Keynes est-il une insulte ?

Alors que les néo-keynésiens prônent une intervention de l’État très limitée, visant seulement à stabiliser l'activité, à éviter la surchauffe ou la déprime, ils sont largement caricaturés. C'est l'économiste Hayek qui, le premier, a nourri la haine de Keynes.

Un homme de finance - issu des marchés - peut-il être keynésien? Question lancinante régulièrement adressée par des incrédules pour qui le keynésianisme est au même niveau qu'une injure. Après tout, la quasi-totalité des économistes, de la presse et des dirigeants européens ne sont-ils pas persuadés que le keynésianisme est une sorte de collectivisme, voire de communisme ? Certes, il est indéniable que Keynes était en faveur d'une redistribution et - donc - d'une certaine forme d'intervention étatique dans les rouages économiques. Pour autant, il n'y a aucune honte à s'affirmer keynésien alors même que l'on est financier.

 Les Néo-keynésiens cherchent simplement à réduire les risques de surchauffe ou de stagnation pour l'économie

Ainsi, le « Nouveau Keynésianisme », école de pensée américaine moderne, principalement représentée par les économistes contemporains Taylor et Mankiw, analyse-t-il les mécanismes de transmission de la politique monétaire sur l'activité économique. Rien de révolutionnaire donc, ni de marxiste-léniniste... Du reste, les concepteurs de ce Nouveau Keynésianisme - bien plus proches intellectuellement de Friedman que de Keynes, tous deux étant comme on le sait des adversaires irréductibles - sont aujourd'hui opposés à l'intervention de l'Etat et défavorables à une redistribution généreuse des richesses. Toujours est-il que, les mots ayant un sens, cette dénomination de Nouveau Keynésianisme n'a pas été choisie au hasard puisque les adeptes de cette école partent du principe que la politique monétaire et que les politiques fiscales et budgétaires sont fondamentalement des facteurs de stabilisation - ou de lissage - de l'économie. L'objectif des néo-keynésiens étant de réduire les risques et de préserver la confiance, sans remettre en question la structure même de l'édifice économique et social. Sans redistribuer ni réguler plus que de raison, mais en faisant simplement - et systématiquement - usage du levier des taux d'intérêt: en les remontant afin de ralentir l'économie pour lui éviter la surchauffe et vice-versa.

Pour une intervention "light"

La banque centrale et sa politique monétaire autoriseraient donc de juguler les récessions et - précisément - d'éviter que l'Etat ne s'implique outre mesure dans une économie dont les fondamentaux se seraient aggravés en l'absence de cette intervention minimale. Mieux vaudrait, en somme, une intervention « light » des pouvoirs publics à une intervention trop tardive, mais qui serait assurément plus invasive eu égard à la situation critique de l'économie livrée à elle même. Bref, le Nouveau Keynésianisme comme meilleur rempart contre le communisme, et comme pare feu contre les extrémismes... Précisément ce que préconisait Keynes en son temps, lui qui vivait à une époque où le communisme était une réalité - voire une menace - quotidiennes. Lui qui, en conséquence, préférait l'intervention lissante et apaisante de l'Etat à l'avènement d'un régime totalitaire et à l'élimination pure et simple du capitalisme, condamné à être sauvage parce que livré à lui-même et à ses forces contradictoires. Ou quand l'Etat intervient pour sauver le capitalisme de ses propres démons. Dans ce cadre là, le keynésianisme est précisément une alternative à l'Etat, en tous cas à un Etat qui se verrait contraint d'exercer sur l'économie une emprise d'autant plus envahissante que son état de dégradation serait aigu.

Hayek, à l'origine de la haine de Keynes

En réalité, le grand responsable de cette haine - au minimum de cette méfiance - du keynésianisme est Friedrich Hayek qui, en son temps, s'était déchaîné contre Keynes en prophétisant que ses théories mèneraient droit au totalitarisme. S'il est évident que Hayek s'est grossièrement trompé car les pays - souvent riches - qui ont appliqué les préceptes de Keynes depuis les années 1950 à ce jour n'ont sombré dans aucun extrémisme économique (et encore moins politique), son argumentation fallacieuse a trouvé un terreau favorable tant au sein des conservateurs-moralisateurs, que parmi un « mainstreem » médiatique trop souvent à leur botte.

Du coup, le keynésianisme fut assimilé à une quasi-tare intellectuelle et ses adeptes considérés comme membre d'une secte maléfique en quête de confiscation des biens par un Etat nécessairement tentaculaire. Regrettable posture, car il fut un temps où la société admettait l'intervention de l'Etat pour réguler les fondamentaux - et souvent les excès - des acteurs économiques. Époque désormais révolue car nous préférons aujourd'hui livrer nos vies - et celles des plus vulnérables - en pâture à la brutalité froide des marchés financiers. Qui, au bord du précipice comme en 2008, se convertissent au keynésianisme - et font appel aux pouvoirs et aux fonds publics pour les sauver - et qui le considèrent avec effroi ou avec dédain dès qu'ils n'en ont plus besoin.

 Michel Santi est directeur financier et directeur des marchés financiers chez Cristal Capital S.A. à Genève. Il a conseillé plusieurs banques centrales, après avoir été trader sur les marchés financiers. Il est l'auteur de : "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience" et "L'Europe, chroniques d'un fiasco économique et politique".

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Commentaires 15
à écrit le 03/02/2015 à 2:39
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Le libéralisme est un concept dépassé qui ne subsite que dans le discours politico-financier. De fait, il n'a plus de réalité - si tant est qu'il en ait eu une un jour - depuis que le pouvoir des entreprises (inter, supranationales) a dépassé celui d...

à écrit le 10/10/2014 à 11:44
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en france c'est plutot si vous etes liberal que tt le monde vous traite de hitler ! faut pas confondre...

à écrit le 29/09/2014 à 22:46
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La France n'est pas dans un schéma Keynésien mais Colbertiste. La France a toujours été dans un cycle de développement long et les grands chantiers d'état ont toujours annoncé la future croissance.

à écrit le 29/09/2014 à 22:42
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En France l'état est omniprésent car les entrepreneurs captent l'argent public pour se développer. LVMH en est un illustre exemple.

à écrit le 29/09/2014 à 19:13
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Le schéma keynésien fonctionne "toutes choses égales par ailleurs" et ne tient pas compte de la démographie, du captal humain et de l'énergie.

le 30/09/2014 à 7:03
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Le chomage est lié à la démographie; la croissance , au capital humain; et l'énergie agit sur le chomage, sur la croissance, la dette, etc...

à écrit le 29/09/2014 à 15:40
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L’interventionnisme étatique es tune catastrophe et fausse le jeu du libre marché, avec les résultats que l'on sait. Il n'y a qu'à regarder en France, le pays de l'ultra étatisme qui se mêle de tout tout le temps et on voit ce que cela a donné 40 ans...

à écrit le 29/09/2014 à 12:38
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En 2008, les états auraient du laisser les banques couler et les actionnaires prendre leurs pertes (voir etre ruines). Ca aurait servi d exemple et ca aurait permis aux banques plus petites et solides de grossir et manger leurs adversaires affaiblis....

le 29/09/2014 à 12:59
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Non, Gragol. Si tout s'était écroulé rapidement, les peuples n'auraient pas eu le temps de comprendre ce qui se passait et les plus riches s'en seraient encore une fois sortis. Comme d'hab'. Là, tout le monde a compris. Malgré la propagande.

à écrit le 29/09/2014 à 11:36
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,On oublie un peu vite ou se situait l'analyse de Keynes et ou ont eu lieu ses premieres applications .Le raisonnement de Keynes est trés simple .Face au chomage il faut donner plus de pouvoir d'achat aux gens,qui de ce fait consommeront et ferront t...

le 29/09/2014 à 12:56
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Amusant, comme l' "histoire" des plus riches, soit, celle qui domine actuellement, a bien gommé la période Roosevelt-Keynes. Cela n'a rien d'étonnant car il n'existe plus aucun contre-pouvoir au capitalisme, même dans le sens où il fallait tuer le ps...

le 29/09/2014 à 15:44
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Déslé mais un pays comme la France qui capte 57 % des richesses uniquement pour payer son fonctionnement on est en plein dans le Keynésianisme justement, l'ultra étatisme !! On est loin de l'économie libre qui n'est que le reflet des offres et des be...

à écrit le 29/09/2014 à 11:33
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Pas une insulte un clivage : Entre ceux qui aiment la pluie et ceux qui désirent qu' elle reste dans les océans .

à écrit le 29/09/2014 à 11:20
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Le problème de la France, c'est que les politiques et l'état sont devenus les adversaires de toute l'économie libre, et sont des empêcheurs de travailler, d'investir, d'embaucher.. il faut, au contraire de ce que serinent nos gouvernements, moins d'é...

le 29/09/2014 à 16:10
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Il existe en effet plus 400 000 normes contraignant les entreprises et les organismes publics. Mais la plupart d'entre elles sont éditées par des entités privées. Paradoxalement, la prolifération de ces contraintes n'est pas due à un Etat trop ...

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