Suzanne Berger : "aux Etats-Unis, le processus de recherche-innovation est bloqué"

Professeur au MIT, spécialiste de la mondialisation, Suzanne Berger a étudié de près l'écosystème des start ups aux Etats-Unis. Son verdict: s'il existe un dynamisme évident dans le domaine des médias sociaux, la fragmentation de la recherche ne permet pas de renouveau industriel.

Professeur de Sciences politiques au Massachussetts Institute of Technology (MIT), Suzanne Berger a travaillé ces dernières années sur les questions de mondialisation. Elle s'est penchée récemment sur le problème de la désindustrialisation aux Etats-Unis, dont une des origines est l'échec du modèle actuel de recherche-développement. Dans une interview accordée à la Tribune, en marge des rencontres économiques d'Aix, elle souligne ses craintes sur le développement de l'industrie américaine, y compris dans le domaine de la high tech.

-Les Etats-Unis ont perdu 6 millions d'emplois industriels, depuis le début de la crise. Vont-ils les retrouver à la faveur de la reprise ?

Ce n'est pas certain. Ce que nous avons vu disparaître, ce sont des pans entiers de l'industrie. Et cela ne correspond seulement à l'industrie traditionnelle, mais aussi à celle qui innove, dans les hautes technologies. Prenez une firme comme IBM, qui avait en son sein des structures dédiées à la recherche, des centres de formation, les salariés y faisaient leur carrière, ils pouvaient entre les différents métiers (recherche, fabrication, services...), ils étaient constamment mis à niveau : tout cela a disparu. C'était tout aussi vrai pour des firmes comme Dupont (chimie), Bell ou Rank Xerox, qui avait son « Xerox park », centre de recherche renommé, qui a  disparu.
Quand les chercheurs de Dupont ont découvert le nylon, ils ont su très vite convaincre toute l'entreprise de l'intérêt de ce nouveau produit, et il a remplacé la viscose, pour le plus grand profit de tous. Aujourd'hui, une telle aventure n'est plus imaginable. Car Dupont n'investit plus dans la recherche fondamentale. Et, là comme ailleurs, comme dans les autres secteurs, c'est l'Etat qui doit le faire, le contribuable se trouve désormais au service de l'industrie.
En outre, l'activité s'est totalement fragmentée, aussi bien en ce qui concerne la production -on sait qu'un produit conçu aux Etats-Unis sera fabriqué avec des pièces issues de différents pays d'Asie et assemblé en Chine-, que la recherche.
Avant, une firme comme Kodak, avec ses 60.000 employés à Rochester à la fin des années 50, avait bien sûr son centre de recherche, mais le groupe travaillait évidemment avec des dizaines d'entreprises spécialisées dans l'optique, qui formaient un véritable écosystème. Aujourd'hui, tout est fragmenté...

-Est-ce si grave ?
Oui, dans la mesure où le processus d'innovation est grippé. Aujourd'hui, on compte beaucoup sur les start ups, pour ce faire. Mais le problème, c'est qu'elles sont bloquées dans leur développement. C'est seulement une minorité qui entre en bourse, et celles qui n'y ont pas accès manquent cruellement de capitaux, à un moment ou un autre.

-Pourtant, nous avons bien vu apparaître les Google, Facebook, qui sont devenus des géants...
-C'est vrai, comme il est vrai que le secteur des « social medias » peut se développer. Mais ce n'est qu'une partie de la high tech ! Le reste -électronique, bio-tech-  a beaucoup plus de mal.
Nous avons étudié le sort de 200 start ups nées sous l'égide du MIT entre 1997 et 2008. 50 d'entre elles étaient spécialisées dans les « social medias ». Les 150 autres, spécialisées dans les bio-techs, dans les semi-conducteurs, avaient réussi à lever, initialement, des fonds considérables, 75 millions de dollars en moyenne. Mais quand elles ont voulu passer à une phase ultérieure de leur développement, quand il s'est agi de fabriquer des produits, donc d'implanter des usines, en vue d'une commercialisation, elles ont eu besoin de fonds supplémentaires, et les « venture capitalists » ont refusé de suivre. Quant aux introductions en Bourse, elles sont étonnamment peu nombreuses.
Ce sont donc autant de développements qui ont été bloqués, faute de financement.

-Comment débloquer cette situation ?
-L'Etat fédéral tente de le faire. L'administration Obama finance des « Manufacturing innovation institutes », le premier créé l'a été dans le domaine des imprimantes 3D. Les industriels hésitaient à investir dans cette technologie, dont les débouchés sont encore incertains, l'Etat a donc pris le relais. Plus que jamais, il joue donc un rôle majeur, mais il risque d'être insuffisant.

 

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Commentaires 5
à écrit le 24/08/2014 à 14:16
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@Yves oui, pourquoi pas?, mais : - à condition en parallèle de nettoyer le système des brevets, complètement perverti et qui permet de breveter n'importe quoi - et il faudra voir si les financements seront au rendez-vous... or la spéculation ou...

à écrit le 24/08/2014 à 14:15
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@Yves oui, pourquoi pas?, mais : - à condition en parallèle de nettoyer le système des brevets, complètement perverti et qui permet de breveter n'importe quoi - et il faudra voir si les financements seront au rendez-vous... or la spéculation ou...

à écrit le 24/08/2014 à 14:15
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@Yves oui, pourquoi pas?, mais : - à condition en parallèle de nettoyer le système des brevets, complètement perverti et qui permet de breveter n'importe quoi - et il faudra voir si les financements seront au rendez-vous... or la spéculation ou...

à écrit le 08/07/2014 à 14:25
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Si on veut relancer la recherche technique, il faut allonger la durée de validité des brevets ! Ainsi, les entreprises pourront financer les études. Mêmes choses si on veut de nouveau antibiotiques...

à écrit le 08/07/2014 à 10:42
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Je ne sais pas si l'auteur a remarqué, mais il y a des phrases tronquées ou coupées.

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