L'espace, un succès européen

Le lancement d'Ariane 6 est l'occasion de mettre en avant une réussite européenne, celle du spatial. Par Didier Schmitt analyste en science et technologie à la Commission européenne

Il règne un certain engouement pour les astres en cette fin d'année, que ce soit avec des voyages virtuels dans l'espace-temps au travers du cinéma, ou par les exploits réels et spectaculaires du chasseur de comètes Rosetta et de son éclaireur Philae (ce dernier ayant au passage battu des records sur les réseaux sociaux). L'espace d'un instant, la science a ainsi éclipsé les problèmes économiques omniprésents ou les affaires médiatiques éphémères, pour nous offrir un peu de rêve.

A la découverte de l'Europe

A cette occasion, nombreux sont celles et ceux qui ont découvert que nous avions une agence spatiale européenne, qui plus est, une championne du monde. C'est bien la preuve que nous avons un déficit d'identité européenne. Dans la foulée, la concomitance des calendriers a fait que nous venons de décider du successeur à notre mythique fusée (européenne) Ariane 5, de lancer une coopération historique avec la NASA pour fournir le système de pilotage de leur futur vaisseau habité - qui ira bien au-delà de la Lune -, et d'envoyer une spationaute européenne dans la station spatiale internationale. Des "messages d'Europe" très concrets en somme, qui prouvent qu'ensemble nous pouvons réussir.

Un pour tous et tous pour un

L'actualité récente, comme la fusée américaine Antares qui s'est écrasée au décollage et l'accident de l'avion-fusée pour touristes spatiaux, nous rappelle que ces technologies de pointe sont risquées. Mais cette complexité est indirectement une bonne chose car elle nous force à travailler ensemble. Une autre raison de mise en commun de moyens, est leur coût significatif. Encore que cela soit relatif. Sans faire d'angélisme primaire, il faut quand même noter qu'avec les dépenses des conflits armés dans le monde depuis le début du projet Rosetta, nous aurions pu réaliser 5000 missions d'exploration de ce type. Dans un autre registre, le chiffre d'affaires de l'industrie du tabac représente quand à lui un vol interplanétaire par jour! D'autres diraient que Rosetta nous a couté bonbon ; en effet, le prix d'un bonbon par an et par Européen tout au long de son déroulement...

L'inconnu comme objectif

Une particularité des missions d'exploration européennes est qu'elles vont à la découverte de l'inconnu. Ce fut le cas pour Rosetta et Philae, dont le choix de la comète cible n'a pu être fait qu'après leur fabrication, ou encore pour le record de l'atterrissage le plus lointain, par la sonde Huygens de l'ESA, sur Titan, une lune de Saturne. Le prochain épisode sera exoMars, un véhicule-laboratoire qui tentera de déceler des traces de vie dans le sous-sol martien en 2018. Aller à la pêche sans savoir quel poisson se retrouvera dans les filets fait que l'émerveillement est chaque fois au rendez-vous. Pour des projets robotiques encore plus ambitieux, comme de ramener des échantillons de sol martien, le niveau européen ne suffira pas. Ce n'est pas une question de compétences, mais de budgets alloués.


Spatio-politique

Pour ces projets d'envergure, la rivalité et le prestige techno-politique resteront toujours en filigrane. Mais au-delà des drapeaux, l'important est la compétition pour les idées, si tant est qu'elle soit suivie d'une coopération pour leur réalisation. De par sa culture du consensus, l'Europe est dans une situation privilégiée pour fédérer ces initiatives. Christophe Colomb serait fier de savoir que c'est justement en Europe qu'a eu lieu le premier dialogue politique entre 28 pays et 3 continents en 2011, pour jeter les bases d'une exploration spatiale en tant qu'aventure au long cours dans l'intérêt de l'humanité.

De telles initiatives pacifiques qui rassemblent ne sont pas légion. Mais pour autant l'esprit de «conquête spatiale» ne doit pas occulter la quête de notre place au sein de l'Univers. Cet élargissement constant du champ de vision nous rendra plus humbles au travers de la prise de de conscience que nous faisons partie intégrante de l'espace. Faisons de la place aux débats intellectuels et à la diplomatie scientifique pour nous rassembler derrière un objectif commun qui est le partage de cette connaissance. Sachant que si les questions sont scientifiques et les défis technologiques, la stratégie et la vision d'ensemble, elles, ne sont réalisable que politiquement, avec une lisibilité sur plusieurs mandatures.

Aller plus loin encore

L'aventure spatiale, avec toutes ses retombées, est aussi un excellent outil pédagogique, comme cela a été montré par une récente bande dessinée de la Commission Européenne. Elle permet de mettre en exergue la transversalité: des mathématiques à la physique, de la chimie à la biologie, de la géographie à l'histoire, de l'éthique à la philosophie, de l'économie à la politique, et des arts à la culture en général. L'aventure spatiale est également une leçon de vie pour les jeunes et les moins jeunes, car elle est le fruit d'efforts collectifs et d'interdépendances bénéfiques. Des enquêtes d'opinion montrent que les citoyens sont optimistes quant à l'utilité des technologies et veulent avoir leur mot à dire dans les orientations de la recherche. A côté des programmes décidés par la communauté scientifique, des initiatives ou prime l'avis des citoyens pourraient ainsi être imaginées, avec des financements en partie philanthropiques. L'engouement est là.


L'étoile du berger

Nos premiers ancêtres ont levé les yeux vers les étoiles pour se guider ou pour trouver des réponses à des questions existentielles. Ce n'est pas un hasard si ce même homo sapiens, probablement le plus explorateur des hominidés, s'est imposé dans tous les recoins de notre planète. C'est cet instinct qui nous pousse encore aujourd'hui à aller toujours plus loin - le nouveau record de saut stratosphérique en est une illustration. Laissons le soin à homo astrolopitecus le soin de nous entraîner vers le cosmos, non pas comme un opium du peuple à l'heure de difficultés économiques et sociales, mais paradoxalement, afin de prendre du recul 'métaphysique' par rapport à nous-mêmes. Pour ce faire, la prochaine prouesse devra être politique plus que technologique.

Didier Schmitt est analyste en science et technologie à la Commission européenne.
Les opinions exprimées dans le présent article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la position de la Commission européenne.

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Commentaires 2
à écrit le 02/12/2014 à 22:19
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C'est vrais que comme Airbus, l'espace est aussi un domaine qui a montré que la coopération européenne est une réussite sur le plan industriel et scientifique. La prouesse technique des sondes spatiale Philae / Rosetta l'a déjà montrée et le fait que...

à écrit le 02/12/2014 à 18:35
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Galileo, l'incroyable fiasco Michel Cabirol 83 Au moins cinq satellites du programme Galileo en orbite seraient actuellement hors service ou en proie à de sérieuses difficultés de...Hummm

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