Quand l'Amérique abuse de son pouvoir

Pour BNP Paribas, l'interdiction des transactions en dollars par la justice américaine est l'humiliation suprême. Au delà, le dollar joue toujours un rôle prépondérant, donnant aux Etats-Unis un pouvoir immense

 Ce n'est pas l'amende infligée de 9 milliards de dollars. Ce n'est pas non plus qu'elle soit contrainte de licencier quelques cadres supérieurs accusés - au minimum - de négligence. Ni même la reconnaissance formelle de sa culpabilité, qui représente en soi un acte sans précédent. La plus grande banque française est effectivement en mesure d'assumer, et même de relativement bien digérer ces sanctions. En outre, du haut de ses 14.000 salariés aux Etats-Unis, BNP Paribas devait bien s'attendre à une expédition punitive de la part d'un gouvernement dont elle avait violé les lois. Il est, en revanche, moins sûr qu'elle se sorte indemne de sa suspension et de sa mise au ban des opérations de compensation en dollars - même provisoire -, si celle-ci est réellement décrétée par la justice new-yorkaise.

L'humiliation suprême

BNP Paribas pourra certes passer par d'autres canaux pour ses transactions en monnaie américaine et faire appel à des établissements financiers correspondants qui, eux, sont en mesure de lui fournir ce service, même s'ils en profiteront pour le lui faire payer plus ou moins chèrement. Il n'en reste pas moins que, pour un géant bancaire comme BNP Paribas, son exclusion du gigantesque et du fondamental réseau des transferts en dollars se révélera lourd de conséquences qui affecteront rudement et, ce, non seulement ses finances, mais également et surtout sa réputation, sa fiabilité et sa crédibilité.

En effet, priver BNP Paribas du privilège que lui confère sa taille de fournir ce type de services à ses clients - privés, sociétés, institutionnels mais également à d'autres banques de moindre importance - et la contraindre à en être réduite à sous traiter ces opérations constitue l'humiliation suprême. De nos jours et dans notre monde global, dans un contexte où les entreprises effectuent quotidiennement des transactions transfrontalières et transcontinentales, il est impensable qu'un mastodonte comme BNP Paribas en soit réduit à quémander la faveur de concurrents.

"Punir l'avenir"

Au-delà de la connotation morale intolérable d'une telle sanction qui revient en outre à "punir l'avenir" pour des fautes relevant du passé (pour reprendre les termes de Michel Sapin sur France Info le 23 juin), les Etats-Unis devraient se montrer très prudents dans l'usage de leur monnaie comme instrument, voire comme arme, au service de leur vendetta financière. Dès lors qu'ils se servent d'un médium d'échanges censé être neutre - voire relevant aujourd'hui du patrimoine mondial - comme le dollar, qu'ils ne s'étonnent guère si certains pays s'appliquent à briser leur domination économique et financière. L'agacement, la colère et l'incompréhension sont effectivement légitimes quand une hyper puissance exploite ainsi à outrance les pouvoirs que lui offre la monnaie par excellence de réserves mondiales, et qui se trouve être la sienne.

Soutenir la stratégie chinoise


De ce point de vue, la stratégie chinoise - qui promeut année après année son yuan dont les transactions ont bondi du reste de 50% l'an dernier - se doit d'être soutenue. Et comment ne pas comprendre la logique de l'attitude russe ayant pris la tête d'une cabbale anti-dollar pour avoir subi la coupure unilatérale du robinet des transactions en billets verts, après avoir abusivement annexé la Crimée. Les Etats-Unis d'Amérique cherchent-ils aujourd'hui à s'aliéner la France, ou font-ils le calcul (compréhensible) que la faiblesse extrême de son exécutif limitera considérablement ses réponse et marge de manœuvre ?

Le rôle toujours prépondérant du dollar

En dépit de l'érosion lente, mais inéluctable, de son statut de monnaie de réserve mondiale (passé de 71% en 1999 à 61% en 2013 et qui devrait encore se tasser autour des 50% dans les dix ans à venir), le dollar américain conserve son rôle prépondérant dans le système financier mondial, du fait de l'importance inégalée du marché intérieur américain, grâce au traitement tellement liquide et diversifié de la dette américaine, et enfin par la force de son immense système bancaire.

Mais pas seulement! C'est le facteur crucial de la confiance qui fait que le dollar n'a, à ce jour, nul concurrent sérieux et digne de ce nom. En effet, s'il n'existe - aujourd'hui - nulle alternative au dollar, c'est que nous vivons et évoluons - depuis l'effondrement de Bretton Woods - dans un système monétaire intégralement bâti sur la bonne volonté de ses participants sachant que, à cet égard, le dollar est bien plus qu'une monnaie d'échange. Il est le symbole même de la confiance ! Implosion de leurs valeurs technologiques en 2000, crise de leurs subprimes en 2007, cataclysme de leur crise du crédit en 2008: il devient - pour eux comme pour nous - vital qu'ils usent de modération car notre monde ne pourra traverser une nouvelle secousse - qui serait la quatrième en quinze ans! - sans conséquences financières et humaines incalculables.

 

 

Michel Santi est directeur financier et directeur des marchés financiers chez Cristal Capital S.A. à Genève. Il a auparavant conseillé des banques centrales après avoir été trader sur les marchés financiers. Il est l'auteur de :  "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience" et "L'Europe, chronique d'un fiasco politique et économique"

 

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Commentaires 11
à écrit le 12/09/2014 à 20:07
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il y a quand meme qqch qui me chagrinne.... londres est devenu une tres grosse place financiere ( en fin ' encore plus grosse') quand elle a du commencer a recycler les euro-dollars que les sovietiques ne pouvaient pas trader au usa... tt est possibl...

à écrit le 13/07/2014 à 9:03
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POUR SORTIR DU DICTAT DU DOLLARD IL FAUT COMME LE DIT POUTINE FABRIQUE DE LEUROS???

à écrit le 08/07/2014 à 16:49
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Il manque un mot dans votre article : pétrole. Avec des dollars vous pouvez acheter du pétrole.

à écrit le 08/07/2014 à 9:54
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Mr Santi, la Russie n'a pas abusivement annexé la Crimée. Révisez votre histoire SVP. Vous oubliez volontairement le coup d’état de Kiev de la part d'un conglomérat financier et néo nazi, contre un président démocratiquement élu et cela avant des é...

à écrit le 07/07/2014 à 19:33
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L'europe est incapable de punir Goldman sachs qui a trafiqué les comptes de la Grèce ?

à écrit le 01/07/2014 à 2:45
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et "Quand les journaleux abusent de leur pouvoir!?!..." Hein?

à écrit le 30/06/2014 à 15:53
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BNP Paribas avait été dûment averti par les autorités américaines mais l'esprit de défiance du "village gaulois" du Boulevard des Italiens a prévalu et s'est rapidement transformé en hubris. La sanction est à la mesure du crime (amende de 25% du mont...

à écrit le 30/06/2014 à 13:40
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Amusant de lire : "Il est le symbole même de la confiance" alors que les Brics n'ont pas été inventés pour rien (ASEA, Accord SUCRE, BC des Pays du Golf..)... Et que l'Euro prend, néanmoins, une place grandissante dans les réserves des BC dont les co...

à écrit le 30/06/2014 à 12:29
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"Pour BNP Paribas, l'interdiction des transactions en dollars par la justice américaine est l'humiliation suprême." Phrase à supprimer car mensongère.

à écrit le 30/06/2014 à 10:54
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Ce ne sont que les derniers gestes de l'empire américain mourant.

le 30/06/2014 à 12:26
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Oui, finalement, cela sent l'hallali...Ils n'ont pas trouvé d'autres moyens pour concurrencer PARIBAS... La violence est le dernier argument des imbéciles, et là, la Justice US a été particulièrement violente. Cette décision sera très probablement co...

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