Les vrais modèles économiques

L'Allemagne, avec son excédent extérieur colossal, n'a rien d'un modèle. Il faut plutôt chercher du côté du Canada ou de l'Autriche. Par Dani Rodrik, professeur à Princeton

 De nos jours, les décideurs économiques qui cherchent à imiter des modèles à succès ont apparemment une abondance de choix potentiels. Emmenés par la Chine, des dizaines de pays émergents et en développement ont enregistré des taux de croissance records au cours des dernières décennies, établissant ainsi des précédents à suivre pour les autres. Bien que les économies avancées aient obtenu de bien moins bonnes performances en moyenne, il y a des exceptions notables, comme l'Allemagne et la Suède. « Faites comme nous », disent souvent les dirigeants de ces pays, « et vous prospérerez vous aussi. »

Suède, Allemagne, des modèles non reproductibles

Pourtant, si on y regarde de plus près, on découvre que les modèles de croissance tant vantés de ces pays ne peuvent en aucun cas être reproduits partout, car ils reposent sur des excédents extérieurs importants pour stimuler le secteur des biens échangeables et le reste de l'économie. L'excédent du compte courant de la Suède a excédé le montant énorme de 7% du PIB en moyenne au cours de la dernière décennie ; celui de l'Allemagne a été en moyenne de près de 6% durant la même période.

Une croissance qui diminuer, en Chine

Le large excédent extérieur de la Chine - plus de 10% du PIB en 2007 - a diminué de façon significative au cours des dernières années, le déséquilibre commercial tombant à environ 2,5% du PIB. Le taux de croissance de l'économie a suivi la diminution de l'excédent - en fait, pratiquement point à point. Bien sûr, la croissance annuelle de la Chine reste relativement élevée, au-dessus de 7%. Mais la croissance à ce niveau reflète une hausse de l'investissement intérieur à un niveau sans précédent - et insoutenable - à près de 50% du PIB. Lorsque l'investissement reviendra à des niveaux normaux, la croissance économique ralentira davantage.

Tous les pays ne peuvent pas dégager des excédents commerciaux en même temps

Évidemment, tous les pays ne peuvent dégager des excédents commerciaux en même temps. En fait, les performances de croissance impressionnantes des économies à succès ont été rendues possibles par le choix des autres pays de ne pas les imiter.

Mais on ne pourrait jamais savoir cela à l'écoute, par exemple, du ministre des Finances de l'Allemagne, Wolfgang Schäuble, vantant les vertus de son pays. « Dans la fin des années 1990, [l'Allemagne] a été l'incontestable 'homme malade' de l'Europe », écrivait récemment Schäuble. Son pays a inversé la tendance, selon lui, grâce à la libéralisation du marché du travail et au contrôle des dépenses publiques.

Quand l'Allemagne fait du "free-riding" sur la demande mondiale

En fait, d'autres pays ont entrepris des réformes similaires au même moment et le marché du travail de l'Allemagne ne semble pas beaucoup plus flexible que ce que l'on trouve dans les autres économies européennes. Une grande différence, cependant, a été l'inversion de la balance extérieure de l'Allemagne, les déficits annuels des années 1990 se transformant en excédents substantiels au cours des dernières années, grâce à ses partenaires commerciaux de la zone euro et, plus récemment, dans le reste du monde. Comme Martin Wolf du Financial Times, entre autres, l'a souligné, l'économie allemande a fait du free-riding sur la demande mondiale.

Croissance sans excédent extérieur: la dépendance aux capitaux

D'autres pays ont connu une croissance rapide au cours des dernières décennies, sans compter sur des excédents extérieurs. Mais la plupart ont souffert du syndrome inverse : une dépendance excessive aux flux de capitaux qui, en stimulant le crédit et la consommation intérieure, génère de la croissance temporaire. Néanmoins, les économies bénéficiaires sont vulnérables face aux sentiments des marchés financiers et aux retraits brutaux de capitaux - comme cela s'est produit récemment lorsque les investisseurs ont anticipé un resserrement de la politique monétaire des États-Unis.

En Inde, forte croissance grâce à des politiques économiques laxistes

Prenez l'Inde, jusque récemment un autre exemple de réussite très célèbre. La croissance de l'Inde au cours de la dernière décennie tenait beaucoup à des politiques macroéconomiques laxistes et à une détérioration de la balance courante - qui a enregistré un déficit de plus de 5% du PIB en 2012, après avoir été excédentaire au début des années 2000. La Turquie, un autre pays qui a perdu son étoile, s'est également appuyé sur d'importants déficits annuels de ses comptes courants, atteignant 10% du PIB en 2011.

D'ex petites économies socialistes dynamiques, mais qui ne sont pas à imiter

Ailleurs, de petites économies anciennement socialistes - l'Arménie, la Biélorussie, la Moldavie, la Géorgie, la Lituanie et le Kosovo - ont également connu une croissance très rapide depuis le début des années 2000. Mais un coup d'œil à la moyenne des déficits courants entre 2000 et 2013 - qui vont d'un minimum de 5,5% du PIB en Lituanie jusqu'à 13,4% pour le Kosovo - suffit pour comprendre que ce ne sont pas les pays à imiter.

 De même en Afrique

L'histoire est similaire en Afrique. Les économies les plus dynamiques du continent sont celles qui ont été disposées et aptes à laisser courir d'énormes déficits extérieurs de 2000 à 2013 : 26% du PIB, en moyenne, au Libéria, 17% au Mozambique, 14% au Tchad, 11% en Sierra Leone et 7% au Ghana. Le compte courant du Rwanda n'a cessé de se dégrader, atteignant un déficit qui dépasse désormais 10% du PIB.

Les soldes des comptes courants du monde doivent en fin de compte présenter une somme nulle. Dans un monde optimal, les excédents des pays qui poursuivent une croissance tirée par les exportations seraient compensés volontairement par les déficits de ceux qui poursuivent une croissance tirée par la dette. Dans le monde réel, il n'existe aucun mécanisme pour assurer un tel équilibre sur une base continue ; les politiques économiques nationales peuvent être (et sont souvent) mutuellement incompatibles.

Le chômage exporté, via la  déflation

Quand certains pays veulent réduire leurs déficits sans que d'autres ne soient disposés à réduire leurs excédents de manière équivalente, on assiste à une exportation de chômage et à un biais vers la déflation (comme c'est le cas actuellement). Quand certains veulent réduire leurs excédents sans un désir correspondant d'autres pays de réduire leurs déficits, la conséquence est un « arrêt soudain » des flux de capitaux et une crise financière. Avec l'élargissement des déséquilibres extérieurs, chaque phase de ce cycle devient plus douloureuse.

Les vrais modèles à suivre: Autriche, Canada, Philippines, Lesotho

Les véritables héros de l'économie mondiale - les modèles que les autres devraient suivre - sont les pays qui ont relativement bien réussi tout en ne connaissant que de faibles déséquilibres extérieurs. Des pays comme l'Autriche, le Canada, les Philippines, le Lesotho et l'Uruguay ne peuvent pas égaler les champions de la croissance mondiaux, parce qu'ils ne se surendettent pas ni ne poursuivent de modèle économique mercantiliste. Leur économie fait partie de celles, banales, qui ne font pas les gros titres des journaux. Pourtant, sans elles, l'économie mondiale serait encore moins gérable qu'elle ne l'est déjà.

Traduit de l'anglais par Timothée Demont

Dani Rodrik, professeur de sciences sociales à l'Institute for Advanced Study, Princeton, New Jersey, est l'auteur de Le paradoxe de la mondialisation: la démocratie et l'avenir de l'économie mondiale.

© Project Syndicate 1995-2013

 

 

 

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Commentaires 9
à écrit le 20/11/2013 à 21:53
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1- revenir sur les 35 heures : gain de charge salariale de 10% et gain de charge fiscale de 10 % ( 10%de fonctionnaires en moins) 2-chasse au gaspi : moins de structures : communes , communauté de communes , département , région , état , europe : mo...

à écrit le 19/11/2013 à 16:31
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Pas le meme son de cloche que d habitude. Tres interessant de mettre en parallele deficit courant/excedent commercial et croissance, ca a aussi le merite de bien mettre les choses en perspective au niveau global. Domage pour les soi disants exemples ...

à écrit le 19/11/2013 à 16:01
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Article intéressant mais il aurait été souhaitable et plus pertinent d'avoir d'une description rapide des économies citées en exemple...! (Canada , Autriche,...)

le 19/11/2013 à 19:20
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tout à fait... 4 lignes pour 4 pays en fin d'article. ! Je m'attendais à ce qu'on m'apprenne en quoi ces economies sont des exemples, je reste sur ma faim.

à écrit le 19/11/2013 à 15:07
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le seul exemple à suivre c'est la Suisse, surtout politiquement. Quand l'UE aura un système de péréquation comme là-bas et une véritable intégration (avec transmission de pouvoir à l'état fédéral), ca ira, sinon ca ne jouera jamais. On passera notre ...

à écrit le 19/11/2013 à 15:07
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le seul exemple à suivre c'est la Suisse, surtout politiquement. Quand l'UE aura un système de péréquation comme là-bas et une véritable intégration (avec transmission de pouvoir à l'état fédéral), ca ira, sinon ca ne jouera jamais. On passera notre ...

à écrit le 19/11/2013 à 14:41
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Mort aux boschs.

à écrit le 19/11/2013 à 11:22
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C'est nouveau de ne pas mettre en avant le 1ier de la classe !!!

le 20/11/2013 à 6:19
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Le 1er de la classe en quoi ? Celui qui se fait taper sur la g.... à la Récré tellement il se la joue perso ?

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