Action de groupe : les risques pour les entreprises

A priori, la loi Hamon encadre strictement les actions de groupe que pourront intenter les consommateurs. Mais des risques persistent pour les entreprises, compte tenu d'un certain flou. Par Laurent François-Martin, avocat aux Barreaux de Paris et Bruxelles, DS Avocats

Tant de fois évoquée et régulièrement remise aux calendes grecques, l'arlésienne qu'est l'action de groupe va entrer en vigueur dans les prochaines semaines, sauf décision du Conseil constitutionnel… Déjà susceptibles de se voir appliquer de fortes amendes, notamment en cas de pratiques anticoncurrentielles, les entreprises vont devoir anticiper ce nouveau contentieux « de masse ».

 Certes, les entreprises vont échapper à l'action de groupe à l'américaine, la procédure retenue prévoyant certains garde-fous, mais le flou réside encore dans de nombreux domaines. Il faudra donc attendre non seulement les décrets d'application mais surtout l'interprétation qu'en donnera le juge.

 Des gardes fous

 Différents gardes fous limitent les risques pour les entreprises. En premier lieu, l'action de groupe est réservée à 16 associations de consommateurs représentatives au niveau national et agréées, ce qui limite le risque d'actions fantaisistes. En second lieu, la loi ne prévoit que « la réparation des préjudices patrimoniaux résultant des dommages matériels subis par les consommateurs » et dus à des manquements d'entreprises au droit de la consommation et de la concurrence, ce qui exclut, d'une part, la réparation des préjudices moraux ou corporels et d'autre part, qu'une action de groupe puisse être lancée pour des manquements liés à d'autres domaines du droit, tels l'environnement ou la santé.

 Des risques qui persistent

 Un groupe de consommateurs comprendra tous les consommateurs placés dans une « situation similaire ou identique ». Or, la cette notion reste floue et dépendra de l'interprétation des juges. Par ailleurs, la constitution du groupe n'est encadrée par aucun seuil. Un nombre très restreint de consommateurs pourrait donc suffire à constituer un groupe...

Ensuite, si le législateur a retenu un système « opt-in » en vertu duquel le consommateur doit faire une démarche active pour adhérer à un groupe, il appartient au juge de fixer les critères de rattachement ainsi que le délai pour y adhérer. Mais, bien que le système d'opt out ait été exclu pour éviter les dérives de la class action américaine, les entreprises seront incapables de savoir combien de consommateurs vont et une obligation de provision leur incombera alors.

 Dans certains cas, le juge peut condamner une entreprise à indemniser directement des consommateurs identifiables

Par ailleurs, la loi Hamon introduit une procédure simplifiée proche du système opt-out en vertu de laquelle, lorsque l'identité et le nombre des consommateurs sont connus, le juge peut condamner l'entreprise à les indemniser directement et individuellement, sans démarche initiale de leur part. Cela vise notamment les hypothèses où il existe des fichiers clients, à l'instar des secteurs de l'assurance, de la téléphonie mobile, de la télévision payante, de la vente à distance ....

Le juge, chef d'orchestre de la procédure

La procédure s'articulera en deux phases : un jugement au fond statuera d'abord sur la responsabilité du professionnel, déterminera les critères de rattachement au groupe et fixera le montant de l'indemnisation, ainsi que la procédure pour permettre aux consommateurs d'obtenir cette indemnisation. Ensuite, une phase d'indemnisation permettra d'obtenir l'indemnisation fixée par le jugement. Si des difficultés s'élèvent à l'occasion de la mise en œuvre du jugement, le même juge pourra être saisi pour les trancher.

 Le juge est ainsi érigé en « chef d'orchestre de la procédure » mais les modalités de son intervention sont à peine précisées. Par ailleurs, pour les actions liées à des pratiques anticoncurrentielles, si la demande ne pourra être jugée qu'à la suite d'une décision devenue définitive des autorités ou juridictions nationales ou de l'Union européenne compétentes, l'action de groupe pourra toutefois être préalablement engagée.

 La dénonciation de pratiques anti-concurrentielles sera plus périlleuse

En cas de non-lieu rendu par une autorité de concurrence, même si l'action de groupe ne peut prospérer, les coûts engagés par le professionnel au titre de la procédure seront irréversibles et son image écornée. Par ailleurs, une action de groupe n'aura pas nécessairement pour effet de mettre fin aux actions individuelles.

En outre les entreprises risquent d'être dissuadées de recourir à la procédure de clémence devant les autorités de concurrence en vertu de laquelle les entreprises, qui dénoncent certaines pratiques anticoncurrentielles auxquelles elles participent, bénéficient d'une ou d'une réduction totale ou partielle d'amende car une telle procédure n'exclut pas le risque d'une action de groupe.

 Dans l'attente des décrets d'application (sur les modalités d'introduction de l'action et la procédure simplifiée notamment), l'incertitude et donc les risques pour les entreprises sont importants et en tout état de cause, il est clair que le juge dispose d'une grande marge d'appréciation.

 

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Commentaire 1
à écrit le 07/03/2014 à 16:43
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Si l'action de groupe devient le seul moyen d'obtenir gain de cause vis à vis de la société "Les Senioriales", les copropriétaires rassemblés au sein de l'ADCS (Association de défense des copropriétaires des résidences Senioriales) y auront recours !

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