Et si la zone euro était responsable du décrochage des émergents ?

Les marchés émergents se sont effondrés à l'idée d'un durcissement de la politique monétaire de la Fed. Pour l'économiste Michel Santi, ces conséquences ne sont pas à imputer directement à la Banque Centrale américaine, mais... à la crise de la zone euro.
Michel Santi (c) DR

Sont-ce les États-Unis, leur Réserve fédérale et leurs baisses de taux quantitatives qui sont responsables de l'effondrement des monnaies émergentes ? Acculés à remonter leurs taux d'intérêt dans le but d'enrayer les fuites de capitaux et dans l'espoir de stabiliser leurs marchés, les banques centrales et leaders de ces nations émergentes n'ont pourtant de cesse d'accuser la politique ultra expansionniste de Ben Bernanke. Création monétaire US qui, du reste, fut stigmatisé dès son lancement en 2008 car, selon les émergents, elle contribuerait à dévaluer artificiellement le dollar et à raffermir considérablement leur propre monnaie, et ce en réaction aux flots de liquidités qui viendraient s'y investir en quête d'une rentabilité supérieure que dans un pays (les Etats-Unis) offrant des taux nuls…

Craintes fondées - à première vue - puisque la compétitivité à l'exportation de ces pays fut substantiellement entamée par l'appréciation de leurs devises respectives, et que leur balance des paiements - devenue déficitaire - en fut par ailleurs fortement pénalisée. La hantise de ces responsables émergents étant le coup de grâce tant redouté, à savoir l'exode de ces fonds hors de leur pays en réaction à une Fed qui finirait bien un jour ou l'autre par interrompre son programme de création monétaire. Exode de fonds - voire panique des marchés - foncièrement nuisible à l'économie réelle, mais devenue aujourd'hui monnaie courante dans un contexte global de versatilité exacerbée des flux de capitaux constamment en quête de rentabilité.

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Disculpons les États-Unis

Pourtant, s'il est indiscutable que les annonces au printemps dernier de la Fed et de son Président (selon lesquelles le montant des baisses de taux quantitatives serait allégé) ont donné le signal du départ de ces fuites massives de capitaux hors des émergents, il est crucial de ne pas se tromper de diagnostic. C'est en effet la crise de l'euro qui est responsable des flux de capitaux en direction des pays émergents depuis 2009, et c'est elle qui a précipité leur balance des paiements dans le rouge sur cette même période. De fait, comme la politique peu conventionnelle de la Réserve fédérale US n'a pas sensiblement modifié le déficit extérieur des États-Unis, ce n'est donc pas ce pays - ni sa création monétaire intensive - qui sont coupables des évolutions négatives des balances de paiements des émergents. Partant du constat basique selon lequel la balance des paiements US est restée quasiment inchangée ces dernières années, il est même possible d'affirmer que les différents rounds de baisses de taux quantitatives initiés par la Fed n'ont pratiquement pas eu d'impact matériel notable hors des États-Unis !

Il est cependant strictement impossible de disculper l'Union européenne dont la balance des paiements a, pour sa part, évolué d'un déficit de 100 milliards de dollars en 2008 à …un excédent de 300 milliards aujourd'hui ! Par la grâce d'une austérité ayant contraint les pays européens périphériques à considérablement réduire leurs importations, et du fait d'une crise dont l'ampleur et dont l'amplitude ont littéralement gelé tout flux de capitaux frais en leur direction. Et, bien-sûr, dans un contexte où les nations européennes excédentaires (comme l'Allemagne) se sont bien gardées de prendre le relais des pays européens sinistrés, en dynamisant leur propre consommation intérieure.

La rigueur européenne, seule responsable ?

Nous voilà donc aujourd'hui en présence d'une Union européenne qui se trouve être la zone bénéficiant du plus vaste excédent de sa balance des paiements au monde, dépassant en cela même la Chine - qui fut taxée de manipuler sa monnaie de longues années durant ! Comme l'amplitude extraordinaire de fluctuation de l'ordre de 400 milliards de dollars (de - 100 à + 300) de la balance des paiements européenne ne fut nullement reflétée par une ascension de l'euro qui, de fait, resta plus ou moins statique pour solde sur cette même période. Il est aisé d'en conclure que le coupable de la détérioration des comptes extérieurs des émergents se trouve être l'effondrement de la consommation intérieure de l'Union. De fait, le déclin de cette demande européenne fut si dramatique en cinq ans que les exportations de l'Union ne progressèrent qu'à un rythme annuel de 0.25% depuis 2008 !

C'est donc cette forte chute de la consommation et des importations européennes, et c'est donc l'excédent titanesque des comptes extérieurs de l'Europe - autrement dit l'austérité - qui sont les vrais coupables des déficits des balances des paiements des pays émergents. Et les États-Unis, et la régression de leurs baisses de taux quantitatives, n'auront été que le déclencheur de la panique récente sur les marchés de ces économies en devenir. L'origine de la vulnérabilité des émergents est donc entièrement imputable à la folie rigoriste européenne.

 

*Michel Santi est un économiste franco-suisse qui conseille des banques centrales de pays émergents. Il est membre du World Economic Forum, de l'IFRI et est membre de l'O.N.G. « Finance Watch ». Viennent de paraître : une édition étoffée et mise à jour des "Splendeurs et misères du libéralisme" avec une préface de Patrick Artus et, en anglais, "Capitalism without conscience".

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Commentaires 11
à écrit le 12/09/2013 à 10:06
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Analyse qui force un peu le trait pour bien faire passer le message, mais juste dans le fond, au moins partiellement. A part ça, il faut se détacher un peu de la morale, qui n'existe pas au niveau des nations et entreprises (riches ou pauvres), et ce...

à écrit le 12/09/2013 à 0:37
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Son analyse est pertinente car elle s'est vérifié dans le passé. Les conditions économiques d'avant la seconde guerre mondiale étaient les mêmes que celles d'aujourdhui. Le capitalisme ne fonctionne tant que les équilibres sont respectés. A partir du...

à écrit le 11/09/2013 à 22:55
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L'analyse est interessante mais bien trop exclusive. Pour ce M. il faut des bons et des mechants et en plus ces derniers sont defins une fois pour toute. Son propos n'a donc rien de la course d'une gazelle ce serait plutot du bachotage. On verra quel...

à écrit le 11/09/2013 à 18:24
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Que repondre à part '''si ma tante en avait ça serrait mon oncle''' .Je suis sur que ce monsieur est blindé avec du fric placé partout ,en actions, obligations,et autre et qu'il s'amuse de la miaivrerie de certains commentaires .Ce monsieur est dans ...

le 11/09/2013 à 22:44
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Si gazt avait un peu de jugeote, il nous éviterait ces élucubrations égarées! Cet article est pour moi super intéressant, et nous écarte enfin des idées traditionnelles et du politiquement correct sur la situation européenne avec le modèle des courag...

à écrit le 11/09/2013 à 18:16
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La rigueur européenne le monde entier (où plutôt ceux qui dirigent le monde ) l'a voulu, le monde entier l'a eu.

à écrit le 11/09/2013 à 17:56
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L'europe se serait lancé dans une fuite en avant à l?américaine avec une planche à billet à la BCE n'aurait rien changé à la situation. L'Euro aurait baissé de valeur, donc moins d'importations de l?étranger.

à écrit le 11/09/2013 à 17:48
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quand un de vos principoaux clients ne va pas terrible, forcement, vous allez un peu moins bien...

le 11/09/2013 à 18:05
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Churchill @Tout a fait d'accord, idem avec Corso et Heretick,

à écrit le 11/09/2013 à 17:33
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Discours à 3 sous complètement tordu de Santi qui ne sait plus où il en est. L'euro seul supporte le poids de la dévaluation du dollar qui doit être soutenu par des QE sauf à ce que l'économie américaine s'écroule! Cette posture entièrement artifici...

à écrit le 11/09/2013 à 17:02
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L'avidité des investisseurs les ayant poussé à faire du dumping entre l'occident et les pays sous-développé les conduits à une inexorable chute. A vouloir trop gagner, ils sont en train de tout perdre. Tant mieux ! Il y a toujours un effet boomerang ...

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