Quand les réformes chinoises déboussolent les entreprises françaises

Les réformes annoncées passent par une véritable recomposition de l'administration chinoise, qui risque de déboussoler les entreprises françaises. Au moins à court terme. Par Alice Ekman, chercheur associé, Centre Asie, Ifri
Jean-Marc Ayrault a tenté de promouvoir en Chine l'industrie française

C'est dans une Chine en pleine restructuration que le premier ministre Jean-Marc Ayrault s'est rendu ces derniers jours.

Près d'un an après sa prise de fonction, la nouvelle équipe dirigeante chinoise tente de s'attaquer aux dysfonctionnements des institutions publiques et des grandes entreprises d'État, dans le cadre d'une large campagne anti-corruption déclinée à tous les niveaux - du fonctionnaire municipal au Ministre.

Une première série de restructurations d'institutions centrales

 Les dépenses et avantages accordés aux fonctionnaires et salariés des entreprises d'État sont réduites, leurs missions et systèmes d'évaluation revus, leurs déplacements plus sobres. En parallèle, Xi Jinping a lancé une première série de restructurations d'institutions centrales: ministère des chemins de fer, administration nationale de l'énergie, organes de contrôle de la presse et des publications, ministère de la Santé et de la commission pour le planning familial, administration océanique d'État, entre autres.

 Bien plus qu'une opération de communication

Le combat largement médiatisé contre le « formalisme, la bureaucratie, l'hédonisme et l'extravagance » est aujourd'hui plus qu'une opération de communication à destination d'une population nationale excédée par les scandales de corruption. Il restructure en profondeur le paysage institutionnel chinois.

 Un effort d'adaptation pour les entreprises françaises en Chine

Sur le terrain, les changements imposent un effort d'adaptation aux grandes entreprises françaises présentes en Chine. Certains de ces changements sont anecdotiques: les réunions et banquets de travail avec les partenaires chinois se font plus rares et plus sobres, le nombre d'invitations officielles à visiter les provinces chinoises diminue. D'autres sont plus significatifs, comme par exemple la destitution soudaine du numéro 1 d'un groupe d'État partenaire d'une entreprise française. Pour certains acteurs économiques français, c'est un réseau entier qu'il faut reconstruire suite aux destitutions engagées au cours de l'année 2013. Plusieurs hauts responsables d'institutions publiques et entreprises d'État ont été jugés ou destitués au cours de l'année passée dans les secteurs de l'énergie, des transports, du médicament ou encore des télécommunications.

 De bonnes relations avec les autorités publiques sont primordiales

De telles mesures affectent le quotidien des relations économiques entre la France et la Chine, alors que de nombreuses joint-ventures associent grandes entreprises françaises et groupes d'État chinois, et que de bonnes relations avec les autorités publiques demeurent primordiales pour accéder au marché ou s'y développer. Or de nouvelles mesures devraient intervenir dans les prochaines années.

Compte-tenu de la lourdeur des chantiers institutionnels engagés et des dernières déclarations officielles, il faut en effet s'attendre à d'autres restructurations d'entreprises d'État, fusions de ministère, créations de nouvelles institutions de coordination - à l'instar du Comité de sécurité nationale ou du groupe central dirigeant pour l'avancement des réformes, annoncés il y a deux semaines - ou simplifications des procédures administratives, dont pourraient bénéficier certains investisseurs étrangers dans des secteurs non-stratégiques aux yeux de Pékin.

Comprendre qui est qui et qui fait quoi...                                                                                                                   

A long terme, ces ajustements pourraient faciliter la lisibilité du processus de décision et l'accès au marché chinois. Dans l'immédiat, comprendre qui est qui et qui fait quoi au sein de cette gigantesque administration en recomposition continuera d'être la fastidieuse mais plus que jamais indispensable tâche des institutions étrangères travaillant avec la Chine.

 

 Les groupes publics devront verser plus de 30% de leurs bénéfices à l'État

Au même moment, sur le fond, l'équipe dirigeante chinoise confirme sa volonté de lancer des réformes économiques et sociales ambitieuses au lendemain du 3e plenum du 18e Comité central (9-12 novembre 2013). Elle dresse un diagnostic plutôt exhaustif et sans détours des enjeux auxquels elle doit faire face - des problèmes environnementaux et de sécurité alimentaire aux besoins des ménages en matière d'éducation, de logement, de soins, couverture maladie, etc. - et annonce plusieurs centaines de mesures spécifiques. La question du rôle des entreprises d'Etat dans l'économie nationale est notamment abordée.

D'ici 2020 les groupes publics devront verser plus de 30% de leur bénéfices à l'État sous forme de dividendes (contre 15% au moins jusqu'à présent), pour contribuer au financement de la sécurité sociale. Parmi les mesures les plus explicites, le plénum a également annoncé l'assouplissement de la politique de l'enfant unique, du système de permis de résidence ou l'abolition des camps de rééducation par le travail.

 Pas de changement de cap

Même si la majorité des mesures annoncées demeurent imprécises à l'heure actuelle, une chose est certaine: elles n'annoncent pas un changement de cap soudain. L'assouplissement de la politique de l'enfant unique ne marque pas la fin de la planification familiale (assouplissement limité à 2 enfants maximum par couple concerné); tout comme les mesures facilitant la sédentarisation des migrants ruraux dans les villes de taille moyenne ne marque pas la fin du système de permis de résidence dans l'immédiat.

 Une approche empirique

Toutes ces mesures s'inscrivent dans des chantiers de long terme, que Pékin espère achever sur l'ensemble du pays en 2049, pour le centenaire de la République populaire de Chine, avec des premiers résultats au niveau local espérés d'ici 2020, à l'approche du centenaire de la création du Parti communiste chinois (2021).

La majorité des nouvelles mesures seront en effet d'abord testées au niveau local - dans la future zone franche de Shanghai pour certaines, en zones plus reculées pour d'autres - avant d'être appliquées à l'ensemble du pays. L'approche empirique développée il y a plus de trente ans par Deng Xiaoping n'est pas remise en cause par la nouvelle équipe dirigeante. Au contraire, elle encourage aujourd'hui les gouvernements provinciaux à prendre encore davantage d'initiatives et à être plus autonomes dans la gestion des villes et des districts.

 Des réticences à 'intérieur du Parti et des bureaucraties

Les six prochaines années seront donc celles des tentatives d'expérimentation et d'application tous azimuts dans les provinces. Il n'est pas certain que les délais puissent être tenus, car ces chantiers de taille sont tous entremêlés. Réduire les disparités entre zones rurales et urbaines nécessite la conduite de plusieurs réformes en parallèle: propriété foncière en zone rurale, permis de résidence, développement du système de sécurité sociale, financement des collectivités locales, etc. Par ailleurs, certaines mesures - relatives aux entreprises d'État par exemple - risquent d'être freinées par les réticences existant à l'intérieur du Parti et des bureaucraties concernées.

 Les entreprises françaises doivent pouvoir s'ajuster en permanence

Dans ce contexte, le renforcement des relations économiques bilatérales, objectif affiché de la visite du premier ministre, nécessite du côté français des capacités de veille et d'ajustement permanents, face à un partenaire qui fonctionne à la fois par planification de long terme et expérimentation au quotidien.

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Commentaires 9
à écrit le 10/12/2013 à 21:06
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de quoi on se plain de ne plus passer des marché avec des escrocs notoires et sans scrupule ,

à écrit le 09/12/2013 à 23:32
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.."..formalisme, la bureaucratie, l'hédonisme et l'extravagance »" Si on rajoute, incompétence et surabondance, on a les plaies du système public et territorial français. Si eux s'y collent,pourquoi pas nous?

le 10/12/2013 à 13:58
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J'ai vu dans la Ftp plus de projets motivés par des objectifs électoraux qu'un fond constant d'incompétence. J'ai vu aussi des ingénieurs Insa payés 1700 € pour de grosses responsabilités. Oui à des économies d'échelle et à des élus moins "vitrine"

à écrit le 09/12/2013 à 23:32
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.."..formalisme, la bureaucratie, l'hédonisme et l'extravagance »" Si on rajoute, incompétence et surabondance, on a les plaies du système public et territorial français. Si eux s'y collent,pourquoi pas nous?

à écrit le 09/12/2013 à 21:45
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En France, les entreprises étrangères doivent s'adapter en permanence aux nouvelles taxes et changement de droit du travail. Et pour l'impôt sur les sociétés en France, c'est 33% pour les grands groupes, il me semble.

le 10/12/2013 à 12:01
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Non, 33% c'est pour les PME, pour les grands groupes c'est 4% au maximum.

à écrit le 09/12/2013 à 19:57
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voir ce que font des entreprises chinoise en Éthiopie c est honteux, pire que chez eux , s il y a des français qui partent la bas pour faire fortune alors nous sommes bien des esclavagistes , et nous le sommes car un français c est installer en Éthi...

à écrit le 09/12/2013 à 19:16
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Je ne comprends pas très bien à quoi sert cet article. Est-ce que les entreprises françaises se sentent visées?

à écrit le 09/12/2013 à 17:35
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Les entreprises françaises sont plus sensibles que les autres aux changements en Chine ? Bizarre, pas un mot sur l'origine de cette particularité. Ou bien c'est la même chose pour toutes les entreprises étrangères ? ce qui semble plus plausible ...

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