Comment Air France a retardé la croissance du transport aérien

La décision de constituer un champion national -Air France- , dominant le marché, a fait prendre du retard à la France dans la croissance du transport aérien. Les compagnies aériennes étrangères ont permis de débloquer la situation. Par François Bacchetta, directeur général, easyJet France

À l'origine organisé sur un mode oligopolistique, régi suivant l'allocation des droits de trafic bilatéraux d'État à État (par ex., entre la France et l'Australie ne sont désignés que deux transporteurs : Air France et Qantas), le transport aérien s'ouvre à la concurrence sous l'impulsion du législateur européen.

Tout d'abord, dans les années 1990, a été décidée l'ouverture du marché intraeuropéen grâce au ciel unique qui permet à toute compagnie immatriculée dans l'Union d'opérer toute ligne à l'intérieur de cet espace. À partir de ce moment-là, cette industrie se conforme à une régulation européenne, qui unit notamment les règles de sécurité et sûreté, de temps de travail des équipages, d'opérations aériennes, d'attribution des créneaux horaires, etc. Dernièrement, cette politique s'étend avec l'ouverture du ciel nord-atlantique ouvrant la concurrence entre transporteurs européens et nord-américains entre les deux continents.

 Le quasi monopole privé d'Air France, dans les années 90

Pour autant, l'ouverture du marché entre l'Europe et le reste du monde - hors Amérique du Nord - reste régie par des accords bilatéraux, qui font souvent la part belle aux compagnies porte-drapeaux de chaque pays (cf. Turquie, Liban, Tunisie dans le cas de la France). Par ailleurs, la politique des « champions nationaux » a donné naissance au groupe Air France actuel, né de la fusion des compagnies françaises (par ex., Air France, compagnie autrefois uniquement long-courrier, et Air Inter, qui faisait des lignes domestiques), afin de créer un champion de taille mondiale. Cet ensemble ayant été privatisé, il a été créé un quasi-monopole privé.

Résultat : il y a moins de dix ans, en 2005, Air France détenait encore 65 % du marché français en termes de sièges offerts (en volume). Il est à noter que, dans ce contexte, toute tentative française de création à partir de zéro d'un concurrent était vouée à l'échec sans le soutien, au moins réglementaire, de l'État. Cela n'a pas eu lieu, l'État détenant toujours 15 % du capital d'Air France. Exception notable : la desserte des DOM-TOM avec l'initiative réussie d'Air Caraïbes, mais qui reste d'une dimension assez anecdotique.

Les conséquence de ce leadership

L'État a ainsi donné naissance à un leader, par fusion, en lui concédant la rente domestique, ce qui a eu pour conséquences :
- des prix plus élevés sur le réseau court-moyen-courrier que partout ailleurs en Europe : de 20 à 30 % supérieurs à la moyenne européenne il y a neuf ans ;
- moins d'ouvertures de lignes, ou presque aucune sur le moyen-courrier, notamment en région, alors que le réseau britannique, par exemple, se densifiait déjà sous l'impulsion de plusieurs opérateurs, tels easyJet, Flybe ou Go. Rien de tel en France, où la tentative d'Air Liberté ne dura pas ;
- une moindre croissance du trafic intraeuropéen en France par rapport aux autres pays européens. Au total, le trafic français intraeuropéen n'est que le cinquième d'Europe, après tous les autres grands pays qui développaient le point à point depuis toutes leurs grandes villes, alors que notre pays est le plus grand géographiquement et deuxième par sa population. À noter que le développement du TGV n'en est qu'une explication secondaire puisque concentré alors pour l'essentiel sur quelques lignes domestiques. Le train peut ainsi expliquer une part du moindre trafic, mais certainement pas la pauvreté relative du réseau français.

La croissance des compagnies low cost vient du retard français

En conséquence, ce sont des concurrents étrangers, disposant déjà de la taille critique, qui ont pu se développer en France, et, au premier rang, easyJet, déjà leader sur son marché d'origine, le Royaume-Uni, au moment où ses projets de développement en France se sont précisés en 2006-2007.

La croissance récente et soutenue, notamment depuis 2007 en France, des compagnies low cost trouve donc son origine dans le retard français. Autrement dit, ce n'est pas la crise, qui favoriserait les premiers prix, qui est le premier facteur de l'expansion récente, mais l'effet rattrapage.

Quelles  conséquences ?

Les effets de la concurrence des low cost sur le court-moyen-courrier: l'ouverture du marché intraeuropéen a été un succès, par la baisse des prix qui a permis une démocratisation du transport aérien et par l'augmentation des échanges qu'elle a engendrée.

Le pouvoir est désormais au consommateur: enfin du choix ! En offrant un autre service, à prix différent, le consommateur prend le pouvoir dans sa décision d'achat, conduisant ainsi chaque acteur à renforcer sa qualité de service en fonction des attentes du client et non simplement à partir des seules contraintes du producteur. Ainsi la mise en concurrence de l'offre induit-elle plus de transparence : chacun se doit de justifier ses tarifs, ceci conduisant à plus de segmentation et à l'objectivation de la valeur de chaque service : "dépackaging" et choix facultatif de services annexes - bagages en soute, service de restauration, coupe-file, etc.

Ainsi, la concurrence induit un processus d'adaptation continue de l'offre à l'évolution des besoins du consommateur et agit sur tous les acteurs comme aiguillon. easyJet travaille donc pour faire évoluer son offre et améliorer sa qualité de service afin de continuer à séduire le consommateur, ainsi que tous les autres acteurs.

L'effet pouvoir d'achat

Quel meilleur moyen pour renforcer le pouvoir d'achat des consommateurs que d'introduire la concurrence, et ce, bien évidemment, sans coût additionnel pour les budgets publics ? Ainsi, les tarifs moyens de ces nouveaux opérateurs sont de 40 à 50 % inférieurs à ceux des opérateurs historiques partout en Europe.

Aujourd'hui, un aller-retour entre deux villes en France ou entre la France et une ville européenne coûte en moyenne entre 150 et 200 euros TTC et non le double, ce qui rend le voyage intraeuropéen accessible à une large classe moyenne.

L'effet croissance

Ainsi, pour une prestation de services dont les prix moyens variaient entre 150 et 250 euros par trajet court-moyen-courrier, la division par deux des prix a permis de solvabiliser la demande et, par conséquent, de développer le trafic. Par exemple, un Lyon-Bordeaux aller-retour avant l'arrivée d'easyJet se situait autour de 400 euros minimum. Aujourd'hui, le prix moyen a été réduit de plus de la moitié et le trafic sur la ligne a augmenté de 50 % dès la première année (2008-2009).

Depuis 2008 et le début de la crise, le premier vecteur de croissance du trafic et du tourisme partout en France a été le low cost aérien, et principalement easyJet, qui représente environ la moitié du segment en France et a plus que doublé son trafic avec près de 14 millions de passagers transportés vers et depuis la France en 2013.

Fait remarquable : ces prix et cette croissance ont été possibles, en France, sans subventions publiques, donc à un coût nul pour la collectivité, et ce, même si easyJet a choisi de desservir les aéroports principaux, les plus chers.

L'effet compétitivité pour nos régions

Développement du trafic, développement de l'accès direct en région (sans passer par des plateformes de correspondance) depuis les autres capitales régionales européennes, réduisant les temps de parcours, baisse considérable du coût d'accès aux régions françaises : tous les ingrédients nécessaires au désenclavement de nos régions, à la multiplication des échanges de toute nature sont enfin réunis.

Un exemple : Bordeaux-Milan

Une ligne qui n'existait pas, une destination accessible uniquement via CDG ou Lyon préalablement, soit une demi-journée pour se rendre dans l'une de ces deux villes, et ce, pour un prix réservé à une élite économique, c'est-à-dire au-delà de 400 euros. Aujourd'hui, il est possible d'accéder en moins d'une heure et demie à la capitale économique italienne directement depuis Bordeaux, et à un prix accessible aux classes moyennes, soit aux alentours de 150 et 200 euros tout compris. Un enrichissement du réseau de nos capitales régionales, du choix sur les lignes préexistantes : le désenclavement de nos régions est enfin en cours, et sans deniers publics.

Une précision! les low cost sont des spécialistes du court-moyen-courrier, aussi 98 % des nouvelles lignes intraeuropéennes ont été ouvertes par ces compagnies depuis huit ans, et le leader en France, easyJet, a ouvert pas moins de cent lignes, majoritairement en province, depuis sept ans.

L'effet emploi

Qui dit activité de transport, dit induction d'activité économique ; ce sont donc près de 20 000 emplois qui ont été créés en France depuis le début de la crise, dans les aéroports, dans le tourisme, et pour moitié grâce à l'expansion d'easyJet.

Par ailleurs, il est utile également de rappeler autre chose : si easyJet s'est si fortement développée en France ces dernières années, c'est effectivement en raison du retard français, mais également parce que cette compagnie a été la première à faire le pari du développement en France en basant son personnel (sous contrat français) sur notre territoire, avec aujourd'hui cinq bases (Orly, CDG, Lyon, Nice et Toulouse) qui lui permettent d'ouvrir plus de lignes destinées au marché français que ses concurrents.

Cela veut dire également qu'easyJet a embauché plus de 1 000 personnes en France, donc suivant nos conditions sociales, depuis 2007.

Concurrence égale emploi...

Autrement dit, quelle que soit l'activité économique, mieux vaut toujours accueillir favorablement la concurrence chez nous, suivant nos règles du jeu, et ainsi développer l'emploi chez nous.

L'Europe a amené la concurrence dans le secteur aérien ; les compagnies ont alors innové. Elles continuent d'évoluer et de s'adapter aux besoins du consommateur. L'opérateur, pour sa part, doit respecter l'environnement national, tout en apportant ses bonnes pratiques qui, finalement, profitent au consommateur.

Les vertus sont nombreuses : stimulation de l'activité par l'offre, baisse des prix et augmentation du choix pour le consommateur, renforcement de la compétitivité de nos champions nationaux qui s'adaptent, se modernisent, même si cela s'effectue parfois dans la douleur par manque d'anticipation, et emplois.

Quel effet des "champions nationaux"?

Pour finir, je voudrais soulever une question : combien de champions nationaux français détiennent plus de 40 % de parts de marché de leur industrie en France, 40 % étant le seuil communément admis établissant la position dominante ?

La politique des champions nationaux a formidablement réussi depuis les années 1960, en créant des champions mondiaux. Nous avons simplement oublié d'ouvrir le marché domestique français une fois fortune faite, confortant les rentiers. Cela est sans doute l'une des premières raisons de la moindre croissance de nos « gazelles », et de l'absence de nouveaux entrants dans notre « CAC 40 » depuis des décennies.

Texte extrait de l'ouvrage à paraître  "A quoi sert la concurrence ?" , édité par la revue "Concurrences",  disponible sur aquoisertlaconcurrence.org

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Commentaires 27
à écrit le 12/09/2014 à 17:42
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Mind your own business !!!

le 28/09/2014 à 18:31
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Cela s'adresse aussi à vous et je vais me charger d'informer par tous les canaux....

le 28/09/2014 à 23:31
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It's mine !

à écrit le 02/09/2014 à 20:26
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Que de contre vérités et inexactitudes dans ces propos.Air France à toujours effectué des vols moyens courriers sur l'Europe, L'Afrique.Air Inter avant sa fusion avec Air France s'est même appelée Air Inter Europe et opérait avec Air France sous l'ég...

à écrit le 02/09/2014 à 15:25
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Relativité en matière de concurrence. Avant l'arrivée de FREE Bouygues Telecom ajoute: "les derniers entrants ont largement contribué à la baisse des prix de la téléphonie mobile. Ils ont régulièrement joué le rôle d’agitateur. Ils ont également ma...

à écrit le 02/09/2014 à 8:43
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C'est bien de parler des emplois créés chez easyjet grâce a l'arrive des low cost mais n'oubliez pas aussi que ce sont presque 10000 emplois qui ont été supprimes chez air france... Alors personnellement si ´avais ete steward je pense que j'aurai pré...

à écrit le 02/09/2014 à 8:22
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Au delà du plaidoyer pro domo réfléchissons un peu à froid sur la situation crée en France par le maintien de nombreux monopoles qui tout en se lançant sur les marchés extérieurs, continuent, avec la complicité active de l'état à verrouiller le march...

le 02/09/2014 à 11:20
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On peut apprécier les marchés concurrentiels; encore faut il que les conditions soient égales. Que Free bouscule le quasi oligopole, c'est bien; s'il établissait son EM en Irlande pour bénéficier d'une fiscalité favorable, cela le serait moins... De ...

à écrit le 02/09/2014 à 1:18
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Quel plaidoyer d'un dirigeant de société qui se prétend objectif et ne cite même pas, dans ce long prodomo, le nom de son principal concurrent européen, ryanair! Comment croire ensuite sa longue démonstration? Plus intéressant, me semble t'il, ...

à écrit le 01/09/2014 à 18:34
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F. Bachetta se garde bien d'évoquer la condamnation d'Easyjet pour travail dissimulé (la compagnie employait ses employés français sous contrat britannique. Néanmoins à la différence de Ryanair Easyjet ne bénéficie pas de subventions pour la desserte...

le 01/09/2014 à 19:35
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Il y a toujours des mauvais coucheurs; on peut pas plaire à tout le monde !

à écrit le 01/09/2014 à 18:23
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Avis Easy jet forcément CONTRE Air France !

à écrit le 01/09/2014 à 16:58
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Il est qui pour donner un tel avis.

le 01/09/2014 à 18:40
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Une petite startup pas très connue ;-)

le 02/09/2014 à 9:27
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Vous croyez nous apprendre que que chose, les autres savent également lire, il reste dans cette analyse un illustre inconu qui parle pour sa boutique et donc ses écrits ne sont pas objectifs, alors votre commentaire est du même tonneau.

le 02/09/2014 à 10:00
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On le sait que c'est le patron d'easyjet mais son commentaire est tout simplement une page de com, mais vous vous prenez tous ça comptant comme un gogo qui regarde toutes les pubs à la télé,

à écrit le 01/09/2014 à 16:41
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Je n'aime pas spécialement Air France mais je déteste easy jet dont la politique au niveau des bagages est tellement honteuse qu'on évite de la prendre. Une excuse et une autocritique dans ce domaine aurait mieux convenu plutôt que ce verbiage sa...

le 01/09/2014 à 18:23
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Une politique honteuse? Peut être pour qui ne sait pas/n'est pas capable de lire des CGV...

le 01/09/2014 à 19:25
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Politique honteuse ? Oui, mais au moins maintenant on a le choix et on prend ce qui convient à notre besoin et à notre porte monnaie !!!

à écrit le 01/09/2014 à 15:43
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Culture nombriliste de fonctionnaires étatistes incompétents et arrogants. Air France sent bon la France. Je boycotte AF depuis 10 ans comme beaucoup de gros voyageurs écœurés. A suivre: Tribunal de Commerce.

le 01/09/2014 à 16:38
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Vous croyez que votre boycotte est une nouvelle rien à cirer. Vous vous donnez beaucoup trop d'importance.

le 01/09/2014 à 16:52
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Tu vas nous faire pleurer le monde va s'arrêter de tourner.

le 01/09/2014 à 16:53
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Pètes un coup et regarde le ciel est bleu tout va bien et rengaine ta haine inutile.

à écrit le 01/09/2014 à 14:34
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La Tribune devrait indiquer (Dir Easyjet) dans le chapeau. Cela éviterait d'aller voir le suite; qui n'est qu'un plaidoyer pro domo (un peu déguisé). Si le trans région s'est développé, c'est surtout parce que la France a changé; et les conditions d'...

le 01/09/2014 à 18:22
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Pas de lignes intérieures en UK ... Il faut sortir de temps en temps de chez vous pour donner un minimum de crédit à vos commentaires. Pour le reste de votre commentaire, tout est faux, tout est déformé, ... Easy Jet ( tout comme Air France) a été ...

le 02/09/2014 à 10:34
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@Jul. Vous devez sortir souvent; ce qui explique que vous n'avez pas le temps d'analyser les données; voire même de lire convenablement. Mais peut être n(avez vous que la documentation d'Easyjet à disposition ?

à écrit le 01/09/2014 à 14:21
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il est dommage que l'auteur n 'est pas parlé de l'arrêt Nouvelles Frontières (jacques Maillot qui autorisait la concurrence dans les dom tom . a noter que le staff air France s'est mis en gréve pour protester

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