Où en est l'Inde après cinq mois de gouvernement Modi ?

Le 26 mai 2014, Narendra Modi devient, à 64 ans, le Premier ministre de l'Inde. Les défis qui l'attendent sont gigantesques: taux de croissance médiocre (5%), infrastructures en piteux état, croissance exponentielle des villes -et des bidonvilles-, déréliction des espaces ruraux, système éducatif éducatif déplorable dans la plupart des Etats, absentéisme des fonctionnaires atteignant de véritables sommets... Le point sur la situation. Par Quentin Gollier, consultant.

« Je ne suis pas un grand économiste. » En plein discours de lancement de la grande campagne marketing « Make In India » par Narendra Modi, le nouveau Premier-ministre indien, cette petite phrase n'a pas manqué de faire hausser quelques sourcils à la plupart des correspondants étrangers invités pour l'occasion. En cette grand-messe baptisant ce projet présenté comme le pivot tant attendu de l'Inde vers l'industrie manufacturière M. Modi aura surtout rappelé que son  gouvernement élu sur ses promesses de réformes demeure pour l'instant bien timide dans ses ambitions. Poussé justement au pouvoir par l'enlisement de l'économie du pays, difficile de ne pas voir dans ce rapide aveu le signe d'un certain découragement après seulement 5 mois au pouvoir.

M. Modi avait pourtant réussi à créer un réel enthousiasme au sein d'une population fatiguée par la gestion désastreuse d'un Parti du Congrès empêtré dans ses contradictions idéologiques. Saluée presque unanimement par l'ensemble de la presse internationale, l'élection de ce très dynamique ancien gouverneur du Gujarat avait réussi à soulever à la fois les foules et les indices boursiers - une situation plutôt rare dans un pays aux convictions économiques très conflictuelles. Le discours d'intronisation, osant aborder directement un problème aussi terre-à-terre que l'hygiène déplorable de la population - et proposant des cours hebdomadaires dans les écoles pour y remédier -, avait achevé de poser l'image d'un Premier-ministre moderne et n'hésitant pas à mettre les mains à la pâte, prêt à lancer le pays sur l'axe de la réforme et de l'investissement.

Les pouvoirs publics peinent à faire face à la croissance

Les défis sont en effet gigantesques. En sus d'un taux de croissance médiocre flirtant désormais avec 5%, les infrastructures du pays demeurent en piteux état et au bord de l'implosion. Les villes continuent de croitre à un rythme exponentiel sans que les pouvoirs publics n'arrivent à suivre, provoquant l'agrandissement des bidonvilles et la déréliction des espaces ruraux. De même, l'éducation reste absolument déplorable dans la plupart des Etats, l'absentéisme des fonctionnaires atteignant de véritables sommets.

Malgré de timides efforts du Parti du Congrès, le système scolaire indien reste en effet basé sur le système colonial produisant un minuscule pourcentage d'élite à l'éducation de bon niveau, et laissant l'écrasante majorité des étudiants avec des enseignants payés au lance-pierre et jamais évalués. Enfin, la corruption des institutions continue de gangréner l'ensemble des rouages administratifs du pays, sans - jusqu'ici - de vraie perspective d'amélioration.

Un premier ministre "distrait des nécessités basiques"

Avant même l'élection de M. Modi, l'équipe gouvernementale avait certes pris soin de minimiser les espérances dès que possible auprès des investisseurs, pointant par exemple le fait que les très puissants Etats conserveraient une grande autonomie dans l'application des lois fédérales.  Las, l'anniversaire des 100 premiers jours au pouvoir du nouveau gouvernement a vu le triomphe des sceptiques, qui n'ont pas manqué de verser dans le registre sardonique. « Make In India? » titrait le Financial Times pour un article décrivant la baisse alarmante du taux de croissance industrielle du pays cette année. Chandran Nair, du Global Institute for Tomorrow décrivait lui avec acidité un Premier-ministre « distrait des nécessités basiques » par les sirènes de la technologie - notamment le programme de smart cities -, plus pressé de lancer des programmes de ligne à grande vitesse que de lutter contre la malnutrition infantile et la très faible productivité agricole du pays.

Enfin, les critiques n'ont pas manqué de pointer que dans un pays qui dépense 10 milliards de dollars par an dans son système éducatif, la commande d'un nouveau porte-avion coûtant la modique somme de 3,1 milliards de dollars avait un certain côté indécent. Même au niveau des réformes de fond, M. Modi continuait de décevoir, The Economist l'accusant par exemple de ne faire que « bricoler à la marge » d'un système économique qui porte à bout de bras des champions nationaux ultra-déficitaires.




Ainsi, l'ouverture de l'économie aux capitaux étrangers reste ainsi toujours taboue malgré les promesses de campagne. La mise en place d'une TVA fédérale qui mettrait l'Inde sur la voie royale pour devenir un marché unique parait également s'être perdue dans les tiroirs. La réfaction d'un système judiciaire au bord de l'apoplexie - avec des délais d'attente approchant parfois la décennie -, semble également repoussée aux calendes grecques. Seule la réforme du gigantesque système de subventions sur les produits de première nécessité semble finalement bien emmanchée : elle devrait permettre au gouvernement de distribuer son aide publique en liquide, économisant des millions de dollars gaspillés chaque jour dans le stockage d'immenses quantités de nourriture.

Au niveau administratif, si les nouvelles directives forçant les fonctionnaires de Delhi à rester au bureau jusqu'à la fin de leur horaire officiel restent une véritable révolution pour les règles convolutées du haut-fonctionnariat indien, l'effort devant être réalisé pour construire une véritable culture de la probité dans la fonction publique reste absolument colossal. Pour M. Raja Mohan du Carnegie Endowment for Peace, Modi ne parvient toujours pas à faire « percoler du sens commun » aux niveaux inférieurs de son administration, faisant écho aux études de Lant Pritchett décrivant l'Inde comme un Etat « ballant », paralysé par l'atonie de ses échelons administratifs.



Pour Milan Vaishnav (Center for Global Development), cette absence de grand succès tient principalement au fait que la « force de Modi réside principalement dans capacité à réduire les tracas des grandes entreprises », mais sans être « idéologiquement orienté vers de plus larges réformes pro-business qui permettraient la mise en place d'un cycle de destruction créative et augmenteraient l'efficacité globale [de l'organisation économique du pays] ».  Loin d'être le réformateur miracle que beaucoup attendaient, Narendra Modi se révèle en fait être un croyant en la capacité de bureaucratie de « sauver » l'économie indienne : au lieu de changer profondément le système, il préfère manifestement en améliorer les structures en s'appuyant sur les bureaucrates. Si la méthode avait permis une certaine amélioration du climat des affaires dans le Gujarat, difficile de dire si sa réplication portera autant de fruit dans un organisme politique de la taille et de la complexité de l'Inde.

Des conditions propices à la réforme

Force est en tous les cas de constater que l'ambition de M. Modi de lancer l'Inde vers la manufacture est condamnée à rester mort-née si des efforts bien plus considérables ne sont pas lancés pour augmenter l'attractivité du pays. A l'heure actuelle donc, malgré une bonne volonté indéniable, l'Inde semble poursuivre son schéma de croissance fondé sur une autarcie agricole branlante et l'outsourcing des services informatique. Sans investissements massifs dans les infrastructures et l'éducation en parallèle d'une véritable simplification des codes régissant l'activité du secteur privé - ce sur quoi M. Modi avait justement fait campagne -, le pays risque de rater sa transition au bénéfice de voisins plus agressifs dans leur libéralisation (à commencer par le Myanmar ou l'Indonésie).

Les conditions pourraient pourtant difficilement être plus propices à une poussée réformatrice. L'Inde bénéficie en effet énormément de la chute vertigineuse du prix du pétrole ainsi que des matières premières, une tendance qui a tendance à pénaliser lourdement ses rivaux classiques comme la Russie ou le Brésil, nettement exportateurs de ces denrées. Etrangement, le ralentissement général de l'économie mondial semble ainsi profiter à l'Inde en calmant l'inflation et en réduisant ses coûts d'investissement. Elle restera toutefois pénalisée par la frilosité des investisseurs (amenée à exploser avec la hausse des taux d'intérêts américains), et la fin de l'appétit vorace des investisseurs pour les rendements à haut risque des pays en développement.

Le fort ralentissement - d'aucuns diront le "marasme" - chinois semble ainsi avoir l'effet indirect de transformer l'Inde en véritable champion de la croissance mondiale. Si M. Modi parvient à rassembler suffisamment pour rassembler autour de réels changements administratifs et économiques, il peut réussir à dépasser le gâchis de ces dernières années et à pousser l'économie nationale à reprendre l'initiative. Mais pour permettre à l'Inde de sortir du cercle vicieux dans lequel menace de s'engager l'économie mondiale, il faudra infiniment plus que les maigres réformettes jetées en pâture à la presse jusqu'ici. M. Modi dispose de la majorité parlementaire nécessaire, à voir maintenant s'il possède le courage politique de ses ambitions.

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Commentaires 10
à écrit le 26/10/2014 à 9:51
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Ok, clairement un article niveau 0.

à écrit le 26/10/2014 à 9:39
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Une élection saluée ? C'est une blague cet article ?

à écrit le 24/10/2014 à 10:59
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pourtant avec tout le travail que nous l on avons donné à la place de nos ouvriers ils devraient avoir une économie en meilleure forme Sic!!!! PTDR

à écrit le 24/10/2014 à 7:19
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"le système scolaire indien reste en effet basé sur le système colonial produisant un minuscule pourcentage d'élite à l'éducation de bon niveau". L'Inde est indépendante depuis 1947... Combien la France produisait de bacheliers à cette époque? Elle n...

le 24/10/2014 à 11:40
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Je n'ai pas compris où vous vouliez en venir

le 25/10/2014 à 9:01
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La réforme du système éducatif est une préoccupation du pouvoir politique mais a un effet à long terme; de même que la politique de la famille. Attendons.

le 25/10/2014 à 9:05
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Je me souviens avoir été sensibilisé, au cours d'un voyage il y a 15 ans, au role des écoles et des dispensaires dans les villages ruraux. Merci.

à écrit le 23/10/2014 à 17:55
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Comment peut-on juger l'action d'un homme politique sur si peu de temps alors que le pays a été dirigé par le népotisme parlementaire + corruption d'une dynastie Nehru-Gandhi pendant des décennies !

le 24/10/2014 à 11:37
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A peine 1 mois après son élection, Hollande se faisait tirer à boulet rouge sur ce site...Les gens veulent tout, tout de suite. Les gens sont c**s

à écrit le 23/10/2014 à 17:19
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A 64 ans Modi parait bien jeune, à moins que ça soit la photo de l'auteur qui fait sa promotion ....

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