La liste des critiques dont fait l'objet la communication politique est établie depuis longtemps : substituant l'émotion à la rationalité, la simplification à la complexité, le fantasme au réel, les positions de court terme et les lois de circonstances aux réformes profondes, elle est devenue une fin plutôt qu'un moyen, paralysant de son emprise l'action politique. Avec Arnaud Montebourg, nouveau Don Quichotte sans cesse en guerre contre les moulins de la mondialisation, tous ces défauts exacerbent les trois plaies, typiques de la démagogie, dont meurt la parole publique.
Désigner des boucs émissaires
Première technique démagogique connue : désigner des boucs émissaires. En déclarant vouloir « demander des explications aux banquiers » sur l'augmentation de leur rémunération alors que les PME continuent d'avoir du mal à se financer, il accomplit d'abord un contre-sens, ignorant que l'encours de crédit aux TPE-PME est en hausse, alors même que les banques sont désormais soumises à de nouvelles règles prudentielles qui ont pour effet de contraindre le crédit.
Surtout, il désigne à la vindicte populaire les cibles faciles que sont les « gros salaires », ignorant que les rémunérations des patrons de nos grands groupes, loin de faire l'objet d'une allocation arbitraire décidée au dernier moment, sont dans leur quasi-totalité désormais déterminées par rapport à des objectifs de performance clairement fixés et validés en assemblée générale.
Google, un autre ennemi
Les banquiers n'éclipsent cependant par ces autres ennemis désignés à notre époque numérique : les grandes firmes du net, en particulier la plus notable d'entres elles : Google. Forcément mauvaises car étrangères, même quand elles créent des emplois en France, elles sont des accusées faciles. En participant à un colloque comme celui de l'Open Internet Project (le 16 mai) qui a clairement pour objectif de critiquer unilatéralement la gestion du dossier Google par le Commissaire européen à la concurrence Almunia, M. Montebourg s'aperçoit-il d'ailleurs qu'il est en réalité instrumentalisé par certains acteurs dans ce qui reste une bataille concurrentielle ? Preuve que naïveté et posture robespierriste peuvent cohabiter.
La simplification séduisante
Deuxième technique : la simplification séduisante mais spécieuse. En prétendant réduire les questions de la croissance et de l'emploi à un énigmatique « patriotisme économique » dont il suffirait de faire preuve, c'est un détournement subtil de l'attention qui est opéré : c'est notre attitude à tous qui est incriminée (celle des consommateurs qui font le mauvais choix, des dirigeants qui sont forcément cupides), et non les structures réglementaires que l'Etat a créées ou les stratégies qu'il a décidées qui sont mauvaises.
Dans le dossier Alstom par exemple, M. Montebourg pourra se donner les gants de mener le combat du bon sens alors qu'il intervient sans mandat dans une décision d'entreprise entièrement privée qui est déterminée par des critères stratégiques, et surtout qu'il ne fait que traiter les conséquences d'un problème d'attractivité du site France pour les sièges sociaux sans en traiter les causes (au premier rang desquelles la fiscalité applicable aux entreprises et aux hauts revenus).
Exclure toute remise en cause de l'action
Troisième technique : par une sorte de pyramide de Ponzi dialectique, opposer, aux preuves flagrantes de l'échec des discours passés, encore plus de nouveaux discours. C'est ainsi qu'il est possible de continuer de nier la réalité avec constance, répondant à chaque échec par un « oui mais » excluant toute remise en cause des principes d'action.
A la crise du logement sans cesse aggravée par les réglementations croissantes de ce qui ne ressemble déjà plus guère à un marché, on opposera ainsi la solution géniale de nouvelles réglementations (M. Montebourg ne s'est pas occupé de ce dossier, mais gageons que ses solutions n'auraient pas été différentes de celles appliquées par Mme Duflot).
La crédibilité de l'action publique en jeu
C'est bel et bien la crédibilité de l'action publique qui se joue ici. Car la technique voit son efficacité rapidement érodée. Plus les objectifs sont ratés, les engagements bafouées et les prétentions à l'influence ridiculisées, moins la parole publique est crédible. Perte de confiance et surenchères des politiques pour essayer de susciter à tout prix l'adhésion s'entraînent mutuellement dans un cercle vicieux dont l'aggravation suit la courbe en constante augmentation de l'abstention.
La rhétorique obsessionnelle de notre ministre est ainsi à la fois le symptôme de la crise de notre régime, caractérisée par la rupture consommée entre le peuple et ses représentants, et l'une de ses principales causes aggravantes. La solution serait de rompre avec cette dialectique, convertissant la parole politique à une modestie qui ne serait pas résignation, une limitation des prétentions qui ne serait insignifiance mais au contraire concentration des énergies sur l'essentiel. Le regretté Michel Crozier écrivait déjà en 1986 « Etat moderne, Etat modeste », une idée plus que jamais d'actualité.
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