Pour pouvoir prendre son temps, la Fed devrait agir vite

La banque centrale américaine, la Fed, refuse de relever les taux d'intérêt alors que l'économie s'améliore. Une stratégie risquée... par Andrew Wilson, directeur général de Goldman Sachs Asset Management (GSAM) pour la zone EMEA et co-responsable mondial des stratégies de Fixed Income de GSAM

La Fed a renouvelé mercredi son engagement à maintenir des taux d'intérêts proches de zéro pour une « période considérable » après la fin de son programme de rachat d'actifs. Si elle entend adopter une approche progressive pour normaliser la politique monétaire américaine, elle aurait peut-être intérêt à commencer bientôt.

Les conditions économiques justifient une hausse des taux, c'est ce que montrent les expériences passées

L'économie américaine s'améliore rapidement. A la lumière des expériences précédentes, la banque centrale aurait déjà pu commencer à augmenter les taux d'intérêt, s'il n'y avait pas ces inquiétudes persistantes à propos des effets à long terme de la crise financière et de la « Grande Récession ». En passant en revue les trois plus grandes campagnes de resserrement de la Fed, les conditions actuelles semblent à bien des égards comparables, voire bien meilleures dans certains domaines :

Février 1994 : pour la première fois en cinq ans, la Fed décide d'augmenter les taux. Entre autres facteurs, les responsables politiques invoquent des gains substantiels en production industrielle et une progression des ventes de véhicules automobiles et des commandes de nouvelles machineries et autres biens d'équipement. Aujourd'hui, tous ces indicateurs ont plus que récupéré depuis la récession : les ventes automobiles viennent d'atteindre leur plus haut niveau depuis 2006 à 17,5 millions par an ; et la production industrielle, comme les commandes de biens d'équipement (aviation et défense mis à part), sont à des niveaux bien supérieurs aux sommets atteints avant la récession.

Juin 1999 : moins d'un an après les secousses imposées aux marchés financiers par le défaut de paiement de la Russie et l'effondrement du fond spéculatif Long-Term Capital Management, la Fed entreprend d'augmenter les taux en arguant de la décrispation de la tension financière. Aujourd'hui, les conditions financières aux Etats-Unis sont aussi favorables que jamais, et bien plus conciliantes qu'elles ne l'étaient en mi-1999.

Juin 2004 : La Fed estime que les récentes augmentations de l'inflation sont tirées par des facteurs passagers, mais décide néanmoins de commencer à relever les taux, en invoquant l'expansion vigoureuse de l'économie et des améliorations sur le marché du travail. A l'époque, on dénombre environ 200 000 créations d'emplois par mois depuis le début de l'année dans le secteur non-agricole. En 2014 on comptabilise en moyenne 215,000 emplois créés par mois. Au second trimestre de 2004, l'économie enregistre une augmentation de 3,7%. Au second semestre 2014, l'économie progresse de plus de 4%.

Une inflation toujours basse

Bien sûr, chaque cycle économique et politique est différent, et le cycle actuel présente des différences majeures avec les cycles précédents. En particulier, l'inflation se maintient à un faible niveau et le taux de chômage demeure élevé, ce qui laisse entendre qu'il reste des capacités inutilisées dans l'économie, et que la Fed peut demeurer conciliante plus longtemps que ce que les cycles précédents auraient pu suggérer. La faible croissance en Europe et les récentes agitations politiques pourraient également contenir la croissance américaine.

A force d'attendre, la Fed risque ensuite de devoir agir brutalement

Or l'orientation actuelle de la Fed suggère que la banque centrale ne devrait pas initier une hausse des taux avant de nombreux mois, et qu'elle prévoit de procéder graduellement après cela. Bien que ceci puisse constituer une approche raisonnable au vu de la quantité de capacités inutilisées dans l'économie nationale et des incertitudes concernant la situation internationale, cela accroît le risque que la Fed puisse avoir par la suite à agir de manière plus agressive qu'elle ne l'envisage pour l'instant. Ceci pourrait entraîner une nouvelle série de défis pour la croissance américaine et les marchés internationaux.

A l'heure actuelle, l'engagement pris par la Fed à agir progressivement, qui a contribué à maintenir de faibles taux d'intérêt et des conditions financières accommodantes, constitue son principal outil politique. Toutefois, au vu de la trajectoire actuelle de l'économie, le moment où la Fed va devoir enclencher le processus visant à ramener les taux à des niveaux plus normaux approche. Si ce processus est soudain et désordonné, plutôt que graduel et bien mené, il pourrait accroître le risque d'éventuels dommages collatéraux.

Sortir de la "détente monétaire"

Comme l'a montré le « taper tantrum » de l'année dernière, les incertitudes concernant la politique monétaire américaine ne sont pas sans risques. Quand le Président de la Fed Ben Bernanke a émis l'éventualité que la Fed puisse bientôt ralentir le rythme de ses rachats d'actifs, de nombreux investisseurs ont été pris par surprise. Le marché a connu un pic de volatilité et une large gamme d'actifs financiers ont subi de fortes corrections à la baisse. La Fed a été capable d'atténuer les dommages en réaffirmant son engagement à maintenir ses politiques de taux faibles sur le long terme, mais ce choc a entraîné des impacts économiques durables.
Quand la Fed annoncera sa première augmentation de taux, il sera fondamental pour minimiser le risque d'un autre choc qu'elle s'engage de manière convaincante à aller dans le sens d'une normalisation progressive. Plus la Fed attend pour annoncer ce premier mouvement dans un contexte d'amélioration de la croissance économique, et plus le marché est susceptible de remettre en question sa capacité à évoluer de manière graduelle, surtout si l'inflation maintient sa tendance à la hausse. Cela pourrait entraîner une volatilité importante, en particulier dans les domaines du crédit aux entreprises ou des crédits hypothécaires, où de brusques augmentations des taux peuvent avoir de réels impacts économiques.
Le compte-rendu de la réunion du comité décisionnel de la Fed des 29 et 30 juillet indique que les représentants de la Fed sont de plus en plus nombreux à s'inquiéter du risque d'une trop longue attente. L'opinion dissidente de Charles Plosser, Président de la Fed de Philadelphie, était déjà connue lors de la réunion de juillet, mais ce compte-rendu a révélé qu'il n'était pas seul et que « certains participants » se sont exprimés en faveur d'un « mouvement relativement rapide vers une réduction de la détente monétaire».

Agir assez tôt

La Banque d'Angleterre a annoncé qu'elle pourrait avoir besoin de relever ses taux d'intérêts plus rapidement afin de pouvoir maintenir à long terme le rythme progressif de leur augmentation. Jusqu'à présent, la Fed a conservé une approche différente, maintenant sa position officielle selon laquelle les taux resteraient stables pendant longtemps après la fin de son programme de rachats d'actifs en octobre ; et quand leur relèvement serait opéré, ce serait de manière graduelle. Cependant, étant données les nouvelles données économiques, la Fed pourrait trouver difficile de maintenir ces deux engagements. Le meilleur moyen de respecter cette promesse de progressivité pourrait être d'agir plutôt tôt que tard.

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Commentaire 1
à écrit le 18/09/2014 à 12:27
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Les français auront-ils envie de discuter avec un directeur général de Goldman Sachs aussi charmant soit-il ?

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