L'évaluation immobilière par Bercy : quelle véritable utilité ?

Le logiciel d'évaluation immobilière mis en place cette semaine par Bercy peut être un outil utile. Mais il n'offre aucune garantie, face au fisc. Par Christophe Serredszum, vice président du Conseil National de l'Expertise Foncière Agricole et Forestière (CNEFAF)*

Par un communiqué en date du 20 août dernier, Bercy a annoncé la future mise à disposition des contribuables, d'un logiciel dénommé Patrim Usager leur permettant de « sécuriser l'évaluation de leurs biens dans le cadre d'une obligation déclarative à finalité fiscale (ISF, succession, donation..) ou d'un besoin lié à une procédure d'expropriation».

En apparence, l'intention est louable, permettre aux contribuables de lutter à armes égales avec l'administration fiscale. Toutefois, l'utilisation future de ce logiciel par les contribuables apparaît délicate et ce pour deux raisons principales. Tout d'abord, ne s'improvise pas expert en évaluation immobilière qui veut.

Un marché complexe

Le marché immobilier est un marché complexe. Pour pouvoir l'appréhender dans de bonnes conditions, il convient de disposer d'une formation technique, juridique et économique adéquate, de maitriser les différentes méthodes d'évaluation (par comparaison, par le revenu et autres) et de mettre en avant une solide expérience professionnelle, gage d'une connaissance approfondie du marché et de ses évolutions.

A titre d'exemple, pour pouvoir être inscrit sur les listes du Conseil National de l'Expertise Foncière Agricole et Forestière (CNEFAF), il convient de justifier de 3 années d'expérience professionnelle dans le domaine de l'expertise lorsque l'on est titulaire d'un diplôme de niveau bac+4 ou de sept années dans le cas contraire.

Faire preuve d'une parfaite indépendance

L'expert doit également faire preuve d'une parfaite indépendance vis-à-vis d'une part du bien à évaluer et d'autre part, de l'opération envisagée, pour éviter au maximum toute subjectivité dans l'évaluation. Bien entendu, cela ne peut pas être le cas du propriétaire. Ensuite, une évaluation digne de ce nom ne peut s'effectuer qu'après une visite détaillée du bien et de l'analyse approfondie de l'ensemble de ses caractéristiques matérielles, juridiques, règlementaires et autres. Il n'est pas de mon propos de dénigrer le logiciel Patrim et les informations qui pourront être recueillis par sa consultation. Toutefois, il m'apparaît clairement que les références fournies ne pourront pas être appréciées utilement et objectivement par le contribuable dans le cadre de son évaluation.

L'absence totale de garantie

La deuxième raison trouve son origine dans le texte introduisant le dispositif PATRIM USAGERS, la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011. L'article L107B du Livre des Procédures Fiscales qui en est issu, précise en son alinéa 6 que « La circonstance que le prix ou l'évaluation d'un bien immobilier ait été déterminé sur le fondement d'informations obtenues en application du présent article ne fait pas obstacle au droit de l'administration de rectifier ce prix ou cette évaluation (…) ».

Le logiciel est donc censé donner au contribuable des références lui permettant d'orienter des actes de toute première importance en matière fiscale, mais en fait, sans aucune garantie. Le contribuable, même s'il utilise Patrim en toute bonne foi, pourra être confronté à une procédure de redressement particulièrement douloureuse.

Cette absence de garantie m'apparaît d'ailleurs tout-à-fait logique et traduit sans ambiguïté, les limites de l'utilisation du logiciel, ce dont a parfaitement conscience l'administration fiscale.

Patrim peut servir à donner une vague idée

PATRIM est donc un logiciel pouvant au mieux donner au propriétaire, une vague idée de la valeur de son bien mais surtout l'exposer à de graves difficultés en cas de contestation de sa déclaration par l'administration fiscale. Prétendre que ce logiciel pourrait sécuriser l'évaluation des biens des contribuables relève de l'absence totale de connaissance de la complexité du marché immobilier.

 Une boîte à outils, mais après?

N'ayant aucune connaissance en mécanique, je ne suis pas sûr que l'achat d'une bonne boite à outils me permettrait de réparer en toute sécurité mon automobile défaillante. En toute logique, je vais continuer à faire confiance à mon garagiste habituel.

Il en est de même en matière d'évaluation immobilière. Il est bien plus raisonnable et sécurisé pour les contribuables de faire appel à des professionnels compétents, formés, assurés et indépendants que de faire confiance à un logiciel aussi sophistiqué soit-il, n'offrant aucune garantie.

 

 

*Le CNEFAF, Conseil National de l'Expertise Foncière, Agricole et Forestière, est une structure de type ordinale regroupant les professions réglementées, d'Experts Fonciers, Agricoles et d'Experts Forestiers. Ces professionnels au nombre de 650 sont soumis à des obligations de formations initiale et continue, d'expérience professionnelle, d'assurance en responsabilité civile de leurs activités et de code de déontologie.

 

 

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Commentaires 15
à écrit le 11/11/2013 à 21:23
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Affligeant cet article. Cette base de donnees est certainement la plus exhaustive qui existe et pour preuve elle est alimentee par les transactions. Que cela ne plaise pas aux experts du doigt mouille on peut le comprendre pour le reste le marche fra...

à écrit le 11/11/2013 à 8:43
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Cela a surtout servi a réévaluer la base de la taxe foncière et de cotisation fonciere des entreprises.... Une hausse de 100℅ de l impot cette annee sans variation du taux.....oui ils ont augmenté la base....

à écrit le 10/11/2013 à 19:00
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Très bon article qui explique particulièrement bien les missions exercées par un expert en évaluation immobilière, profession mal connue en France, qui n'a absolument rien à voir avec le métier d'agent immobilier : en effet, un expert immobilier donn...

à écrit le 10/11/2013 à 18:58
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Très bon article qui explique particulièrement bien les missions exercées par un expert en évaluation immobilière, profession mal connue en France, qui n'a absolument rien à voir avec le métier d'agent immobilier : en effet, un expert immobilier donn...

à écrit le 09/11/2013 à 8:37
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Une très bonne initiative. Cela donne un peu de transparence dans l’évaluation des prix. Il faut encore aller plus loin et imposer aux agences de donner les adresses exactes des biens qu'elles mettent en vente ainsi que les évolutions des prix sur le...

à écrit le 08/11/2013 à 17:25
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Ce logiciel se base sur des données réelles enregistrées aux cadastres et aux hypothèques et devraient être publiées pour informer les acheteurs. il est totalement irresponsable de faire confiance à des agents immobiliers, lors d'un achat, ils son...

à écrit le 08/11/2013 à 16:43
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Ça permet de payer la place de directeur de ce type d'entreprise a nos dépend. Encore de l'argent publique détourner pour rien...

à écrit le 08/11/2013 à 13:17
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Ça va servir à évaluer la somme a rajouter dans vos revenus , si vous êtes propriétaire , et ce , dans une tentative de double taxe sur le logement , du genre "ce que vous n'avez plus à payer est un revenu ". Le vice de certains technocrates et aut...

le 08/11/2013 à 19:03
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Encore un dispositif pondu par des technocrates qui vivent loin des préoccupations de la grande majorité des Français. Nul doute que ce dispositif s'il voyait le jour sonnerait le glas de ce gouvernement... mais je ne pense pas que nos dirigeants soi...

à écrit le 08/11/2013 à 12:42
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Comment peut-on penser en France qu'un Etat dans l'Etat, comme se trouve être Bercy, puisse sortir un outil à finalité d'aide, voire qui serait opposable à eux? C'est juste une vaste blague...

à écrit le 08/11/2013 à 12:30
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Si les estimations données par le logiciel ne peuvent pas être opposables au fisc en cas de redressement, à quoi peuvent-elles servir ? Les remarques de Christophe Serredszum sont frappées au coin du bon sens.

le 08/11/2013 à 13:37
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Ce logiciel sert à justifier les jobs et les traitements des fonctionnaires qui l'ont conçu et le feront tourner à la petite semaine.

le 08/11/2013 à 13:37
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Ce logiciel sert à justifier les jobs et les traitements des fonctionnaires qui l'ont conçu et le feront tourner à la petite semaine.

le 08/11/2013 à 13:37
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Ce logiciel sert à justifier les jobs et les traitements des fonctionnaires qui l'ont conçu et le feront tourner à la petite semaine.

le 08/11/2013 à 17:27
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Pfou, 100% de chances qu'ils aient sous traité le machin inutile et sa maintenance à une SSII pour très très cher ...

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