L'Egypte entre réformes économiques et risque d'insurrection populaire

L'Egypte est en pleine croissance, et les investisseurs veulent y croire: la bourse du Caire a gagné 80% depuis juillet. Mais tous les problèmes ne sont pas résolus pour autant. par Quentin Gollier, consultant

Anwar El-Sadat, le dirigeant égyptien ayant précédé M. Moubarak, avait un jour confié à un journaliste du magazine américain Time qu'une « bonne journée » se mesurait avant tout au fait que son pays n'était pas, le soir venu, traversé par une quelconque guerre civile. Les Frères Musulmans élus avant d'être chassés, et les militaires sur le point de reprendre le contrôle politique du pays, l'Égypte continue d'entraîner ses voisins et le reste du Moyen-Orient sur son étrange trajectoire entre croissance économique précaire et incertitude politique totale sous le regard de plus en plus inquiet des monarchies du Golfe.

80% de hausse pour la bourse du Caire depuis le coup d'Etat de juillet

Le 16 mai, l'Egypte lançait en grande pompe son premier exchange traded fund (ETF)- ou « tracker » - indexé sur les valeurs de l'EGX 30, la bourse du Caire. Défiant les pronostics, cette petite place boursière a vu sa valeur augmenter de 80% depuis le coup d'Etat lancée par l'armée contre le gouvernement de Mohammed Morsi en juillet dernier. HSBC, Procter & Gamble ou Coca-Cola sont parmi ces firmes internationales cherchant depuis à s'étendre agressivement sur ce marché de 90 millions de personnes, subventionnées par un généreux système social.

Le régime militaire, en attendant les élections cet été, multiplie en effet les appels de pieds aux firmes internationales, cherchant à mettre en avant les nombreux avantages du pays (principalement une bonne infrastructure et une pléthorique main d'œuvre bon-marché) pour séduire les investisseurs.

 Une économie auparavant contrôlée par un réseau véreux de militaires

Il y a quelques années pourtant, la situation était loin d'être aussi intéressante pour les porteurs de capitaux. Subsistant dans un véritable Etat « patrimonial », l'économie égyptienne était en effet contrôlée en écrasante majorité par un réseau véreux de militaires d'active ou retraités, possédant en sous-main la plupart des compagnies bénéficiaires du tissu national. Verrouillant totalement la concurrence par un système protectionniste défendu par un parlement aux ordres, et sans aucune ambition de s'étendre dans le reste d'un monde arabe pourtant demandeur d'une production locale, l'Egypte a depuis Nasser vivoté dans un nationalisme complexé porté par des politiciens toujours prompts à rejeter la faute d'une croissance molle sur le reste du monde plutôt qu'à prendre des décisions courageuses en politique publique.

La chute de Moubarak a débloqué la situation

La chute spectaculaire de Moubarak, avant tout pour des raisons d'ordre économique, a fait l'effet d'un véritable séisme dans ce statu quo, le peuple mettant en avant de véritables aspirations individualistes centrées sur l'emploi et des salaires décents. L'incapacité marquée du gouvernement de Mr. Morsi de fournir rapidement des gages en la matière, et notamment la répulsion des touristes occidentaux à revenir dans un pays dirigé par les Frères Musulmans, a progressivement sonné le glas d'une importante partie de la légitimité de ce gouvernement, pourtant mené par un homme politique populaire. La « reprise de contrôle » totalement illégitime de l'armée a dès lors à la fois marqué la fin de l'expérience démocratique égyptienne autant qu'elle apporte un espoir de véritable réforme économique profonde du pays.

Une pression du FMI pour mettre fin au système de subventions publiques...

Si Hany Kadri, le ministre des affaires étrangères du nouveau régime en tournée régulières dans les places boursières européennes, admet bien volontiers que les taux de croissance de 6% affichés avant le révolution ne « sont pas possibles dans un futur proche », il reste que le FMI et les pays du Golfe mettent une pression importante autour des nouveaux décideurs pour déverrouiller les frictions traditionnelles d'une économie qui repose en grande partie sur les subventions publiques.

... mais un soutien sans faille des monarchies pétrolières qui craignent l'instabilité

Contrairement à la Tunisie qui aura énormément de mal à conjuguer libéralisation et Etat providence étant donné l'absence de bailleurs internationaux volontaristes, l'ensemble des monarchies pétrolières du Golfe est terrifiée à l'idée d'une Egypte basculant à nouveau dans l'instabilité et semble prêt à financer ad vitam aeternam si il le faut le régime sur place, l'éventualité d'une nouvelle révolution menaçant toujours le rythme cardiaque de princes héritiers saoudiens vieillissants.

Un déficit budgétaire important

Toutefois, malgré l'aide intéressée des voisins, le déficit de l'Etat atteindra encore cette année fiscale (finissant fin juin) près de 11,2% du PIB. Le FMI -solidement épaulé par la Banque Mondiale et la Banque Européenne de Reconstruction et de Développement -, dont les conseils sont de plus en plus suivis par le gouvernement par intérim, pousse dans l'intervalle un grand programme de libéralisation, marqué notamment par l'ouverture du marché des télécoms à la concurrence qui pourrait à lui seul ramener le déficit public à 10% du PIB d'après Mr. Kadri.

Coca-Cola investit 500 millions, une décision vue comme le couronnement de la nouvelle politique

L'initiative récente de Coca-Cola d'investir 500 millions dans ses capacités de production locale a été parallèlement saluée comme le couronnement de cette politique nouvelle devant marquer le retour de l'Egypte au centre des capacités industrielles du monde arabe. Le tracker flambant neuf sur l'EGX 30 sera l'étalon des succès des nouveaux ministres, et reste ainsi à surveiller avec attention dans les prochains mois, sa volatilité pouvant atteindre des niveaux extrêmes à l'approche des élections.

Le risque d'un mécontentement populaire, jusqu'à l'insurrection...

En effet, le risque politique reste la contrainte principale à l'investissement en Egypte. Malgré les garanties combinées des Etats-Unis et des monarchies pétrolières, l'absence de résultats économiques visibles sur le court et moyen terme pourra clairement provoquer un retour à une phase de mécontentement populaire potentiellement insurrectionnelle.

Si l'Egypte est traditionnellement moins xénophobe que certains de ses voisins régionaux (en partie du fait de son exposition au tourisme), une nouvelle phase révolutionnaire pourra aisément être instrumentalisée par des politiciens opportunistes qui pourront jouer la carte isolationniste coutumière des pays au passé glorieux mais n'ayant pas réussi à s'intégrer à la mondialisation. La sélection rigoureuse des candidats à la prochaine élection présidentielle empêche pour l'instant la cristallisation des mécontentements, mais en cas de retour à une démocratie plus direct dans un contexte où la situation économique générale ne s'est pas notablement améliorée, un désastre de populisme intransigeant de type nassérien est tout à fait envisageable.

Des talents d'équilibriste nécessaires au nouvel homme fort du pays, Abdel Fattah Al-Sisi

Alors que le gouvernement s'empêtre dans une série de simulacres de procès visant les Frères Musulmans (manquant du même coup de faire basculer le pays dans un scénario « à l'algérienne »), le nouvel homme fort du pays, Abdel Fattah Al-Sisi, promet de maintenir la cadence en matière économique une fois véritablement élu. Tentant de satisfaire à la fois les fragiles classes moyennes dans leurs besoins économiques (croissance et stabilité) autant que politiques (représentativité), M. Al-Sisi aura donc à résoudre l'équation que M. Moubarak n'a jamais réussi à équilibrer.

Il aura en tous les cas besoin d'être aussi doué en équilibrisme qu'en économie, tant les revendications populaires égyptiennes sont aujourd'hui marquées. Ayant désormais rassemblé dans le sang l'ensemble des cartes dans sa main, à lui de prouver que le monde arabe peut trouver une voie vers le développement même sans pétrole, et dans un cadre laïc.

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Commentaires 3
à écrit le 22/05/2014 à 20:29
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un etat qui gouverne sur des bases illegitimes ne perdurera pas le peuple se retient face a la machine a broyer des militaire qui veut diviser le peuple entre islamiste et laic mais une dictature ne dure pas tot ou tard le clown sissi fera lever le...

à écrit le 21/05/2014 à 21:21
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pourquoi? ...

à écrit le 21/05/2014 à 20:08
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Ces entreprises qui investissent en Egypte peuvent avoir honte de leur choix. Je ne comprends pas que les Etats-Unis et L'UE n'ont imposé aucun embargo contre l'Egypte.

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