La prospective, comme un jeu d'échecs

La prospective a peu à avoir avec les élucubrations en chambre auxquelles ont l'assimile parfois: c'est scruter l'avenir, afin de prendre les bonnes décisions aujourd'hui. Par Didier Schmitt, conseiller scientifique et coordinateur de la prospective, commission européenne*

Ce qui est révolu semble toujours simple, car explicable a posteriori. A l'inverse l'avenir est toujours vu comme complexe et incertain, les options étant innombrables, a priori…

Un monde toujours plus complexe

Chaque génération a eu la nostalgie d'une époque plus tranquille, ce qui est la preuve que le monde 'moderne' s'accélère irrémédiablement. La réalité est bien là, le nombre d'acteurs au niveau géopolitique augmente et les instabilités sociales, économiques et financières sont plus fréquentes.

Le progrès quasi exponentiel des connaissances scientifiques et donc des innovations technologiques ne fait qu'ajouter à cette complexité. D'une certaine façon nous avons l'impression que nos prédécesseurs ont marché alors que nous, nous courons. Marcher nécessite simplement de regarder devant soi, afin d'éviter les obstacles. En revanche quand nous courons il faut regarder, proportionnellement, plus loin ; c'est l'essence même de la prospective.

La prévision relève de la tactique, la prospective de la stratégie

La prévision est une activité tactique. C'est un processus linéaire à court terme qui prend en compte les tendances passées et actuelles pour prédire, logiquement et par extrapolation, la prochaine étape. Il ne s'agit donc que de développer de nouvelles idées à partir d'anciennes. Il s'agit du "futur du passé".

La prospective, quant à elle, est stratégique. C'est un processus disruptif qui tient compte des signaux faibles ou subtils pour imaginer des scénarios probables à long terme. En d'autres termes, elle permet d'échapper aux idées existantes ou préconçues. Il s'agit du "futur du futur". La veille technologique ou «horizon scanning» quant à elle est nécessaire aussi bien à la prévision qu'à la prospective mais insuffisante.

De la précision, sans s'enfermer dans son secteur

Les rapports et études de prospective commencent à être légion, dans le privé, le public, au niveau national, régional même, et même au niveau des institutions européennes. Néanmoins, ils sont soit trop génériques - tendances trop vagues -, soit trop sectoriels - technologies ciblées. Mais il manque crûment d'initiatives qui intègrent des éléments interdépendants. C'est ainsi par exemple que personne n'a vu venir les effets néfastes des politiques publiques sur les bio-carburants.

Une 'prospective intégrée' est en effet essentielle à l'élaboration de politiques pérennes. Toujours dans le domaine énergétique, les études sur l'exploitation potentielle des gaz de schiste, doivent intégrer la géopolitique, les aspects climatiques, économiques, financiers, éthiques, sociologiques, la sécurité, la santé, les avancées technologiques, l'environnement, ou l'urbanisation, et tout ceci dans la durée. En effet, la compréhension d'évolutions à long terme n'est possible que dans un contexte d'ensemble.

 

L'échelon national, complètement dépassé

Comme dans d'autres domaines, c'est aux interfaces que jaillissent les idées novatrices. Il reste ainsi à la prospective d'inventer des outils collaboratifs et de corrélation, afin de promouvoir le co-disciplinaire, de rendre possible la co-création, de faire du co-développement, et in fine de co-innover et même de coproduire. Pour cela l'échelon national est simplement dépassé ! Soyons clairs, la concurrence n'est plus entre nous, les Européens, mais entre l'Europe et les autres acteurs existants ou en devenir.

Soyons aussi dès à présent conscients de notre place dans cette géosphère; en 2025 aucun Etat de l'Union ne sera dans les quinze pays les plus peuplés du monde et en 2050 l'ensemble de nos Etats ne représentera même plus 6% de la population du globe. Des compétences de toutes sortes doivent donc être mobilisées. Ce n'est qu'au prix de tels efforts que le puzzle de la prospective peut prendre forme et faire du sens. Une prospective bien menée doit aussi être démocratique, c'est-à-dire intégrer d'office les avis des citoyens et surtout être transparente sur les avantages et inconvénients, les risques et les bénéfices, des choix possibles.

Créer le futur, le meilleur moyen de ne pas se tromper

Parmi la multitude de diseurs d'avenir, on ne se rappelle que des quelques vrais visionnaires et pas de ceux qui se sont lourdement trompés. Mais là n'est pas le propos de la prospective. La prospective scrute le futur afin de prendre les bonnes décisions au présent. La meilleure façon de prédire le futur n'est-elle pas de le créer ? Ne nous laissons pas aller au gré du vent ou du courant. Nous pouvons réduire la variété d'options par des choix sociétaux éclairés en utilisant judicieusement la prospective.

Prenons les sciences et les technologies, celles-ci doivent tenir compte des possibles environnements socio-économiques dans 20 ans afin que les savoirs d'aujourd'hui puissent être traduits en innovations de demain. Faire de la prospective permettra de générer une vision d'avenir, et d'anticiper les politiques publiques afin de donner un cadre et des objectifs à des industries innovantes. Les défis ne manquent pas.

Comme un jeu d'échecs

Finalement, la prospective c'est comme le jeu d'échec. Ne prévoir qu'un seul mouvement ne suffit pas ; les pièces ont des fonctions différentes comme les composantes d'une prospective intégrée; il faut explorer un maximum de variantes sur plusieurs coups successifs, afin de prendre la bonne décision dans l'instant. Et comme aux échecs, les options futures sont quasi infinies mais seules quelques-unes sont gagnantes. Alors, pour augmenter nos chances de remporter cette partie, branchons nos cerveaux ensemble ! Et surtout mettons-nous - nous Européens - du même côté de l'échiquier…

 

*Didier Schmitt est conseiller scientifique et coordinateur de la prospective auprès de la conseillère scientifique principale et dans le bureau des conseillers de politique européenne auprès du Président de la Commission européenne.

Les opinions exprimées dans le présent article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la position de la Commission européenne.

 

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Commentaires 5
à écrit le 09/12/2013 à 15:53
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Didier Schmitt, fonctionnaire européen surpayé, partant à la retraite au bout de 15 ans d’activité... Et il veut nous faire croire qu'il faut écouter sa prospective de minable technocrate totalement déconnecté du monde réel. Pas de concurrence en...

à écrit le 09/12/2013 à 13:28
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Didier Schmitt, fonctionnaire européen surpayé, partant à la retraite au bout de 15 ans d’activité... Et il veut nous faire croire qu'il faut écouter sa prospective de minable technocrate totalement déconnecté du monde réel. Pas de concurrence en...

à écrit le 09/12/2013 à 12:45
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Super article, si seulement nos politiciens s'en inspiraient aussi, ca semble la meilleure reponse a la modernite, plutot que de repeter sans cesse "c'etait mieux avant"...

à écrit le 09/12/2013 à 12:35
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Si la question se pose: "La meilleure façon de prédire le futur n'est-elle pas de le créer?", c'est que la réponse est déjà en cours et que nous sommes en pleine guerre de prospective et celle des U.S. est la plus visible alors que d'autres ne font q...

à écrit le 09/12/2013 à 12:26
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L auteur de cet article devrait regarder attentivement le présent car dire que la concurrence n est plus entre européens est une totale contre vérité. Appartenant à la commission, il devait pourtant savoir que celle ci l organise a tous les étages ca...

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