Gazoduc transadriatique : l'Europe doit cesser la division énergétique !

Le choix du gazoduc transadriatique par l’Azerbaïdjan pour exporter son gaz vers l'Europe va à l'encontre de la préférence de la Commission européenne. Pour le sénateur UMP Christophe-André Frassa, c'est l'occasion pour l'UE de repenser sa politique énergétique...
Christophe André Frassa. Compte Twitter officiel

Pour exporter le gaz du gigantesque gisement Shah Deniz (860 km2, 1.200 milliards de m3 de gaz), l'Azerbaïdjan a choisi le gazoduc trans-adriatique (TAP - Trans-Adriatic Pipeline) au détriment du projet Nabucco Ouest. (1) Le consortium Shah Deniz II qui exploite ce gisement vient d'annoncer la signature des contrats d'approvisionnement avec neuf sociétés européennes, parmi lesquelles figure également GDF Suez. Le projet TAP est plus court de 440 kilomètres que Nabucco Ouest, le projet soutenu par la Commission européenne, ce qui devrait bénéficier aux consommateurs. Il débutera à la frontière turco-grecque, passera par le territoire hellénique et l'Albanie pour aboutir en Italie.

Deux projets concurrents

Certains présentent ce choix comme une défaite pour la Commission et plus largement pour l'Europe. Remettons les choses dans l'ordre. Le souci stratégique de l'Union européenne est d'abord de limiter sa dépendance à l'égard de la Russie, qui n'avait pas hésité à couper les robinets en 2009. Parmi les sources alternatives, le gaz d'Azerbaïdjan et celui du Turkménistan transitant par le « Corridor Sud », contournant la Russie et sur lequel s'affrontaient les deux projets de pipelines depuis de nombreuses années, étaient les cibles privilégiées. L'objectif premier de l'Union européenne, à savoir la diversification des approvisionnements gaziers est donc atteint. Les deux projets auraient offerts des capacités identiques dans un calendrier comparable. Aussi, José Manuel Barroso s'est-il félicité du choix du TAP dans un communiqué au ton un peu opportuniste, qui rappelait sa rencontre de janvier 2011 avec le président Aliyev.

Néanmoins, Nabucco souffrait dès l'origine de deux faiblesses :

D'une part, pour contourner le russe Gazprom, il comptait importer le gaz de la mer Caspienne (Azerbaïdjan) et d'Asie centrale (Turkménistan), voire du Kurdistan irakien ou d'Iran. Or, sans Téhéran le débit aurait été insuffisant. D'autre part, le projet n'était porté par aucune des grandes compagnies gazières européennes, ni par un pays producteur, mais uniquement par les consommateurs et comptait desservir l'ensemble des pays d'Europe centrale. Difficile dans ces conditions de sécuriser les volumes de gaz à livrer. Maintes fois repoussé, Nabucco Gas Pipeline International avait donc révisé ses ambitions à la baisse et le tracé fut réduit de 3300 à 1300 kilomètres - Nabucco Ouest - commençant à la frontière bulgaro-turque, direction l'Autriche via les Balkans. Projet donc critiquable, qu'il est inutile de regretter.

Des intérêts divergents pour les pays du Sud de l'Europe

Le projet TAP, quant à lui, vient en aide à un maillon faible européen : la Grèce, qui devrait bénéficier d'1 à 2 milliards d'Euros d'investissement directs durant les travaux qui se dérouleront de 2014 à 2018 ; de 2 à 3000 créations d'emplois et du rachat de 67% du réseau de transport énergétique grec DEFSA par la SOCAR (2), Compagnie nationale pétrolière et gazière d'Azerbaïdjan. Le gouvernement de Monsieur Samaras, qui a tant de mal à attirer des investisseurs, accueille ce nouveau partenaire comme une bouffée d'oxygène inespérée, le délestant ainsi d'une des entreprises publiques privatisables.

L'Italie voit s'envoler une partie des espoirs du gouvernement de Silvio Berlusconi (qui cultivait une relation privilégiée avec le président russe Vladimir Poutine) de devenir le carrefour énergétique de l'Europe. Il poussait les projets Bluestream et Southstream pourtant critiqués par la Commission européenne. Le pays pourrait, en conséquence, se voir rétrogradé au simple rang de pays de transit. Le premier ministre Monsieur Letta était donc en visite récemment à Bakou pour démontrer l'intérêt de son pays dans le projet TAP et discuter l'éventualité d'une prolongation vers le nord de l'Europe, qui livrerait le gaz azerbaidjanais à la Suisse, la Belgique, l'Allemagne les Pays-Bas et le Royaume-Uni.

Les pays de l'Union Européenne divisés

Les pays d'Europe centrale, les plus fortement dépendants du gaz russe -de 80 à plus de 90% pour des pays comme la Pologne, la République tchèque, la Roumanie et la Bulgarie - espéraient beaucoup du tracé de Nabucco. Ils sont toutefois autant victimes des égoïsmes des pays d'Europe occidentale que du choix de TAP. A ce titre, le projet Northstream, qui fournira directement à travers la Baltique le gaz russe à l'Allemagne, est l'exemple même des incohérences et des insuffisances de l'UE en matière de politique énergétique. En revanche, les pays d'Europe occidentale devraient eux, dans la durée, bénéficier de l'extension et du doublement des capacités de TAP (10 milliards de mètres cube, 20 milliards à terme). Pour contrer cette hypothèse, la Russie met en avant son projet de gazoduc South Stream, qui traverse la Mer Noire pour arriver en Bulgarie et desservir la Roumanie, la Hongrie et l'Autriche.

L'Europe présente donc le visage d'une Union en désunion où chaque pays joue sa carte personnelle, sur ce sujet comme sur d'autres. La redistribution des cartes, à laquelle TAP oblige à procéder, est une opportunité nouvelle offerte aux Européens et à la Commission de poser les bases d'une véritable politique énergétique commune. Au moment où l'Arménie vient d'annoncer son entrée dans l'Union douanière voulue par Moscou, le rôle de pivot joué par l'Azerbaïdjan pour l'approvisionnement en gaz de l'Union européenne oblige à regarder la politique européenne au Caucase sous un jour plus réaliste.

 

 

gaz azerbaidjan

 

 

 

 

* Christophe-André Frassa est Sénateur UMP représentant les Français établis hors de France, Secrétaire du groupe d'amitié interparlementaire France-Caucase et membre du groupe d'études de l'énergie au Sénat.

 

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(1) TAP sera détenu conjointement par les sociétés hydrocarbures suisse Axpo, norvégienne Statoil, allemande E.ON Ruhrgas (50% à eux trois), azerbaïdjanaise SOCAR (20%), britannique BP (20%) et française Total (10%).

(2) DEFSA : Opérateur du réseau de transport de gaz naturel grec. SOCAR : State Oil Company of Azerbaijan Republic - Compagnie nationale pétrolière et gazière d'Azerbaïdjan

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Commentaires 3
à écrit le 23/09/2013 à 9:53
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Tiens donc. Toujours pas d'oléoduc/gazoduc par le Kosovo ? Il y a presque 15 ans, une des raisons avancé par des "complotistes" sur l'intervention de l'OTAN en 1999 était la construction de tels "tubes" par ce territoire ;)

à écrit le 22/09/2013 à 22:17
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très amusant un sénateur ump qui vient nous parler de vision commune et qui se réjouit dans le même temps de la privatisation du gaz grec. Il faudrait savoir, si c'est au marché et à la loi sauvage de la concurrence de décider, où si l'intérêt généra...

à écrit le 22/09/2013 à 17:19
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peu importe le tracé, ce projet se fera par soucis de sécurité énergétique et pour ne pas dépendre du monopole russe. pour ce qui est des duels de clochers, je crois qu'on est très mal plaçés pour causer, dès qu'on veux tracer une nationale, un chemi...

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