Le pacte de responsabilité, l'emploi et la firme

Le pacte de responsabilité, qui fait appel au bon vouloir des chefs d'entreprise pour créer de l'emploi, contredit la nature même de notre système économique capitaliste. par Sofiane Aboura, maître de conférences, Paris Dauphine

Le pacte de responsabilité, initié le 14 janvier 2014 par le Président Hollande, constitue un tournant significatif dans le rapport que les gouvernements entretiennent avec les entreprises. Il constitue également un enjeu politique crucial en période électorale. Il repose sur deux principes. Le premier principe vise essentiellement à alléger le coût du travail et constitue, par le même fait, un complément et un prolongement du Crédit impôt compétitivité emploi (CICE) mis en place en janvier 2013 et dont l'objectif est de baisser les cotisations sociales par l'intermédiaire d'une réduction de l'impôt à acquitter dès 2014.

A juste titre, ces aides reposent pour l'essentiel sur les salaires allant jusqu'à 2,5 fois le SMIC. Ce type de dispositif est un levier classique dont se servent les gouvernements successifs pour contribuer à faire baisser le chômage par le biais du coût du travail. Ce pacte coûterait 10 milliards d'euros, financés par des baisses de dépenses publiques, auxquelles s'ajouteraient les 20 milliards du CICE, financés par la hausse de la TVA jusqu'à l'horizon 2017.

Le pacte peut-il conduire à une baisse du chômage?

Mais la nouveauté est introduite par le second principe du pacte de responsabilité qui vise à demander d'une manière explicite des contreparties principalement en termes de création d'emplois. Le patronat semble réticent à s'engager par voie contractuelle sur un nombre de créations d'emplois à l'issue de cette politique et même à valider l'existence d'un observatoire des contreparties. Bien que ce dispositif, au cœur de la nouvelle politique économique, soit porteur d'espoir, peut-il réellement conduire à une baisse significative du chômage ? Cette problématique majeure implique trois questions importantes imbriquées les unes aux autres, dont la première concerne l'examen du fondement économique de cette politique.

 Coût du capital contre coût du travail

Quelle est la rationalité économique sous-jacente au pacte de responsabilité ? Le pacte de responsabilité repose sur la relation fondamentale, souvent conflictuelle, entre le coût du capital et le coût du travail dans le cadre d'une économie de marché. En effet, on peut établir une analogie entre le donnant-donnant mis en avant par les pouvoirs publics et la répartition de la richesse de l'entreprise qui se manifeste d'une part, par le coût du capital et d'autre part, par le coût du travail. Le coût du capital correspond au coût moyen des ressources longues, capitaux propres et dettes financières, qui financent les investissements.

Il est négocié entre le dirigeant et ses pourvoyeurs de fonds, mais dans la réalité, il est le plus souvent imposé par les argentiers de l'entreprise et particulièrement par l'actionnaire qui en demeure le propriétaire légal. Ce dernier exige une rémunération à la hauteur du risque encouru par l'investissement alors que le créancier exige une rémunération qui, entre autre, couvre le coût d'opportunité encouru. Ainsi, le coût du capital compense à la fois le risque et la durée de l'investissement.

Le coût du travail correspond à la rétribution que l'employeur paye à l'employé sous la forme de salaire, de prime et de cotisations sociales perçues. Il rétribue la force de travail qu'elle soit manuelle ou intellectuelle. Or, il est reproché au débat public d'être excessivement centré sur le coût du travail sans pour autant évoquer son pendant qu'est le coût du capital. Si le coût du travail reste le plus souvent seul à être évoqué comme un frein à la compétitivité des entreprises, cela est dû à la nature capitaliste de la firme classique. Pour le comprendre, il convient de s'interroger sur la nature de la firme capitaliste.

 La finalité de la firme capitaliste: le profit maximum

 Quelle est la nature de la firme capitaliste ? Les courants néo-classiques et néo-institutionnalistes ont apporté une contribution significative et qui parfois tend à rejoindre la vision marxiste notamment au sujet du diagnostic de la firme capitaliste. La firme capitaliste est la forme d'organisation économique la plus efficace en ce qu'elle est le mode d'organisation économique dominant dans le monde moderne. Elle vise à faciliter les échanges entre toutes les parties prenantes sur la base d'arrangements contractuels.

Elle a donc pour finalité le profit maximum en tant qu'un instrument de mise en valeur du capital de l'actionnaire. Cela implique notamment que l'accroissement des rémunérations doit être inférieur à celui de l'accroissement de la productivité. Autrement dit, pour qu'une firme reste compétitive, elle doit diminuer ses coûts de production en s'appropriant une part des gains de productivité générés par l'expérience professionnelle des salariés acquise dans l'entreprise. La conséquence directe est que, par nature, la firme capitaliste a pour objectif de réduire ses coûts de production. Elle y parvient car elle sait mieux que quiconque construire un arrangement contractuel avec son dirigeant pour mieux l'inciter à contrôler ces coûts de production en lui faisant adopter un comportement maximisateur.

Une allocation autoritaire des ressources

A son tour, ce dirigeant va mettre sur pied des arrangements contractuels avec ses employés qui vont garantir l'intensité maximum au travail par l'intermédiaire de mécanismes d'incitation comme une rétribution ou une promotion, ou si cela suffit, par une simple menace de licenciement dans un contexte de fort taux de chômage. C'est dans ce cadre, que le dirigeant est amené à procéder à une allocation autoritaire des ressources puisque le mode de gouvernance est fondé sur un rapport hiérarchique.

Ce dernier provient de la nature même de la propriété privée qui ouvre le droit au contrôle des ressources, mais également le droit à s'approprier le surplus. Si l'on comprend que c'est la nature même de la firme capitaliste qui conduit son dirigeant à centrer son attention sur les coûts de production, il faut en dernier lieu, s'interroger sur l'émergence de la firme capitaliste pour comprendre la nature économique du lien entre le coût du capital et le coût du travail.

 L'actionnaire et son agent, le dirigeant d'entreprise décident de la répartition entre le coût du capital et celui du travail

Pourquoi la firme capitaliste existe-t-elle ? Elle a émergé parmi plusieurs autres modes d'organisations productives qui l'ont précédées durant des siècles car elle a su mieux que les autres réduire les coûts de fonctionnement du système économique et en particulier les coûts de transaction. La réduction des coûts de transaction s'effectue par l'internalisation des transactions à travers la transformation de contrats marchands plutôt courts-termistes en contrats salariés plutôt long-termistes. Ainsi, la firme capitaliste est fondée sur le contrat salarial dont la nature incomplète et incertaine pourrait le rendre sujet à conflits et cela d'autant plus que l'agent économique (employeur et employé) est par essence opportuniste.

Pour autant, cela n'est pas le cas, car si le salarié accepte de se soumettre de son plein gré à ce rapport d'autorité en signant un contrat de travail, c'est uniquement par nécessite pour assurer sa propre subsistance. Ainsi, l'employeur achète non seulement la capacité de travail de l'employé par l'intermédiaire du contrat salarial, mais également son obéissance du fait que ce contrat le subordonne à une hiérarchie. Cette relation d'emploi est défavorable au salarié puisque le risque est asymétriquement concentré entre ses mains en cas de rupture du contrat de travail. C'est bel et bien le capital qui semble embaucher le travail. Autrement dit, si cela est avéré, c'estuniquement l'actionnaire et son agent, le dirigeant qui décident de la répartition entre le coût du capital et le coût du travail.

 Les créations d'emplois auront lieu au détriment des finances publiques

En somme, le pacte de responsabilité est une novation dans la relation partenariale, entre les pouvoirs publics et les entreprises, en ce qu'il repose sur une relation contractuelle entre le coût du capital et le coût du travail. Mais la firme capitaliste vise par nature à réduire les coûts de production en sélectionnant les projets d'investissement qui maximisent la rentabilité du capital, mais aussi en sélectionnant les contrats salariaux qui minimisent le coût du travail.

Au final, il est difficile de concevoir un accord partenarial dans lequel l'actionnaire, de son plein gré, renonce à maximiser son capital au profit d'une plus grande quantité de travail. Ainsi, si ce pacte est créateur d'emplois, cela ne peut se faire qu'au détriment des finances publiques. Autrement, le levier qui semble le moins coûteux et le plus efficace pour agir sur le chômage, reste le SMIC ; mais seule une opportunité politique permettrait de faire adopter une telle réforme structurelle dont le résultat serait profitable à tous les salariés.

 

Sofiane Aboura

Maître de conférences,

Université Paris-Dauphine

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Commentaires 3
à écrit le 02/04/2014 à 8:20
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En effet c'est un peu théorique et on aurait attendu une solution meme s'il semble donner une piste à la fin avec le smic...

à écrit le 01/04/2014 à 23:16
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Un constat d'échec en tous points de vue...et rien de concret à proposer. Bref, de la pure théorie laborantine !

à écrit le 01/04/2014 à 21:23
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