Sotchi : pourquoi Poutine a déjà gagné

JO puis Formule 1 et Coupe du monde: Vladimir Poutine a compris l'importance du sport pour renouveler son dispositif diplomatique, et jouer la carte du "smart power". Par Jean-Christophe Gallien, professeur associé à l'Université de Paris 1 la Sorbonne

Qu'on le veuille ou non, avant même le début de la compétition, la première médaille d'or des Jeux Olympiques d'hiver de 2014 a déjà été attribuée à … Vladimir Poutine. Marchant dans les pas de Nelson Mandela, de Tony Blair et de Lula qui s'étaient tous personnellement engagés auprès de chaque membre de la FIFA et du CIO pour gagner l'organisation la Coupe du monde de football 2010 par l'Afrique du Sud et des JO d'été de 2012 pour Londres et les deux pour le Brésil ! Poutine avait rallié le Guatemala où siégeaient, en 2007, les électeurs du CIO pour les courtiser individuellement avant et pendant le vote final.

La fin des humiliations des années 90

La décision du CIO vient alors rompre une longue et noire séquence entre défaites, replis voire humiliations qui marquent le destin de la Russie durant les années 90. Poutine qui s'est s'installé au pouvoir en 2000 lance rapidement une nouvelle dynamique d'abord tournée vers les réformes internes. Le changement de paradigme dans la dimension externe et géopolitique débute donc véritablement avec l'obtention, en 2007, de l'organisation des Jeux Olympiques d'hiver. Véritable marqueur des ambitions renouvelées et de la nouvelle doctrine de la Russie, la décision du CIO, comme pour la Chine quelques années plus tôt, marque le retour de la Russie au premier plan, dans le concert des Nations au cœur d'un Monde Multipolaire fait d'une compétition territoriale exacerbée. Une nouvelle Histoire Russe est en marche.

Des JO à la Coupe du monde de foot

S'ouvre en 2007, une séquence fondamentale dont le point d'orgue sera l'organisation de la Coupe du Monde de Football de 2018 et qui verra, encore en 2014, se dérouler, à Sotchi aussi, le premier Grand Prix de Formule 1 de l'histoire en Russie ! D'autres actes ont suivis dès 2007. Pas forcément ceux que l'on attendait en lien avec les valeurs de l'olympisme mais très proches en fait de la force diplomatique et politique des anneaux.

 Sotchi, au coeur de la reprise en main régionale

Le 12 décembre 2007, la Russie suspend l'application du Traité sur les forces conventionnelles en Europe. Une opération est menée en Géorgie en août 2008. Le signal était à la fois régional, comme une reprise en main de la zone et des accès à la Mer Noire, et international : un STOP déterminé aux actions de l'Otan dans ladite zone avec les différentes révolutions et autres activités notamment autour du contournement de la Russie du pétrole et du gaz des ex républiques soviétiques. Sotchi était au cœur de la "géographie" de cette "reprise en main" régionale ! « Nous sommes chez nous ici » : Mer Noire et Caucase, Ukraine, Géorgie, …

 Célébrer le retour d'une Russie éternelle

Il y avait aussi, évidemment, une forte dimension interne avec la célébration du retour d'une Russie éternelle qui gagne enfin et l'affirmation de l'aura du leader vainqueur héroïque. Il s'agissait aussi d'une autre reprise en main, cette fois des dérives russes et notamment des corruptions locales. Poutine voulait une démonstration de réussite à marche forcée et peut-être avec excès et déperdition mais il fallait que la Russie soit au RENDEZ-VOUS de l'événement, dans le timing, malgré ses insuffisances notoires.

Tout ceci pour créer de la confiance durable en direction en particulier des entreprises étrangères qui s'interrogeaient par exemple sur leur participation (nécessaire pour la Russie) à la construction des infrastructures du prochain grand événement sportif : la Coupe du Monde de Football de 2018.

Enfin la séquence est aussi à travers Sotchi celles des premiers pas de la Russie dans la dimension essentielle du soft power contemporain. Une « puissance douce » totalement absente jusqu'alors d'un dispositif diplomatique Russe très dosé dans le Hard ! Vladimir Poutine a compris que le Sport est l'un des ingrédients qui lie le mieux hard et soft en             « puissance intelligente », le SMART power.

Le pouvoir des anneaux, modeste, mais magique!

Là, la victoire ne pourra être évaluée qu'en 2018 et pas avant. Aucun événement, même la Coupe du Monde de Football, ou les JO d'été, encore moins ceux d'hiver dont l'universalité est nettement plus limitée, paradoxalement aux géographies qui ont tendance à regretter le choix de Sotchi, ne peut changer à lui seul l'image d'un pays. Pour ne citer que les plus récents, ni les Jeux d'été de 2008 en Chine, ni la Coupe du Monde de Football en Afrique du Sud n'ont vraiment modifié les représentations de ces pays ou de leurs systèmes politiques. On n'écrit jamais sur une page blanche lorsque l'on veut impacter les esprits et les cœurs des opinions publiques mondialisées et ultra connectées. Il faut beaucoup de temps, beaucoup de continuité et de contenu pour qu'une narration modifie un peu ce que l'on pense d'une personne, d'une marque, d'une ville et encore plus pour un pays. Il faut surtout des actes forts, repérables, compréhensibles et positifs. Des actes de gouvernement pour un pays et un leader politique.

Le pouvoir des anneaux est plus modeste mais presque magique ! Ce que nous retenons c'est avant tout les victoires et les exploits des sportifs. Et chaque pays se retrouve surtout transporté par les talents qui le représentent. Parfois même ceux des autres.

JO en Russie, Coupe du monde au Brésil, le basculement vers un nouveau monde

On va s'enflammer ou se détourner de la compétition selon les résultats de ses athlètes. Comme tous les peuples engagés dans les compétitions, sceptiques ou opposés à la tenue des JO à Sotchi, nous nous transformerons tous en de fervents supporters de la Russie si la France et ses athlètes gagnent des médailles.

L'année 2014 qui croise les Jeux Olympiques d'hiver en Russie et la Coupe du Monde au Brésil marque la basculement vers un Nouveau Monde, un Nouveau Paradigme qui s'impose aussi par le Sport et qui s'impose au monde sportif à travers les grandes compétitions et les grandes organisations sportives : JO et CIO, Coupe du Monde et FIFA, F1 et FIA, Tennis et ATP … Chine, Afrique du Sud, Brésil, Russie, Qatar, Malaisie, Bahrein, Singapour, Chine, Abu Dhabi … la mutation des cartes et des géographies des événements sportifs est totale. Le Sud, les BRICS, les émergents disent « C'est notre tour »

Il ne manque désormais que l'Inde ! Sport et diplomatie, business aussi, dansent ensemble, et depuis toujours, un ballet complexe mais au combien révélateur de l'équilibre du Monde. La Chine et Xi Jinping boycottent le Boycott et viennent soutenir Vladimir Poutine sur le site même de Sotchi. Peut-on encore s'interroger pour savoir qui a gagné ?

 

*Jean Christophe Gallien, Professeur associé à l'Université de Paris 1 la Sorbonne, Président de j c g a

Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals

 

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Commentaires 6
à écrit le 08/02/2014 à 9:33
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Franchement, nous avons tous compris qui est Poutine et mettre des dizaines de milliard de $ pour organiser une sauterie chez lui n'y changera rien. M. Poutine n'existe que par les réserves de pétrole et de gaz de son pays, pour le reste tous les spo...

le 08/02/2014 à 9:55
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Nuire en évitant une guerre inutile en Syrie par exemple? Allez avouez que vous êtes écœuré et aigri en songeant à la différence au ridicule personnage par accident élu en France comparé à Poutine. En outre vous êtes peut être furieux de voir q...

le 08/02/2014 à 20:24
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Pendant que la Russie n'a connu que Poutine et sa marionnette, la France a connu 3 présidents différents, chacun dans leur style et 2 fois l'alternance. On peut penser ce qu'on veut de la Russie, les conditions n'y sont pour l'instant pas réunies pou...

à écrit le 07/02/2014 à 14:09
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Rénover la vitrine, c'est bien.... mais comme vous le laissez entendre, il va falloir faire venir le challand et côté endettement la mule est déjà bien chargée... Les grecs se souviendront longtemps de leurs JO... Ne parlons pas de la prochaine coupe...

à écrit le 07/02/2014 à 12:32
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@ Auteur. La seule chose avec laquelle je suis d’accord c’est qu’en Russie les dirigeants ont compris l’intérêt de « soft power ». Le reste est pour le moins discutable, même la fin de l’humiliation des années 90 qui était là, se transforme en nouvel...

à écrit le 07/02/2014 à 12:03
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Plus personne ne regarde la Formule 1 qui est un manège de pognon, sans intérêt technologique ; Tout au plus c'est un cirque de corruption et de magouille fiscales.

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