Entreprises : comment réagir aux réformes chinoises

Les réformes annoncées ne doivent pas être interprétées comme un adhésion aux règles de l'économie de marché. Mais l'ouverture de nouveaux marchés aux entreprises occidentales serait bien réelle. Par Laurent Malvezin, La lettre de Chine SSF

La stratégie économique chinoise a été arrêtée lors de la grand-messe du parti communiste en novembre, puis le 10 décembre dernier, lors de la conférence annuelle sur l'économie. Depuis quelques mois déjà, l'exécutif chinois, par l'entremise d'experts et économistes attitrés, avait laissé entendre, comme pour prendre le pouls de l'opinion nationale et internationale, que la Chine connaîtrait une croissance moins rapide, mais tout de même autour de 7%.

 Un document de travail pas pris au sérieux

L'attente était si grande que les annonces faites n'ont pas convaincu le grand public du tournant et des risques que s'apprête à prendre la Chine dans son développement économique intérieur. Pourtant, un document, le plan « 383 », un non-papier rédigé par une officine du gouvernement central, avait affiché cette ambition d'une transformation du modèle économique chinois à l'horizon 2020. S'agissant d'un document de travail et non une ordonnance gouvernementale, elle n'a pas été prise au sérieux. Le document liste les 8 principales réformes structurelles de la Chine pour les 6 années à venir. Sa portée ne doit pas être sous évaluée : les engagements pris aujourd'hui devront être maintenus lors de la prochaine transition politique en 2017.

Un maître mot, le marché

Le maître mot de cette feuille de route officieuse est le marché, dont la place et le rôle devra être « déterminant ». C'est une victoire idéologique majeure, nous disent les théoriciens du parti, un petit pas en avant pour la Chine avancent d'autres, plus prudents, estimant que les pouces de terrain gagnés sur l'économie dirigée peuvent être reperdus lors d'une prochaine bataille idéologique. Quoiqu'il en soit, les réformes annoncées se veulent globales et adossées à une vision stratégique à long terme de la « renaissance chinoise ». Schématiquement, elles couvrent les domaines suivants de la vie économique et sociale et devront être déclinées de front : l'État et l'administration, les grands secteurs monopolistiques, le système foncier, le système financier, la fiscalité, la gestion des actifs de l'État, l'innovation et la stratégie d'ouverture du pays.

Le marché chinois profondément impacté

Toutes ces réformes intéressent de près les entreprises étrangères, car au-delà, c'est bien le marché chinois et ses règles de fonctionnement, qui vont être impactés profondément et durablement. En voulant un État plus efficace, elles bouleverseront son processus de décision politique et administrative. Au centre d'abord, en mettant l'accent sur un process moderne à circuit court, mais plus transparent donnant vie à de véritables politiques publiques dans les domaines économique, industriel et sociétal.

Un système de compliance se mettra en place, avec de nouveaux garde-fous institutionnels. Dans cette cure d'amaigrissement de l'Etat, le mille-feuille administratif cèdera la place à un processus réglementaire et normatif nouveau, qui pourra devenir contraignant, voire handicapant, pour ceux qui n'anticipent ou n'accompagnent pas ce mouvement de standardisation, mais une aubaine pour les entreprises qui savent évoluer dans un milieu aux règles du jeu évolutives.

Un des marchés les plus concurrentiels

Car le marché chinois - ce marché-monde - est déjà l'un des plus concurrentiels au monde. Le vice-président de la R&D de Schneider Electric en Chine, Fabien Faure, soulignait ce point lors d'une conférence à Paris : « tous nos concurrents internationaux sont sur le marché intérieur chinois, aux côtés de nos concurrents locaux ».

Quand le planificateur chinois pense « marché », il pense avant tout au grand marché intérieur qui permettra de réduire les inégalités économiques, renforcer la mobilité des biens et des personnes, des technologies, des produits à l'ensemble du territoire, brisant au passage les barrières au commerce mises le plus souvent en place par les provinces motivées par une croissance rapide au détriment de tous les facteurs qui pourraient la freiner. Ces facteurs s'appellent : protection de l'environnement, terres arables, protection sociale…

Un électrochoc interne

A l'image de ce qui s'est passé en 2001 avec l'adhésion de la Chine à l'OMC, cette réforme se veut être avant tout un électrochoc interne, contraignant les gouvernements locaux, entreprises et banques à s'organiser rapidement pour faire face aux nouveau défis dont la question de la dette des collectivités locales, peut-être la vraie seule bombe à retardement que les autorités chinoises auraient identifiée depuis quelques années déjà comme risque systémique majeur.

Un accès facilité des entreprises étrangères aux marchés chinois

Quelles conséquences pour nos entreprises ? Tout d'abord bien comprendre ce que signifie l'« ouverture au marché » que prônent les autorités chinoises, bien qu'il existe en leur sein des divergences sur le taux et les modalités d'ouverture. S'agit-il d'une ouverture au marché, c'est-à-dire aux lois du marché (que l'on connait, sinon lesquelles ?) où du marché, à savoir un accès facilité aux marchés chinois (publics, privés, centraux et locaux) ?

Ouverture du marché chinois signifie de notre point de vue ouverture du potentiel de marché - dont les marchés publics - aux entreprises privées, dont étrangères, dans de nouveaux secteurs et dans des secteurs réglementés. On pense alors immédiatement au concept de réciprocité et d'ouverture effective des marchés dans un but de rééquilibrage des échanges.

 

Pas de vraie convergence des règles du jeu avec l'occident

Si les nombreux accords de libre-échange, et les négociations en cours avec l'UE - notamment concernant l'accord sur les investissements - tendent à montrer que c'est bien cette direction qui est prise, la réalité décrite et documentée par les entreprises européennes en Chine nous fait comprendre un autre message, moins rassurant sur la signification réelle de la politique d'« ouverture », qui semblerait plus proche d'une « ouverture choisie » que d'une convergence des règles du jeu. Aussi, même si l'on considère cette ouverture comme une libéralisation « au marché », c'est-à-dire aux lois du marché, nous ne sommes pas non plus très rassurés.

Un risque de prolifération des normes

En effet, nous observons une tendance à un retour au bilatéralisme dans le commerce international, le semi-échec de l'OMC aidant, dans lequel chaque pays veut garantir des débouchés sur les marchés extérieurs tout en protégeant le sien contre une « invasion » étrangère. Les marchés intérieurs pourraient, dans ce cas, se complexifier davantage (par la prolifération des normes) pour rendre la partie plus difficile aux nouveaux entrants. L'effet collatéral de ce mouvement serait contre-productif pour la Chine car l'attractivité de son territoire et de son marché en pâtirait.

Une cure d'amincissement salutaire

Néanmoins, il nous apparaît que le mouvement actuel observé va dans la bonne direction, malgré les quelques interrogations soulevées. En effet, la tendance de fond qui se dessine est une volonté de rendre l'économie chinoise plus efficace et plus profitable en théorie à tous les acteurs qui évoluent sur son marché, en réduisant les zones grises ou informelles de l'économie nationale. En ce sens cette cure d'amincissement est aussi un fantastique plan d'amélioration de la vie publique et économique chinoise avec lequel il faudra composer pour pérenniser son développement en Chine.

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Commentaire 1
à écrit le 07/01/2014 à 17:47
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trés intéressant et bien analysé, la chine évolue mais prudence sur l'ouverture, au détriment de qui ? ils sont beaucoup plus pragmatiques que nos angéliques comissaires européens qui ouvrent à la concurrence totale sans aucune protection, concurrenc...

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