusivité de financer l'Etat.Depuis cette date, la ...

à écrit le 02/05/2013 à 16:30
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Quand est ce que les Voleurs Publics , responsables des endettements inouis dont ils sont responsables depuis 20 ans , et qui ont servi à tout sauf à " l interet general " arreteront ils de ruiner à nouveau les peuples par de la fausse monnaie ( " ...

le 03/05/2013 à 15:02
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@dindon , tout à fait d'accord sur votre approche sur la (problêmatique) du remboursement d'ailleurs nous ne le verrons pas de notre vivant , je pense qu'ils attendent que l'Europe politique réussisse et prenne à sa charge la dette des états qui sera...

à écrit le 02/05/2013 à 16:21
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Un article qui s'emploie à démontrer des évidences! Qu'y a-t-il de spectaculaire à affirmer que les marchés, par leur affolement, exercent une pression sur les politiques pour rétablir les équilibres économiques? Les marchés, par ailleurs prêteurs au...

à écrit le 02/05/2013 à 13:26
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Hors inflation, les dépenses publiques ont augmenté de 176 milliards d'euros entre 2002 et 2011 quand l'UMP était au pouvoir. 2002 : 964 milliards d'euros 2012 (corrigés de l'inflation) 2011 : 1140 milliards d'euros 2012 (corrigés de l'inflation) 20...

à écrit le 02/05/2013 à 13:03
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un budget équilibré, ce n'est pas de l'austérité ...et pourtant 'cette' austérité actuelle en est encore loin. arrêtons de vivre en endettant/asservisant les générations futures

à écrit le 02/05/2013 à 12:46
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Les efforts, on demande toujours aux mêmes de les faire. Regardez ce cher fils de FABIUS qui ne paie pas d'impôts sur le revenu , et s'offre un appartement à 7 000 000 d' Euros . Qu'il nous explique comment il faut faire. Ceux qui nous dirigent nous ...

le 02/05/2013 à 13:56
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Comment ? Apparemment très simple, il suffit de convaincre votre banquier de vous accorder un prêt de 100% du prix (frais inclus) avec un différé d'amortissement. Si la valeur du bien augmente plus vite que les intérêts cumulés, vous pourrez même rev...

à écrit le 02/05/2013 à 11:18
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La peur et l'affolement sont les symptômes annonciateurs d'un réel danger que nous ressentons souvent bien avant l'arrivée du danger. Il faut en tenir compte et prévoir l'angle d'attaque du problème. Pour nous le problème est la charge politique de ...

à écrit le 02/05/2013 à 11:00
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> Pourquoi cette politique d'austérité a-t-elle été imposée aux nations européennes périphériques? Est-ce la dégradation des fondamentaux économiques qui l'ont rendue inévitable ? Ou l'austérité n'est-elle que la résultante de la panique ayant saisi ...

à écrit le 01/05/2013 à 21:12
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Réduction de la dépense publique : François Hollande au pied du mur http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/politique-eco-conjoncture/politique-economique/221171691/reduction-depense-publique

à écrit le 01/05/2013 à 12:13
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Si les marchés financier n'existait pas il faudrait les inventer! Mais d'où vient cet immense pouvoir si ce n'est de notre naïveté a confier notre propre vie a des éléments extérieurs...compter seulement sur soi-même c'était le crédo de la France ava...

le 02/05/2013 à 19:18
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rien de nouveau sous le soleil. Les marchands existent depuis des siècles, la spéculation aussi. Les traders sont tout aussi honnêtes que l'épicier de votre village, pour la simple raison qu'ils font le même métier : acheter et vendre des biens (tra...

à écrit le 01/05/2013 à 11:59
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La peur accentue les difficultés qui ne seraient probablement que passagères sans elle. Mieux vaut modifier un peu quelques points faibles du système sans accabler Pierre ou Paul, car on s'étripe inutilement via le net ! Par exemple, laisser l'arg...

le 02/05/2013 à 19:14
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Quand un ménage dépense plus qu'il ne gagne, les difficultés ne sont pas passagères. Il doit d'abord restreindre fortement son train de vie (austérité = recul du pouvoir d'achat) Avant de pouvoir rembourser ses dettes (maintien de l'austérité pendant...

à écrit le 01/05/2013 à 10:39
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Les agences de notations ne doivent pas etre oubliees. 2 ou 3 personnes decident sans pression dans un bureau climatise de l avenir d un pays.

à écrit le 01/05/2013 à 9:02
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Il y a du vrai dans cette analyse : en effet, dans un moment de danger, on peut faire une action qui provoque un danger plus grand. Par exemple, si vous freinez brusquement sur une route enneigée alors que vous partiez en légère glissade, vous perdez...

à écrit le 01/05/2013 à 8:58
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Tout ceci pour dire que la peur est mauvaise conseillère. C'est pas nouveau, car les marchés financiers ont toujours fonctionné de cette façon. C'est de la psychologie collective.

le 01/05/2013 à 12:14
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Oui, c'est très simple comme explication. De même pour les marchés financiers ! Un programme politique ou économique qui inclurait le bien tout le monde rassurerait tout le monde. Voir sans arrêt le mal total chez les autres empire la situation car ...

à écrit le 01/05/2013 à 2:49
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C'est bien la peine de faire si compliqué quand le but est de nous ramener une fois de plus sur le diktat keynésien. Par ailleurs, il n'y a aucune rigueur dans ce texte, où l'emploi du "donc" vient inciter à penser qu'une démonstration vient d'être d...

le 02/05/2013 à 0:21
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Et vous Barmanu, de quel promontoire vous parlez avec cet aplomb ? Avec quelle formation ? Vos généralités restent ce qu'elles sont sans développer, du vent.

à écrit le 30/04/2013 à 19:58
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Le syst? est juste en train de s'effondrer et personne n'a la solution, voil?out !

le 30/04/2013 à 22:38
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Le système se tient tout seul. Certains essayent de le mettre en état instable pour se faire du pognon à la montée et à la descente car on ne se fait pas d'argent sur un système stable.

à écrit le 30/04/2013 à 19:06
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Cet économiste navigue toujours sur les deux mêmes erreurs: 1/ les politiques ont un pouvoir de nuisance réel mais aucun pouvoir d'innovation et de devellopement autrement qu'en ponctionnant ce qui fonctionne et qui de ce fait fonctionne moins bien. ...

le 30/04/2013 à 21:14
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clarifier ,s.v.p. nous n'avons pas bien compris .que les politiques est un pouvoir de nuisance ,mais pas d?innovation , ça se discute .mais ,concernant l'innovation ,on croit savoir que c'est ce qui manque ,avec une forte valeur ajoutée , dans les en...

à écrit le 30/04/2013 à 16:35
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Les marchés ne gouvernent pas. Ils évaluent en permanence le risque et le rendement pour réorienter leurs placements. L'austérité drastique décidée par les gouvernements quand les taux s'envolent peut laisser penser que ce sont les marchés qui l'impo...

à écrit le 30/04/2013 à 16:05
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Il y a tout de même une explication plus fondamentale que de la technique monétaire. L'origine rationnelle sinon mentale est dans la loi commune établie de création de valeur et de croissance. Face à l'échec du dialogue Nord-Sud, au choc pétrolier in...

à écrit le 30/04/2013 à 15:35
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Tien ca faisait longtemps qu on avait pas entendu parler des vilains marches responsables de tous les maux de l Europe. Pourquoi ne pas aller encore plus loin: si les pays europeens ne veulent pas rendre de compte aux marches individuellement, ils n ...

à écrit le 30/04/2013 à 14:54
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Tout a fait exact et plausible mais un article dans le vent qui vient trop tard, au surplus en appui de la ligne déjà tenue. Santi joue le commercial d'un produit déjà élaboré qu'il s'agit de placer dans l'opinion. Nos "élites" sont nulles, il suffit...

à écrit le 30/04/2013 à 14:30
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Les marchés financiers ne sont plus guidés par des hommes, mais par des algorithmes qui réagissent à la milli-seconde. Comment ramener ces algorithmes à la raison ? Taxe Tobin ?

à écrit le 30/04/2013 à 13:57
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La fuite en avant dans les déficits publics ne peut être une solution. Les marchés ont parfaitement anticipé. Contrairement à la fuite en avant qui accentue les déséquilbres, l'austérité est propice au redéploiement des forces économiques. Tout ce qu...

le 30/04/2013 à 15:06
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Inexact. Il s'agit d'un simple discours de surface. En réalité la dette -c'est à dire le crédit : n'oublions pas de regarder les deux colonnes du bilan d'état- est rélative. Elle n'a pas d'autre valeur. Il ne nous est pas possible de laisser filer le...

le 30/04/2013 à 16:46
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"Le terme de "déficit" public est d'ailleurs erroné dans son fondement" entièrement d'accord avec vous c'est rare de lire une telle phrase!.

à écrit le 30/04/2013 à 13:50
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Les économiste marxo-keynésiens ont le vent en poupe en ce moment, même s'ils ne savent que préconiser une chose : toujours plus d'endettement ! :)

le 30/04/2013 à 14:29
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je ne sais pas si ces économistes ont le vent en poupe ,mais on voit les dégâts causés depuis 30 ans par les les politiques inspirées par l'école de Chicago . pile je gagne ,face tu perds .appauvrissement des classes moyennes ,endettement de celles -...

le 30/04/2013 à 14:33
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Keynésiens, sans doute. Marxistes, je ne vois pas. Si vous trouvez une once de Marx dans cet article, merci de préciser.

le 30/04/2013 à 15:16
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L'économie de l'école de Chicago, @pm, est celle d'un momentum, ou comment utiliser le crédit qui sera fourni a profusion. La théorie dite de Keynes est un robinet de création monétaire. En réalité ces deux concepts sont complémentaires et non ennemi...

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