Positive Economy Forum (3/5) : "Utilisons la finance pour changer la société" Philippe Zaouati

Pour le directeur général de Mirova, filiale de Natixis Asset Management spécialisée dans l’investissement responsable, Philippe Zaouati, investir, c’est faire des choix. À terme, les tendances lourdes sont irréfutables, il faut soutenir et accompagner les leaders de demain, ceux qui participent aux bienfaits sociaux et environnementaux.
Philippe Zaouati

Je n'avais pas de liens particuliers avec l'investissement responsable jusqu'à mon arrivée dans le groupe Natixis. J'ai fait toute ma carrière dans la finance et la gestion d'actifs. J'ai toujours essayé de faire mon métier de la manière la plus éthique possible, mais sans imaginer que la finance elle-même pouvait être un vecteur spécifique de la morale et du positif. Quand j'ai commencé dans le groupe début 2007, il y a eu la conjonction de plusieurs éléments.

D'abord, j'ai rencontré des équipes qui depuis longtemps travaillaient à ces expertises. J'ai eu le sentiment qu'il y avait là une opportunité commerciale. Et puis, quand la crise a totalement explosé, j'ai été confronté à des comportements très contradictoires. À l'extérieur de ma sphère professionnelle, j'étais frappé par l'image des banquiers, alors même qu'à l'intérieur la prise de conscience était difficile.

Trouver sa voie

La marque Mirova a été créée en 2012 ; elle est devenue indépendante le 1er janvier 2014, avec 50 collaborateurs qui gèrent 4 milliards d'euros en investissement responsable. Comme tout sujet lié au développement durable, on navigue souvent entre deux extrêmes, avec d'un côté les militants, marginaux et qui ont du mal à être pris au sérieux, et de l'autre, les « cyniques », qui voient leur intérêt sans réelle conviction quant aux impacts sociaux et environnementaux. Tout l'enjeu est de trouver sa voie pour construire quelque chose qui ait vraiment du sens et ne soit pas destiné à demeurer à la marge.

Le monde de l'investissement a beaucoup changé, les questions de responsabilité, de dialogue, d'engagement avec les entreprises, de préoccupations sur les impacts sociaux et environnementaux, de la gouvernance ont beaucoup évolué. Pourquoi ? Tout d'abord parce que nous sommes quelques financiers à nous poser des questions et à vouloir que la finance change. Certes, nous ne sommes pas suffisamment nombreux, mais la finance responsable se développe partout dans le monde. Ensuite, de nombreux investisseurs institutionnels ont à gérer de l'argent à long terme. Ils ne peuvent faire abstraction des grandes tendances sociales et environnementales. L'environnement réglementaire fait aussi pression pour que l'on s'interroge sur ce type d'investissement.

Que ce soit au niveau national, avec notamment le débat pour le financement de la transition énergétique, européen, pour soutenir la création des fonds d'entrepreneurs sociaux, ou à l'ONU, avec la création des PRI qui définissent les principes de l'investissement responsable.La demande d'investissement responsable par les épargnants n'est pas évidente. D'un côté, les études statistiques, les sondages affirment que les épargnants sont volontaires. Mais, dans les faits, cette demande est peu visible. La finance est plus une industrie de l'offre que de la demande. Or, aujourd'hui, très peu d'offres ont été mises sur le marché. L'enjeu est de mobiliser les banques et les assurances pour qu'elles les proposent. Quand on les propose, les réponses sont positives.

On se pose toujours à un moment donné la question de savoir quelle est la performance de l'investissement responsable. On devrait s'interroger plus souvent sur l'ensemble des produits financiers. Quand on a vendu massivement aux épargnants pour des raisons réglementaires des actions alors que l'indice du CAC 40 se situait à 7.000 et qu'il est retombé à 4.000 points aujourd'hui, on peut se poser des questions. Dès lors qu'il s'agit d'investissement responsable, la suspicion est immédiate. La réponse ? Certains produits sont performants, d'autres non, tout comme les produits financiers classiques. Tout dépend du type d'investissement et de l'horizon que l'on adopte.

Choix et convictions

Je suis convaincu de l'importance du long terme. Investir, c'est faire des choix. C'est avoir des convictions. Aujourd'hui, on investit massivement, de façon passive et indicielle ; les clients ne font plus de choix. Ils suivent le marché dans son ensemble, investissent sur le CAC 40 sans se poser de questions.

On a oublié le métier de l'investissement. Si on fait correctement son métier, avec des choix, en se basant sur des convictions, considérant qu'à moyen terme la soutenabilité et le développement durable sont inévitables, alors investir dans des sociétés qui répondent à ces questions, qui seront les leaders de demain, cela fait sens. Il ne faut pas investir selon la photographie d'aujourd'hui, mais bel et bien en fonction de demain. L'investissement responsable est un produit financier comme les autres, on utilise juste une grille d'analyse différente.

À titre d'exemple, depuis quatre ans, nous n'investissons plus dans des entreprises pétrolières. Nous pensons que cela ne se justifie pas d'un point de vue éthique, mais surtout financier. Ceux qui s'interrogent pour savoir s'ils doivent désinvestir ces compagnies doivent se demander pourquoi ils ont choisi d'y investir. La réponse est simple. Parce qu'elles sont dans les indices boursiers. C'est le contraire de ce que devrait être le métier de l'investisseur.

Globalement, nos retours avec Mirova sont très positifs. L'investissement responsable est apprécié. Mais c'est vrai aussi qu'il y a des blocages de certains qui refusent le changement. Or, l'investissement responsable ne peut que progresser. Tout comme le prix du carbone ne fera que grimper, c'est une évidence absolue. La seule question est à quelle vitesse cela se produira.Le risque principal, c'est la dilution, la récupération et le green washing. Que les plus gros acteurs s'emparent du sujet, d'une manière inconséquente, et qu'on aboutisse à des standards du moins-disant.

D'où l'importance de pousser la création de labels qui garantissent une exigence forte. Les pouvoirs publics doivent nous soutenir, tout comme les acteurs de l'ensemble du monde économique, pour que ces investissements deviennent demain les investissements prioritaires. On sait qu'il y a de vrais problèmes à résoudre dans la finance, mais le surplus de réglementation ne suffira pas à y parvenir. Changeons d'attitude. Il faut utiliser la finance comme un outil à la disposition des changements de société que l'on veut opérer. Cette finance positive existe. Soutenons-la.

BIO EXPRESS
Après vingt ans de carrière dans la gestion d'actifs (Natixis, Crédit agricole, La Banque postale), Philippe Zaouati a choisi de se consacrer à l'investissement responsable. Diplômé de l'ENSEA, président du Cambridge Programme for Sustainability Leadership, il a fait partie en 2013 du groupe de réflexion présidé par Jacques Attali qui a élaboré le rapport Pour une économie positive. Son livre Pour une finance positive, coécrit avec Hervé Guez et préfacé par Jacques Attali, paraîtra en septembre 2014.

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A LIRE DEMAIN (4/5): "Stimulons la croissance de l'innovation inclusive", par Philippe Aghion

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Commentaires 2
à écrit le 29/09/2014 à 12:05
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mais oui! ayez confiance brave gens!! eux aussi ils ont changé...

à écrit le 28/09/2014 à 10:19
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Il ramène tout à la finance; il évoque le prix du carbone mais sans comprendre pourquoi il doit augmenter. Il faut lui expliquer.

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