Au centre du jeu, la BCE est condamnée à décevoir

On attend trop de la BCE, qui a trop de casquettes. Il est temps de réévaluer les conséquences de la stratégie de désendettement de l'ensemble du système, qui conduit à une impasse. Par François Leclerc, journaliste

La BCE a gagné sa précédente bataille sans tirer un seul coup de feu, va-t-elle pouvoir renouveler son exploit ? Rien n'est moins certain. Le marché obligataire européen s'étant calmé devant la menace de son intervention, qu'elle n'a pas eu besoin de mettre à exécution, la pression déflationniste actuelle diminuera-t-elle comme prédit par ses soins, sans qu'elle intervienne comme les marchés l'ont clairement souhaité en manifestant leur désappointement devant son inaction ?

Quelle "vision claire de la situation"?

Afin de défendre celle-ci, Peter Praet, son économiste en chef, a revendiqué « une vision claire de la situation » que l'on aimerait connaitre. Après avoir affirmé que « les projections d'inflation pour la zone euro à moyen terme continuent d'être fermement ancrées », et innové en s'appuyant sur des « anticipations d'inflation » à trois ans au calcul problématique dans un contexte qui continue à être hors norme à tous égards, son président Mario Draghi est revenu sur ses propos sans doute trop définitifs en reconnaissant que « le renchérissement de l'euro devient de plus en plus pertinent dans notre évaluation de la stabilité des prix ». « C'est pourquoi - a-t-il ajouté - la BCE a préparé ses mesures non-conventionnelles supplémentaires ».

La BCE ignore les effets de la "dévaluation interne"

Mais s'il est exclu d'en parler de peur de le voir se concrétiser par ce seul effet, le danger d'une « japonisation » européenne larvée est présent dans les têtes. L'appréciation de l'euro qui est enregistrée renvoie à ce qu'a connu le Japon, dont le niveau très élevé du yen avait accru les pressions déflationnistes et l'avait finalement entraîné dans une déflation de longue haleine, dont il ne parvient toujours pas à clairement sortir.

Les chroniqueurs vedette du Financial Times s'en mêlent, Wolfgang Münchau titrant son article « L'Europe n'a pas les moyens d'ignorer son problème de déflation » et Martin Wolf le sien « Le spectre de la déflation ». Et si la BCE reconnaît les effets de l'appréciation de l'euro et de la baisse du prix des matières premières dans les tendances déflationnistes, elle affecte d'ignorer ceux qui résultent de la « dévaluation interne ». Faible croissance et pression déflationniste ne favorisent pas, il s'en faut, le désendettement, et la stratégie qui s'en revendique se délite lentement mais sûrement, c'est pourquoi il ne faut pas aborder le sujet.

Une inflation sous-jacente proche de zéro, en France

Dans l'immédiat, la désinflation se poursuit en Europe, selon l'Office fédéral des statistiques allemands. En Allemagne, le taux d'inflation diminue de mois en mois, passé de 1,4% en décembre à 1,3% en janvier, et désormais à 1,2% en février. Pour la zone euro, il était selon Eurostat de 0,8% en janvier en valeur annuelle également, et en première estimation identique en février. Les services d'étude de BNP Paribas tablent pour cet été sur 0,5%.

La Commission table sur une inflation de 1% en 2014 et de 1,3% en 2015, et estime que le danger de déflation est marginal, en raison du « renforcement progressif de la reprise et du regain de la confiance », mais ses annonces s'inscrivent dans une longue série de prévisions erronées et biaisées pour le besoin de ses démonstrations. L'INSEE français et l'Office fédéral des statistiques allemand ont par contre annoncé de quoi s'interroger : l'inflation sous-jacente (excluant les prix volatiles de l'énergie et des produits agricoles) a été mesurée à 0,1% en valeur annuelle en France, et les salaires diminuent en valeur réelle (hors inflation) en Allemagne.

Une inflation trop basse pendant une période prolongée, un risque admet la BCE

La BCE a cependant admis que « le fait d'avoir une inflation basse pendant une période prolongée constitue un risque en lui-même », tandis que la Commission reconnaissait qu' « une inflation très faible sur une période prolongée dans la zone euro entraînerait des risques pour le rééquilibrage de l'économie ». Mais l'on s'en tient là, pour l'instant du moins, en fondant ses espoirs sur des anticipations qui reposent, il faut le noter, sur l'hypothèse hardie mais politiquement correcte d'un développement des exportations qui reste à concrétiser.

Il faut aller fureter du côté des économistes des grandes banques, notamment BNP Paribas, pour y trouver étudiées des hypothèses d'intervention ultérieure de la BCE - qui se concrétiseront ou non - sous la forme d'achats massifs de titres obligataires (via leur intermédiaire, sur le marché secondaire). Différentes formules sont envisagées par eux, qui auraient pour résultat de faire de la BCE non plus un prêteur mais un preneur de risque en dernier ressort… Pourquoi s'y résoudrait-elle ?
Parce que la banque centrale n'a pas comme seuls soucis l'appréciation de l'euro et la menace inflationniste (quoiqu'elle en dise) : elle sait aussi qu'elle va devoir faire face à la poursuite du « tapering » de la Fed, dont la conséquence attendue est une hausse des taux obligataires chargeant encore la barque et élevant un obstacle de plus au désendettement.

Les banques critiquées pour leur "mauvais désendettement"

La croissance, enfin, résoudrait bien des problèmes si elle se manifestait franchement. Mais après avoir espérée la voir tirée par celle des pays émergents - qui décline - et annoncé qu'elle va résulter de l'amélioration de la compétitivité européenne, il est enregistré que la chute du crédit bancaire aux entreprises la contrarie ! Benoit Coeuré, membre du directoire de la BCE, en vient à critiquer le « mauvais désendettement des banques » qui taillent sans discernement dans leurs bilans, pour préconiser un bon désendettement, mais sans en donner la recette magique.

C'est maigre, et il ne faut pas compter sur une relance du crédit aux entreprises résultant d'une intervention de la BCE sur le marché des Asset-backed Securities (ABS) : Mario Draghi s'est réfugié derrière la complexité du sujet pour préconiser une réévaluation préalable de la réglementation du Comité de Bâle les concernant, qui donnerait aux banques une marge de manœuvre. Celle-ci a été calibrée en fonction du risque sur le marché américain, explique-t-il, où il est bien plus élevé qu'en Europe.

La BCE porte trop de casquettes à la fois, et il en est attendu des miracles qui ne se produiront pas. Une réévaluation en profondeur de l'impasse (et du désastre social) induit par la stratégie de désendettement qui a été choisie pourra-t-elle être longtemps éludée ?



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Commentaires 2
à écrit le 17/03/2014 à 18:45
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Comme si les US, qui nous dirigent, allaient permettre que nous dévaluions aussi...

à écrit le 17/03/2014 à 18:28
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ce que vous écrivez , les français le comprennent pas...ajoutesz des dessins Ja Ja Ja !!!

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