La consommation des ménages résiste bien, même si les chiffres disent le contraire

En octobre, les dépenses de consommation des ménages ont reculé de 0,2%, selon l'Insee. Or, ce repli s’explique essentiellement par la douceur du climat. L'occasion de rappeler que la mesure de la croissance économique réelle est un art toujours difficile.
Fabien Piliu
La consommation des ménages reste le seul moteur de la croissance

Verre vide ou verre plein ? Tout dépend de l'état d'esprit. Même les froides et implacables statistiques peuvent être interprétées de différentes façons.  

La polémique sur les chiffres du chômage

Observée jeudi soir, la baisse du nombre de demandeurs d'emplois de catégorie A en octobre en est un bel exemple. Certains pourront toujours regretter que cette petite embellie sur le marché de l'emploi trouve son origine dans l'augmentation des emplois aidés, le nombre de demandeurs d'emplois a reculé. Mais c'est un fait et une bonne nouvelle pour ceux qui n'auront pas à pointer à Pôle emploi dans les prochaines semaines.

Dévoilée ce vendredi, la baisse de 0,2% de la consommation des ménages observée par l'Insee en octobre peut également être interprétée de deux façons. On peut se lamenter et regretter que le dernier moteur encore un peu vaillant de la croissance soit en train de se gripper.

On peut aussi préciser que cette baisse s'explique essentiellement par le repli de 4,1% de la consommation d'énergie. Un repli provoqué par la douceur automnale du climat que ne parviennent pas à compenser l'augmentation de la consommation de produits manufacturés (+0,7%) et de produits alimentaires (+1,4%). En hausse de 1,5%, les achats d'automobiles progressent pour le second mois consécutif !

Casser le thermomètre ?

Tout ceci ne serait pas très grave si ce repli de 0,2% de la croissance ne venait pas amputer les statistiques de la croissance au quatrième trimestre. Dans ce contexte, faut-il envisager la mesure de la croissance différemment ?

Il ne s'agit pas de casser le thermomètre pour masquer un accès de fièvre. Il s'agit simplement de relativiser certaines statistiques. Imaginons que les températures chutent bientôt sous la barre des 10 degrés en-dessous de zéro. L'explosion envisageable de la consommation d'énergie stimulera certes les statistiques portant sur les dépenses des ménages. Et après ? Cette envolée de la consommation signifiera-t-elle que l'économie française se porte mieux ou quel pouvoir d'achat des ménages a brutalement augmenté ? Non, bien sûr. Ceci est d'autant plus vrai que l'Insee procède à des corrections des variations saisonnières qui lissent la volatilité de certains éléments.

Comment mesurer la croissance ?

A défaut de la réformer totalement, peut-être faudrait-il amender la mesure de la croissance pour qu'elle reflète davantage certaines réalités aujourd'hui mal perçues. Les statistiques récentes et leurs interprétations pourraient-elles relancer ce débat, sachant que l'activité économique est mesurée différemment sur les continents ? De nombreux travaux ont déjà été menés sur ce sujet

Lors de son passage à Bercy, Thierry Breton avait souhaité que l'immatériel soit davantage pris en compte dans la mesure de la création de richesses, dans le sillage de la publication du rapport de la commission sur l'économie de l'immatériel rédigé par Maurice Lévy et Jean-Pierre Jouyet.

Les recommandations de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi

Créée en 2008 à l'initiative de Nicolas Sarkozy, la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social, menée par  les économistes et prix Nobel Joseph E. Stiglitz, de l'université de Columbia, et Amartya Sen, de l'université de Harvard,  ainsi que Jean-Paul Fitoussi, de l'Institut d'Études Politiques de Paris, président de l'Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE), a également fait des propositions sur ce point.

Elle a notamment recommandé aux services statistiques de se référer aux revenus et à la consommation plutôt qu'à la production, de prendre en compte le patrimoine en même temps que les revenus et la consommation, d'intégrer à leurs enquêtes des questions visant à connaître l'évaluation que chacun fait de sa vie, de ses expériences et priorités, d'améliorer les mesures chiffrées de l'état de santé, du niveau d'éducation, des activités personnelles, de la participation à la vie politique, des relations sociales, des conditions environnementales et de l'insécurité, de fournir les informations nécessaires pour agréger les différentes dimensions de la qualité de la vie, et permettre ainsi la construction de différents indices et aussi, entre autres, de mieux évaluer la soutenabilité et ses aspects environnementaux.

L'Insee élargit son horizon

Des recommandations que l'Insee adoptent progressivement. En 2014, l'Institut dévoilera ses travaux sur l'évolution sur dix ans du pouvoir d'achat des différentes catégories de ménages, du taux d'épargne par type de ménage ainsi que sur les niveaux de vie au niveau local. En 2015, son enquête patrimoine 2009-2010 sera adaptée pour mieux cerner les hauts revenus, le patrimoine professionnel et le capital immatériel.

Ces nouveaux travaux permettent certes de mieux cerner les différents aspects de la croissance économique. Mais la mesure classique du PIB et de ses principales composantes restent la norme pour les économistes et les médias en France et, plus globalement, en Europe. En revanche, dans certains pays, notamment aux États-Unis, la science statistique semble plus malléable.

Aux États-Unis, la mesure de la croissance a récemment évolué

Depuis 1996, l'utilisation par le Bureau d'analyse économique (BEA) américain des prix hédonistiques, qui corrigent l'augmentation de la qualité des produits selon une estimation de ce que les consommateurs seraient prêts à payer pour cette qualité, entraîne un biais.

Un biais expliqué par l'économiste suisse Marc Surchat, conseiller au secrétariat d'État à l'économie (SECO) helvète dans un article intitulé « Les mesures de la croissance ».

" Imaginons que le chocolat au lait est définitivement remplacé sur tous les marchés par du chocolat au lait aux amandes qui est plus cher. En Suisse, on observerait une augmentation du prix du chocolat, donc de l'inflation, et pas de la croissance. Aux États-Unis, on considérerait que les consommateurs désirent payer davantage pour la qualité. L'inflation ne change donc pas mais il y a eu 'croissance économique' en qualité. En fait, pour les consommateurs qui préfèrent le chocolat au lait sans amandes, il y a eu de l'inflation. Les prix hédonistiques sont utilisés principalement pour les produits connaissant des améliorations technologiques régulières, en faisant l'hypothèse assez fortes que toutes ces 'améliorations' sont désirées par les consommateurs.

Comme les Etats-Unis sont à la fois des gros producteurs et des gros consommateurs de toutes sortes de gadgets technologiques, on estime que la croissance américaine est augmentée de plus de 1% par année grâce à cette méthode, et d'autres révisions allant dans le même sens, depuis son introduction progressive en 1996. En Suisse, comme la quasi-totalité des produits connaissant une baisse des prix régulière basée sur l'évolution technologique sont importés, l'adoption des prix hédonistiques apporterait relativement peu. Il faut donc faire attention en comparant les taux de croissance aux États-Unis avec ceux des autres pays depuis l'année 96 ".

 La production intellectuelle au secours de la croissance

Aux Etats-Unis, toujours, la récente révision quinquennale de la comptabilité nationale permet d'évaluer le PIB différemment. Depuis le 31 juillet, le BEA inclut l'apport de la production intellectuelle. Concrètement, il s'agit de reconnaître les dépenses en recherche et développement, dans le domaine du divertissement, de la création littéraire et artistique comme des investissements à part entière.

Les États-Unis ne sont pas les seuls à appliquer ce changement de méthode comptable, recommandé par les Nations unies en 2008. L'Australie et le Canada l'ont également adopté. Les pays européens devraient suivre en 2014.

Cette nouvelle méthode, à laquelle s'ajoute la modification de la comptabilité des retraites, qui prend en compte depuis juillet les versements effectués par les fonds de pension au fil de l'eau, et non plus en une seule fois, comme c'était le cas avant, pourraient augmenter de 3% le PIB annuel...

Fabien Piliu

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Commentaires 10
à écrit le 02/12/2013 à 12:59
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"Observée jeudi soir, la baisse du nombre de demandeurs d'emplois de catégorie A en octobre en est un bel exemple". Chouette! Et euh... que fait-on des demandeurs d'emplois classés en catégories B, C, D et E au fait?

à écrit le 02/12/2013 à 9:36
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je sais pas comment font les autres mais je bosse 39 heures hebdo et j'arrive pas consommer pour autant, tout juste à payer mes factures et mes impôts surtout.

à écrit le 01/12/2013 à 7:10
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Enfin bref, pour reprendre un mot fameux "La statistique est l'art de mentir avec précision" avec, en écho, "la statistique, c'est comme le bikini, ca montre beaucoup mais jamais l'essentiel".

à écrit le 30/11/2013 à 12:14
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Tout va bien en europe meme si les chiffres disent le contraire ,rendormez vous brave gens.

à écrit le 29/11/2013 à 23:58
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Normal, l'hiver n'est pas la saison de la chasse au pigeon :)

à écrit le 29/11/2013 à 23:05
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Marrant que ces retraites chapeaux aient été mise en place sous le règne de Spineta, patron qui se revendique de gauche!

à écrit le 29/11/2013 à 17:53
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et des produits hédonistes plutôt que dans de l'électricité et du gaz. Tant pis pour GDF et le PIB de la France !

à écrit le 29/11/2013 à 17:52
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Eurodisney 1 millions de visiteurs en moins sur un an c'est parceque il a fait trop chaud ? ou trop froid ?

le 29/11/2013 à 18:00
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C'est un peu du au froid du premier semestre, beaucoup du à la crise notamment en Italie, France et Espagne et aux hausses tarifaires pratiqué par ce parc.

à écrit le 29/11/2013 à 17:11
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La croissance résiste dans les pays voisins , donc nous avons une bonne influence sur leurs marchés , nous achetons beaucoup.

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