Pour un dialogue entre ONG et grandes entreprises, au profit de l'environnement

Le récent sommet de New York sur le climat le montre, les négociations entre gouvernements peinent à déboucher sur des résultats. En revanche, le dialogue entre ONG et grandes entreprises peut amener à des changements rapides, pour le respect de l'environnement. Aux gouvernements d'entrer dans ce jeu. Par Bruno Rebelle, directeur de Transitions, Agence conseil en stratégie DD et ancien directeur des programmes de Greenpeace International.

Alors que le secrétaire général des Nations Unies organisait à New York un sommet pour marteler l'urgence d'une mobilisation internationale pour lutter contre le changement climatique, des exemples de coopération innovante entre entreprises et ONG montrent la voie d'une nouvelle gouvernance qui pourrait être bien plus efficace que la recherche d'un accord intergouvernemental.
La destruction des forêts est responsable de près de 20% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. La déforestation pèse autant que toutes les industries et plus que les transports dans la crise climatique. Ce secteur ne peut donc être délaissé.

D'autant que ces forêts sont aussi le refuge d'une biodiversité exceptionnelle dont on  connaît encore trop peu de choses. Pourtant, après avoir pris une certaine importance dans la négociation, notamment lors de Conférence de Bali en 2007, le sujet est repassé au second rang des préoccupations. Les négociateurs laissent entendre qu'il est trop compliqué de surveiller tous les fronts de déforestation, ou qu'il est plus important de s'intéresser aux émissions du secteur énergétique, enjeux crucial de la marche économique du monde... Et pendant ce temps, la déforestation progresse et le climat se dégrade !

Les gouvernements n'avancent pas, mais les entreprises bougent...

Pourtant en dépit des atermoiements de la négociation internationale, les choses commencent à bouger... pas du côté des gouvernants, plutôt du côté des entreprises. Ainsi, Asia Pulp and Paper, géant indonésien de la pâte à papier, est un des invités particuliers de Ban Ki-moon à New-York. Le secrétaire général des Nations Unies a été fortement impressionné par l'engagement du patron d'APP de cesser, depuis le 1er février 2013, tout abattage de forêt primaire et de ne s'approvisionner qu'à partir des plantations développées depuis quelques années. On ne parle pas ici de petit pas... APP est détenteur de 2,6 millions d'hectares de concession, environ 2,5% de la forêt indonésienne. En stoppant toute destruction, APP fait la démonstration qu'elle peut à la fois prétendre à la première place mondiale des entreprises de production intégrée de pâte et de papier et se positionner en leader de la protection des forêts mondiales, réserve de carbone essentielle à l'équilibre du climat planétaire.

... sous la pression des ONG

Évidemment, APP n'a pas fait ce grand pas en avant spontanément, en découvrant, du jour au lendemain, la fragilité de l'écosystème dont elle tirait depuis toujours ses revenus. Il aura fallu que les grandes ONG de défense de l'environnement se mobilisent pour dénoncer la déforestation et faire le lien entre les arbres détruits en Indonésie et le packaging des produits présents sur les rayons des supermarchés du monde entier. Une confrontation classique qui a terni l'image de l'entreprise et fait fuir nombre de ses clients historiques, inquiets d'être associés à un destructeur de forêts.
Les entreprises se sont presque habituées à ces confrontations redoutant le moment où, prises en flagrant délit de crime environnemental, pour reprendre la sémantique ONG, elles doivent s'expliquer, faire amende honorable et se faire oublier jusqu'à la prochaine colère de la société civile. Ces campagnes de pression n'étant pas suffisamment suivies dans le temps, elles n'ont pas toujours l'efficacité espérée par les citoyens qui les soutiennent. Ce manque de continuité tend à décrédibiliser l'action des ONG, accusées de faire des coups pour consolider leur trésorerie. L'alternance de confrontations et de silences n'invite pas non plus les entreprises à entamer un chemin de progrès pour réduire leur impact environnemental.

Dépasser le stade de la simple confrontation

Le fait intéressant dans le cas cité ici, est que les dirigeants d'APP, comme ceux de Greenpeace, en première ligne dans la confrontation, ont compris qu'ils avaient intérêt à dépasser leur opposition, pour identifier ensemble des pratiques nouvelles au service d'un double bénéfice : pour l'entreprise et pour l'environnement. Passant de l'affrontement autour des machines de débardage et des tronçonneuses à la table de négociation, ces acteurs ont su instaurer une forme de coopération qui pourrait bien faire école. D'un côté l'entreprise expose ses ambitions, fait état du changement qu'elle peut initier, mais présente aussi ses contraintes et les limites qu'elle perçoit pour mener la transformation qu'elle considère comme nécessaire.

De l'autre, les ONG formulent leurs points d'attention pour s'assurer que la mutation des pratiques est à la fois authentique - pour que l'entreprise ne revienne pas en arrière aussitôt qu'elle aura quitté la négociation - suffisamment ambitieuse - pour que les effets attendus soient au rendez vous -, mais également gérable au regard des contraintes inhérentes au fonctionnement interne de ces acteurs économiques. Ainsi, l'entreprise qui était une partie du problème, devient une partie de la solution ! Et, l'ONG légitimement accusatrice devient par nécessité collaboratrice !

Inventer de nouvelles collaborations

Dans de nombreux secteurs, on voit émerger ces nouvelles formes de dialogue qui conduisent les ONG et les grandes entreprises à inventer de nouvelles collaborations pour, au final, une plus grande efficacité environnementale. On peut citer ainsi, les récents travaux sur l'huile de palme avec le Palm Oil Innovation Group , ou sur la pâte à papier avec la coopération entre Greenpeace, The Forest Trust et Rainforest Alliance pour accompagner la mise en œuvre et l'évaluation de la politique de conservation des forêts adoptée par APP.
De telles évolutions imposent que les deux parties fassent des efforts importants : les ONG pour sortir de la posture du dénonciateur et mettre « les mains dans le cambouis » pour explorer les solutions possibles ; les entreprises pour reconnaître l'expertise des acteurs citoyens, pour admettre que la réalité et la perception sont des choses différentes qui ont toutes deux leur importance et surtout pour entendre qu'elles ne peuvent impunément « prendre » ou « détruire » sans jamais « donner » et « reconstruire »... Cette évolution marque ainsi le passage d'une opposition binaire entre entreprises « forcément coupables » et ONG « totalement irrationnelles » pour entrer sur le terrain de la coproduction de solutions... un exercice beaucoup plus exigeant pour toutes les parties.

Pour une nouvelle dynamique entre ONG, entreprises, et gouvernements

Mais pour que cette nouvelle logique porte pleinement ses fruits, il faut aussi que la société dans son ensemble évolue et que, tout en continuant à dénoncer les aberrations écologiques et sociales, elle ne manque pas de valoriser les changements de pratiques qui font sens. Il ne s'agit pas simplement de réactiver la vieille recette de la carotte et du bâton. Il faut instaurer une nouvelle dynamique entre les trois grandes familles d'acteurs qui structurent la société: les citoyens et leur associations qui dénoncent le pire et saluent les progrès; les entreprises qui peuvent, si elles le veulent vraiment, concilier bénéfice particulier et intérêt général des générations actuelles et futures; les gouvernements qui, s'ils s'avèrent incapables d'anticiper, pourraient au moins mettre en œuvre les mesures qui favorisent ces interactions positives entre acteurs citoyens et acteurs économiques.

Si le Sommet de New-York, plutôt que d'exhorter une fois de plus les États à agir, pouvait jeter les bases de cette nouvelle gouvernance au service d'un développement plus durable, alors l'initiative de Ban Ki-moon aura été une étape importante, et la démarche innovante autant qu'ambitieuse d'Asia Pulp and Paper pourra vraiment faire école !

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Commentaires 2
à écrit le 03/10/2014 à 23:35
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les ONG portent mal leur nom. En fait, ce sont des entreprises qui abusent les gens qui leur font confiance. Car, il y a un monde entre une "ONG" qui brasse des millions de dollars, et une association à but non lucratif où tout le monde est bénévo...

à écrit le 03/10/2014 à 16:57
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Les rapprochements Entreprises/ONG que vous évoquez ne sont pas toujours consentis. Les ONG poussent les entreprises, le pistolet sur la tempe, à modifier leurs comportement, en menaçant de détruire leurs réputations. C'est notamment le cas de l'hui...

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