Quand le parti pris de l’action de l’État nuit à l’innovation privée

Et si l'État, en cherchant à stimuler l'innovation mais en accordant des privilèges fiscaux majorés aux laboratoires publics de recherche, voulait en récupérer les fruits avant qu'ils ne soient mûrs... Par Claude-Alain Cudennec, délégué général de l'Association française des sociétés de services et d'innovation (AFSSI).
On estime aujourd'hui à environ 1 milliard d'euros le chiffre d'affaires de la filière des entreprises de services et d'innovation en Science de la vie en France. Ici, un chercheur du laboratoire de pharmaco-imagerie I.R. M d'Oncodesign (thérapies anticancéreuses), à Dijon.

L'importance de l'innovation pour la compétitivité demeure incontestable. Les moyens de l'État pour en favoriser l'émergence sont classiquement l'attribution de financements et la diminution des prélèvements fiscaux. D'un côté les investissements d'avenir ont fortement doté les organismes de recherche publics et les aides à l'innovation (IHU, IRT, IDEX, Labex, Equipex, Instituts Carnot, ANR, Bpifrance, etc.). De l'autre, le dispositif de réduction fiscale pour les programmes innovants s'est voulu stimulant. Mais pour qui ?

Le long processus d'innovation

L'innovation découle d'un long et coûteux processus de développement pour atteindre le marché. Elle nécessite de très nombreux acteurs dotés de technologies et de savoir-faire. Si parfois l'initiative émerge d'organismes publics de recherche, la conduite des opérations en revient très largement à l'industrie.

Or, celle-ci a depuis longtemps renoncé à réaliser seule les étapes de la R&D. La sous-traitance et le partenariat sont devenus la règle. Et l'incitation fiscale profite alors globalement à ceux qui apportent les phases créatives.

Ce principe est louable sous réserve que l'action de R&D présente un caractère innovant nécessaire à faire sauter un verrou technologique et que le programme de travaux est bien justifié par l'aboutissement de l'innovation. Les dépenses de recherche bénéficient alors d'un crédit d'impôt (CIR) à ceux qui en ont la charge. Et ce, même si ces dépenses sont sous-traitées, soit à des organismes publics, soit à des entreprises privées dûment agréées par le ministère de la Recherche !

L'Etat a instauré une distorsion de concurrence entre public et privé

Mais voilà. L'État édicte des discriminations entre les bénéficiaires. Depuis 2004, les dépenses de « sous-traitance publique » sont prises en compte pour le double de leur montant : celles facturées par les laboratoires publics à des entreprises menant des opérations de recherche s'établissent à raison de 200 % dans l'assiette du CIR, conférant aux entreprises facturées un avantage de 60 % (soit 30 % de 200 %).

À l'inverse, lorsque les entreprises sous-traitent une partie de ces opérations à d'autres entreprises du secteur privé, les dépenses ainsi engagées ne leur confèrent qu'un avantage de 30 %, dans la mesure où les dépenses sont retenues pour leur montant exact.

Et ces dispositions favorables au secteur public ont même été renforcées en 2008, 2009 et 2010 pour s'appliquer aux fondations d'utilité publique, à certains établissements d'enseignement supérieur, ou même à des associations ayant pour fondateur et membre un organisme de recherche.

De fait, l'État reconnaît l'équivalence des prestations effectuées soit par ses organismes de recherche, soit par des entreprises privées en leur accordant à tous l'agrément CIR. Mais dans le même temps, il procure à ses propres structures un avantage fiscal déterminant et instaure une distorsion de concurrence aussi grossière que celle qu'il dénonce dans la compétition internationale entre pays de fiscalités ou de charges sociales différentes.

Qui est lésé par de telles dispositions iniques ?

Il existe en France une filière d'entreprises de services et d'innovation, regroupées au sein de l'AFSSI, dont l'objet principal est de conduire des travaux de R&D pour le compte de donneurs d'ordres industriels. Essentiellement des PME ou ETI. Leur activité est donc intimement liée à l'application des incitations gouvernementales en faveur de l'innovation, dont le CIR. Le piment de cette histoire est que l'État a bien souvent été l'instigateur de la création de nombre de ces mêmes entreprises à coup de concours à la création d'entreprises, de qualification de Jeune entreprise innovante (JEI), etc. Une fois celles-ci installées, l'État organise le « siphonage » de leur marché en attirant les donneurs d'ordres vers les organismes de recherche publics par un cadeau fiscal injustifié.

Et l'effet n'est pas mince. On estime aujourd'hui à environ 1milliard d'euros le chiffre d'affaires de la filière des entreprises de service et d'innovation en Science de la vie en France. Or, le rapport de la Cour des comptes de septembre 2013 souligne que 2.800 entreprises ont déclaré des dépenses de sous-traitance vers les laboratoires publics pour un montant de 435 millions d'euros.

Tout se passe comme si l'État, tout en affichant une politique de soutien à l'innovation, organisait la récupération du moins-perçu fiscal par la collecte de ressources propres des établissements publics de recherche. Ce qui le dispense d'en augmenter les dotations de fonctionnement.

Où est l'équité de la compétition ?

Il y a deux ans, le Conseil supérieur des industries de santé (CSIS), placé sous l'égide du Premier ministre, affirmait : « En bonne harmonie avec le tissu français des PME de prestations scientifiques et technologiques, le CSIS demande à AVIESAN (Alliance pour les sciences de la vie et de la santé) de proposer une charte de bonnes pratiques en matière de prestations de services et prestations de recherche dans le contexte de la recherche partenariale. » Cette initiative a abouti dernièrement à l'engagement des organismes membres d'AVIESAN de ne pas pratiquer de « dumping » tarifaire à l'égard des sociétés de services et d'innovation.

Celles-ci s'en félicitent. Mais si dans le même temps l'État maintient une différence de 30% dans l'assiette de l'attribution du CIR, où est l'équité de la compétition ? La Cour des comptes n'en tire pas d'autres leçons quand elle conclut à l'opportunité de simplifier le dispositif en appliquant une éligibilité des dépenses de sous-traitance sans plafonnement et sans doublement, c'est-à-dire pour leur montant réel. Sur la base de ces éléments, une remise à plat des conditions de sous-traitance publique-privée est nécessaire pour renforcer l'efficacité du CIR. Cela est possible grâce à : une simplicité et une sécurité d'utilisation ; un partenariat combiné efficace entre les donneurs d'ordres et les partenaires publics et privés sous-traitants ; une égalité de traitement des sous-traitants qu'ils relèvent du secteur privé ou public.

De grâce, ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Le CIR reste un formidable outil. Mais les PMI/PME représentaient en 2011 88% des déclarants pour seulement 35% du volume total du crédit d'impôt ! Or, on sait que l'innovation est essentiellement liée aux structures de type PME et ETI. Si un rééquilibrage doit se faire, il devra l'être au profit de ces dernières.

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