Sortir de la déflation en Europe

Même Arnaud Montebourg l'admet, la déflation menace l'économie française. Seule la BCE a les moyens de changer la donne. Des solutions techniques existent. Par Michel Santi, économiste*

 « Nous avons la zone la plus dépressive au monde (…). Cette situation est ubuesque », vient de déclarer Arnaud Montebourg, Ministre de l'Industrie, aux Echos. En référence à la menace de déflation qui pèse sur l'économie française. Une déflation désormais confirmée par les statistiques pour l'Espagne et pour le Portugal qui le sont officiellement (en données corrigées de l'augmentation de leur TVA.), pendant que le taux d'inflation en Irlande, lui, est à zéro… Sans évoquer le cas d'école grec qui, pour sa part, semble irrémédiable ! Parallèlement, l'orthodoxie continue de traiter avec mépris et de traiter d' »intégriste » toute tentative de relance qui ne passerait obligatoirement pas par la saignée des classes moyennes. Et la plus Haute-Cour allemande - et donc européenne ! - se lave les mains de la déprime européenne…

 Que la BCE rompe enfin le carcan de l'austérité

Arnaud Montebourg serait-il le seul responsable politique français - voire européen - à comprendre la différence entre maco économie et micro économie ? Car il est aujourd'hui vital pour l'ensemble de l'Union que la seule institution encore dotée d'une certaine force de frappe - à savoir la BCE - rompe enfin ce carcan - fait d'austérité, d'investissements en berne et de prix déclinants - qui étouffe nos économies à petit feu. Les effets maléfiques de la déflation en Europe sont tels que le taux d'intérêt réel ne fait que grimper en pesant davantage sur les fondamentaux, en dépit d'un taux officiel proche de 0%. Le corollaire étant des ratios dettes/PIB qui s'envolent à 170% en Grèce, entre 115 et 125 % en Irlande, en Italie et au Portugal.

 Aller au delà de l'arme des taux directeurs

Alors même que la BCE dispose des extincteurs permettant d'interrompre cette escalade du taux d'intérêt réel qui décime l'économie européenne. Elle se retrouve toutefois impuissante à lutter aujourd'hui contre cette calamité si elle se borne à faire usage du seul levier de la réduction de son taux directeur, qui -comme on le sait - ne peut aller au-dessous de zéro. Pourtant, au-delà et par delà d'hypothétiques baisses de taux quantitatives (c'est-à-dire de la création monétaire pure et simple) qui ne se matérialiseront jamais du fait de l'opposition farouche des pays du Nord. Il existe ça et là, pour la banque de Mario Draghi, des opportunités pour contourner cette orthodoxie néo libérale qui exige des cigales qu'elles expient leurs pêchés.

 Deux programmes à revoir

Elle pourrait par exemple agir sur le « Programme pour les marchés de titres » ou « Securities Markets Programme », dit SMP, qui revient en fait à des interventions sur les marchés obligataires publics et privés de la zone euro ayant consisté à acheter environ 200 milliards d'euros de Bons du Trésor de pays européens périphériques dans le but de contenir l'envolée de leurs frais de financement. Excellente initiative au demeurant… si ce n'est que ces achats avaient été en leur temps « stérilisés », c'est-à-dire neutralisés en exigeant de la part des Etats soutenus qu'ils déposent auprès de cette même BCE des sommes équivalentes à celles acquises par la banque centrale.

En d'autres termes, le programme SMP avait été financé par les Etats secourus, au lieu de l'être par l'intermédiaire du bilan de la BCE, c'est-à-dire grâce à sa création de monnaie ! A présent que ces obligations sont progressivement sur le point de venir à échéance, pourquoi la BCE ne rembourserait-elle pas ces sommes aux pays concernés, entreprenant ainsi des baisses de taux quantitatives indirectes ?

 Des centaines de milliards prêtés aux banques, et investis en bons du Trésor

Et pourquoi ne pas évoquer l'autre grand programme de la BCE, le fameux LTRO, censé motiver les banques à prêter aux entreprises afin de relancer les économies périphériques ? Comment ne pas constater l'échec total de ce programme qui fut en réalité dévoyé par les banques ? Ne voilà-t-il pas effectivement que les centaines de milliards d'euros prêtés aux banques par la BCE au taux très avantageux de 1% furent majoritairement réinvestis dans les Bons du Trésor de leur pays de tutelle, à 4, à 5 voire à 6%, permettant donc aux établissements financiers d'encaisser des bénéfices faciles… Tandis que les prêts consentis à l'économie réelle fondaient comme neige au soleil.

 Quatre maux qui fondent le diagnostic déflationniste

Pour résumer, le diagnostic déflationniste est confirmé dès lors qu'une économie souffre de quatre maux qui se trouvent être ceux qui touchent aujourd'hui l'Union européenne : des prix et des investissements en baisse, une croissance économique inexistante, des taux d'intérêt directeur de la Banque Centrale proche du zéro absolu et des prêts en baisse à l'économie.

Historiquement, seule la guerre a permis de sortir de ce mal absolu

Il est regrettable que nos responsables politiques ne soient pas un peu historiens car ils se seraient dès lors rendus compte que les nations touchées par la déflation n'ont pu rompre le cercle infernal de ce mal absolu que par la guerre ! En effet, alors que c'est le second conflit mondial - et pas le New Deal - qui permit aux Etats-Unis de s'extirper de leur déflation suite à la Grande Dépression.

L'Allemagne, pour sa part, ne sortit victorieuse de la sienne qu'en réarmant massivement, avec les suites qu'on connaît. Plus près de nous, le Japon - qui subit la déflation depuis le début 1990 - ne semble sur le point aujourd'hui de s'en sortir qu'à la faveur d'une surenchère nationaliste savamment orchestrée par son Premier Ministre, Shinzo Abe, et des risques tous les jours accrus d'une conflagration avec la Chine.

 

* Michel Santi, économiste franco-suisse, conseille des banques centrales de pays émergents. Il est membre du World Economic Forum, de l'IFRI et est membre de l'O.N.G. "Finance Watch". Vient de paraître : une édition étoffée et mise à jour des "Splendeurs et misères du libéralisme" avec une préface de Patrick Artus et, en anglais, "Capitalism without conscience". Vient de paraître :"L'Europe, chronique d'un fiasco politique et économique"

 

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Commentaires 11
à écrit le 17/02/2014 à 11:12
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Un seul truc nouveau dans votre papier, Monsieur Santi, c'est le mot "guerre". Compte tenu de ce que les banques et les supranationales ont toujours pu contourner les tentatives de régulation, vos préconisations et les projets de Barnier ne seront v...

à écrit le 17/02/2014 à 9:52
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C'est quoi la déflation : l'augmentation du pouvoir d'achat de la monnaie avec le temps.

à écrit le 17/02/2014 à 9:20
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M Santi s'il y a la guerre quelle nationalité choisirez-vous?

à écrit le 17/02/2014 à 9:11
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vive l’Europe (la paix pour ceux... qui ne comprennent pas)

à écrit le 17/02/2014 à 9:03
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La politique de l'offre mène a la désinflation, celle de la demande a l'inflation et la B.C.E ne désire ni l'une ni l'autre! Preuve que l'euro est un monolithe inadaptable et seul les économies doivent s'adapter par moins d'offre et plus de demande ...

le 17/02/2014 à 10:24
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La monnaie s'adapte a l'économie et non pas le contraire, il est plus facile de faire une dévaluation monétaire qu'un dévaluation économique qui ne mène nulle part!

le 17/02/2014 à 12:15
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@en bref : "La monnaie s'adapte a l'économie et non pas le contraire" => ça c'est un dogme qui ne résiste pas sur le terrain ! Quand on décide de faire bouger la monnaie c'est pour que cela ait aussi un impact sur l'économie ! Il a y donc rétroactivi...

le 17/02/2014 à 15:47
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C'est vrai l'euro a un sacré impact sur l'économie! C'est un dogme qui ne résiste pas sur terrain!

le 17/02/2014 à 17:36
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l'euro a un impact sur le terrain français : l'industrie disparait

à écrit le 17/02/2014 à 8:45
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C'est surtout sortir de l'Euro et de l'Europe qui importe le plus.

le 17/02/2014 à 12:17
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Bé oui, quand les capteurs et les sondes pitot ne répondent plus correctement, il faut repenrdre le manche (cf vol AF447)

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