Les "barbares" attaquent... encore et encore !

Loin de l'image infantilisante trop souvent attribuée aux start-up, l'innovation dans les jeunes entreprises doit être portée par des « barbares ». Entre domination hégémonique et rupture de valeurs, il est temps d'envahir l'avenir.
Alexis Flocon. / DR

Les « barbares » attaquent. Ils sont partout, ils sont des millions. Ils veulent tout dominer, vite et en imposant leurs nouvelles valeurs. Car investir l'avenir, c'est avant tout l'envahir. Depuis la révolution numérique, la domination d'une entreprise sur un secteur est hégémonique ou elle n'est pas. Il suffit pour cela de regarder les parts de marché de Google, Facebook ou Amazon qui, en quelques années, ont su révolutionner leurs secteurs respectifs et s'y imposer sans conteste. On crée aujourd'hui une start-up pour dominer et que l'herbe ne puisse plus repousser sous nos pieds. Les projets disruptifs qui constituent les start-up et les futurs grands groupes industriels de demain doivent donc acquérir une mentalité : celle du « barbare ».

L'expression vient de Nicolas Colin et Oussama Ammar. Cofondateurs de l'accélérateur de start-up parisien The Family, ils estiment que seuls certains comportements permettent au mieux de donner toute leur puissance à des projets innovants. Être un « barbare », c'est tout d'abord un état d'esprit avant d'être une liste de techniques. Le « barbare » est celui qui croit au « hack », dans son sens le plus classique : entrer sans autorisation. Alors qu'une entreprise a pour but d'optimiser au maximum son business model, la start-up va, à l'opposé, être une entité à la recherche d'un business model. Cette dernière va entrer sur un marché où elle va totalement redéfinir la création de valeur en bouleversant les plans des acteurs traditionnels.

Imposer ses valeurs peut passer par deux moyens différents pour une startup : porter ses convictions au coeur même de son projet ou bien mettre en place une certaine culture d'entreprise pour permettre leur développement. Les entreprises de l'économie du partage (sharing economy) sont des compagnies qui portent les valeurs de solidarité et de coopération au coeur même de leur concept. Leur business model est simple : un particulier réalise une prestation pour un autre particulier et l'entreprise touche une commission. Même si une grande partie de l'économie du partage est née aux États-Unis, la France, notamment grâce à BlablaCar, a réussi à prendre part à ce mouvement. La coopération entre les individus est un facteur qui avait pendant longtemps été oublié par les grands groupes. Des entités comme le géant américain Airbnb ont réussi a redonner une place plus importante à la solidarité et au partage dans l'économie.

L'effectuation: agir vite et sans peur

D'autres entreprises ont réussi à mettre en place des techniques simples pour pouvoir embrasser au mieux leurs valeurs. L'exemple le plus évident est bien sûr celui de Google et sa promotion de l'innovation perpétuelle auprès de ses employés. De simple moteur de recherche, l'entreprise a su devenir un véritable géant industriel sans renier son identité de start-up. Ainsi, cette culture entrepreneuriale se retrouve dans les techniques managériales de la firme américaine.

En effet, existe encore aujourd'hui la règle dite des « 80/20 ». Chaque employé doit passer 80% de son temps à effectuer des tâches pour lesquelles il a été embauché. Mais, à côté, il dispose des 20% restants pour pouvoir se concentrer sur des activités personnelles et des projets annexes. Ce temps libre où chaque employé est invité à penser « en dehors de la boîte » a été le terreau de projets innovants, comme Google Maps. Investir l'avenir passe donc ici plus par un état d'esprit que par un ensemble de techniques. Agir sans peur et le faire rapidement sont alors deux éléments essentiels.

Pour investir l'avenir comme un « barbare », il faut en effet agir vite.

Presque par surprise. C'est toute la thèse de l'effectuation, portée en France par Philippe Silberzahn, professeur à l'EM Lyon. Ce dernier a organisé en 2013 le plus grand MOOC (massive online open course) francophone. Il a réussi à réunir plusieurs milliers de personnes autour de leçons sur l'entrepreneuriat. Alors que la création d'une entreprise est souvent précédée de la rédaction fastidieuse d'un business plan et de recherches approfondies sur le marché visé, l'effectuation propose au contraire d'agir sans attendre. Grâce à plusieurs principes, ce courant de pensée permet à chacun de devenir rapidement actif pour lancer son projet. Désacraliser l'avenir y est un point essentiel.

On ne peut agir si on a peur. La France a longtemps été un pays où la vision de l'échec a freiné voire bloqué l'entrepreneuriat. L'effectuation vient enseigner l'importance du rôle de l'échec dans les réussites futures d'un entrepreneur. Sur ce sujet, les choses sont en train de changer dans notre pays. Naguère encore vu comme quelque chose de honteux, l'échec est aujourd'hui raconté et mis en avant par bon nombre de startuppers au cours de FailCon ou Fuck Up Nights [rebondir après un échec, voire le transformer en succès, ndlr] organisées à Paris depuis 2014. Le but est désormais d'« échouer, échouer encore, échouer mieux », comme l'écrivait Beckett. Débarrassés de la peur de l'échec et de l'avenir, les entrepreneurs peuvent alors prendre tous les risques et devenir des « barbares ».

Cette acceptation de l'échec a aussi permis à beaucoup de start-up d'être plus souples avec la vision de leur activité. Au cours de leur existence, elles peuvent ainsi changer de business model ou de cible. Cette adaptation perpétuelle permet de se concentrer uniquement sur le court terme dans un premier temps. Elle permet aussi d'apporter une attention toute particulière au produit ou au service commercialisé. C'est grâce à une vision souple que Critéo ou Mindie ont pu devenir de véritables succès.

Des mesures de soutien aux « barbares »

Pour investir l'avenir de manière « barbare », plusieurs mesures concrètes peuvent être prises :

  • L'enseignement de la programmation informatique dès le secondaire

Le développeur Web est aujourd'hui bien trop rare pour permettre d'accueillir au mieux la révolution numérique. On estime en France qu'il en manque actuellement plus de cinq mille. Enseigner cette matière dès le collège permettrait aux plus jeunes de se familiariser au plus tôt avec les langages les plus connus de développement et de monter en toute autonomie leurs propres projets.

  • Création d'un incubateur de start-up dans chaque établissement public d'enseignement supérieur.

C'est un des grands soucis français : beaucoup de gens pensent qu'il faut avoir fait une école de commerce pour devenir entrepreneur. En réalité, tout le monde peut devenir entrepreneur, la diversité des profils peut constituer une des plus grandes forces des entreprises. C'est un diplômé de philosophie qui a créé le « like » de Facebook. Le fait que presque seules les écoles de commerce bénéficient en France d'incubateurs d'entreprises est une situation anormale.

  • Cours optionnels d'entrepreneuriat, quelle que soit la filière de l'étudiant.

C'est un des autres poncifs sur l'entrepreneur : on imagine qu'il possède des qualités innées qui lui ont permis de réussir. Il n'en est rien. Un entrepreneur n'est pas un amoureux du risque, un aventurier prêt à perdre tout son argent sur un coup de poker. Si on ne peut apprendre comment réussir à coup sûr une entreprise, on peut enseigner aux étudiants comment mettre toutes les chances de leur côté pour éviter d'échouer.

Ces propositions ont toutes pour base ma propre expérience. À 22 ans, j'ai créé deux entreprises. La première est une société qui exploite un site d'e-commerce de vente de produits alimentaires français à l'étranger, à destination des expatriés. La seconde est en plein lancement. Il s'agit d'une plate-forme de MOOC pour former un maximum de personnes aux CAP des métiers de bouche dans le but de remplir des emplois existants mais inoccupés en France. Pour notre première année d'activité, en 2015, nous espérons plusieurs centaines de diplômés.

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