Non, les Européens n'ont pas peur du progrès technique

Ils se montrent plus enclins que les Américains à accepter le progrès technique, selon le sondage Eurobaromètre. Par Didier Schmitt conseiller scientifique et coordinateur de la prospective, commission européenne

La frilosité des Européens vis-à-vis des nouvelles technologies est souvent mise en avant pour expliquer notre retard dans des secteurs innovants. L'aversion aux risques, prétendument plus importante que chez nos cousins d'outre-Atlantique, en serait la raison. Les interdictions et moratoires semblent en effet plus fréquents chez nous, comme cela est le cas pour l'exploitation des gaz de schiste par exemple.

Qu'en est-il vraiment ?

Une enquête Eurobaromètre qui vient de paraître tend à tordre le cou à ce mythe de peur du progrès ou de manque d'audace du vieux continent. En effet, 65% des personnes interrogées pensent que dans les quinze prochaines années les sciences et les innovations technologiques dans la santé publique vont être bénéfiques pour la société. Étant donné que la plupart des controverses ont à voir de près ou de loin avec la santé - OGMs, nucléaire, nanotechnologies, perturbateurs endocriniens - il n'est pas étonnant de voir que c'est justement la santé qui est la première priorité des Européens à un horizon de 15 ans, devant - dans l'ordre - l'emploi, l'éducation, l'environnement, l'alimentation, l'énergie, la sécurité, les inégalités, le changement climatique, le vieillissement, les données personnelles, le logement, ou les transports. La validité de ce sondage est indiscutable car il a été réalisé sur un échantillon représentatif de 28000 personnes, dont 3400 en France, ce qui est bien plus élevé que la plupart des enquêtes d'opinion.

Les Américains plus réservés que les Européens

Contrairement à des idées reçues, un récent sondage semble montrer que les Américains sont en fait plutôt réservés sur les avancées technologiques: seulement un sur cinq est en faveur de drones personnels, moins de un sur trois est en faveur de robots d'aide à domicile, et moins de la moitié utiliseraient des véhicules sans conducteur. En tout, 59% des Américains interrogés (et seulement 51% des femmes) pensent que les technologies mènent à un futur meilleur; 30% pensent l'inverse, ce qui fait un ratio de 1 personne sur 3 qui est pessimiste.

Les résultats de l'Eurobaromètre, quant à lui, démontrent une tendance plus favorable en Europe, car seule 1 personne sur 5 en moyenne a une opinion défavorable quant au le rôle des sciences et de l'innovation technologique. En 2013, un autre sondage Eurobaromètre avait déjà montré que, selon 77% des Européens,  les sciences et les technologies ont une influence positive sur la société, contre 10% ayant une opinion contraire. Il faut bien entendu nuancer ces résultats qui varient entre les pays d'Europe du nord et du sud ou entre les Etat plus ou moins conservateurs aux Etats-Unis.

L'Atlantique nous sépare

Les positionnements d'un côté et de l'autre de l'Atlantique quant aux craintes envers les innovations technologiques ne seraient donc pas forcément ce que l'on imagine a priori. Les Européens sont sûrement moins crédules - il suffit de se souvenir de l'épisode des armes de destruction massive - mais cela est tout à leur honneur. A l'opposé, nos cousins d'outre-Atlantique ont certaines obsessions, pour la sécurité des jouets, par exemple, et sont plus influencés que nous par la religion, comme à propos du débat sur les cellules souches embryonnaires.

La peur des avocats

De plus, dans beaucoup de domaines à risque, ils ont simplement une peur bleue des avocats. Nous sommes en général plus mesurés, bien que nos décideurs n'aient pas toujours fait preuve de la plus grande transparence, comme de prétendre que les nuages radioactifs venant de Tchernobyl s'arrêtent aux frontières... Par contre, la confiance dans les instances gouvernementales est plus importante aux Etats-Unis, les avis ou directives la Food and Drug Administration n'étant pas remis en question.

Risque - bénéfice

Nous devrions néanmoins prendre exemple sur la mentalité anglo-saxonne qui est plus pragmatique, en se focalisant sur les risques réels. Un risque peut être défini comme un danger - et surtout la gravité de celui-ci - multiplié par sa probabilité de survenue. Par exemple, une météorite est un danger, mais elle n'est un risque que si la probabilité de s'écraser sur terre devient significative. Or c'est cette probabilité que nous évaluons souvent mal. C'est ainsi que les moustiques (vecteurs de maladies) tuent infiniment plus que les lions en Afrique. Il faut donc évaluer les risques et les bénéfices des technologies en fonction de vrais critères - le risque réel - sans se laisser entraîner dans des considérations d'ordre émotionnel - le danger ressenti -, qui sont facilement attisées par certains détracteurs dont les arguments biaisés sont repris trop souvent par les médias.

A qui profite le crime?

En résumé, nous les Européens ne sommes pas anxieux devant l'avenir, en tout cas pas en ce qui concerne les sciences et les technologies. Le fait que nous soyons pointés du doigt pour notre méfiance - voir notre défiance envers des innovations qui nous viennent souvent d'ailleurs - pourrait bien être lié à des intérêts purement économiques.

D'ailleurs les plus grands lobbyistes auprès des instances européennes ne sont justement pas Européens. En effet, culpabiliser le consommateur peut être une manière de lui forcer la main. Si nous prenons par exemple les premières générations d'OGMs, les intérêts pour nos assiettes n'étaient pas évidents, alors que les intérêts financiers, eux, l'étaient. C'est oublier qu'en Europe nous sommes des citoyens avant d'être des consommateurs.

Des innovations socialement souhaitables

Pour éviter d'avoir scientifiquement raison mais socialement tort, il ne suffit pas que le progrès soit validé scientifiquement et faisable technologiquement, il faut aussi que les innovations soient écologiquement responsables, "climatiquement durables", éthiquement défendables, culturellement acceptables, voir spirituellement compatibles, esthétiquement cohérentes, et, de ce fait, socialement souhaitables, financièrement et économiquement viables, et finalement politiquement réalisables. Ce n'est qu'en ayant une telle approche holistique que nous pourrons éviter d'autres épineux vrai-faux problèmes liés au progrès technologique.

 Dans le domaine des risques technologiques une absence de preuve n'est pas une preuve d'absence; de ce fait, être dubitatif n'est pas une faiblesse mais plutôt un signe de maturité. Ayons confiance dans une approche sociétale qui privilégie le dialogue dans la transparence, seul moyen d'améliorer encore plus la confiance dans l'avenir, ce dont nous avons tant besoin en ce moment.

Didier Schmitt est conseiller scientifique et coordinateur de la prospective auprès de la conseillère scientifique principale et dans le bureau des conseillers de politique européenne auprès du Président de la Commission européenne.

Les opinions exprimées dans le présent article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la position de la Commission européenne.

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Commentaires 6
à écrit le 28/09/2015 à 12:22
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Les 15 prochaines années : l'effondrement ! Cf. le rapport Meadows. Quel talent de manipulation chez l'auteur, qui choisit méticuleusement ses termes : frilosité, acceptation... En creux, l'article avoue au moins que la techno-science porte souve...

à écrit le 08/10/2014 à 17:32
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Et sur un sujet d'une magnitude aussi importante que le gaz de schiste? Vous avez compris, cet article est une illustre blague.

à écrit le 08/10/2014 à 16:01
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Peur ? meuhhh non ! Tant qu'en doublon je dispose de quoi survivre sans. ;)

à écrit le 07/10/2014 à 8:51
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Cette tribune dégouline d'idéologie masquée. Les signatures sémantiques sont légion. Comme le souligne le précédent commentateur, Didier Schmitt reprend à son compte les mensonges de Noël Mamère suivant lesquels les autorités françaises auraient prét...

à écrit le 07/10/2014 à 7:49
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les nuages radioactifs venant de Tchernobyl s'arrêtent aux frontières Quelle désinformation de la part du journaliste. M. Pellerin a simplement soutenu avec raison que les nuages de Tchernobyl était sans danger pour la santé publique en France, et ...

le 07/10/2014 à 17:17
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En effet et c'est d'ailleurs pour çà que de nombreux trentenaires ont fini avec des problèmes de thyroïde amenant parfois à des cancers. Un certain Nicolas S. à l'époque avait me semble t-il signé ou co-signé le décret statuant que ces fameux nuages...

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