Afrique : des fusions acquisitions en plein boom, non sans risque

En  2015, la croissance économique en Afrique, corrélée à la rapide progression des classes moyennes, va donner un coup d'accélérateur aux fusions-acquisitions. Mais attention aux risques! Par Stéphanie Lhomme, directrice Investigations et Conformité Europe & Afrique et DG France de Control Risks

Malgré un léger ralentissement du nombre des transactions en Afrique en 2014, les investisseurs sont confiants : l'activité de fusions acquisitions va rebondir en 2015 sur le continent. En 2014, selon la dernière édition du rapport « Deal Drivers Africa » parue le 11 décembre, il y a eu 181 opérations de fusions-acquisitions sur les neuf premiers mois pour une valeur globale de 19,1 milliards de dollars - soit une augmentation de 7% en volume mais un recul de 25% en valeur.

La plupart des opérations ont eu lieu au Nigeria et en Afrique du Sud (7,9 milliards de dollars) avec une nette concentration sur le secteur minier. La plus forte progression en valeur ayant été enregistrée dans le secteur des services financiers, qui dépasse même les deals dans l'énergie. Mais en 2015, la croissance économique du continent, tirée par le le poids grandissant de la classe moyenne, va donner un coup d'accélérateur aux fusions-acquisitions dans tous les secteurs (banques, distribution, télécom, pharmacie...). Ainsi 53% des experts interrogés pour le rapport Mergermarket s'attendent à une augmentation significative du nombre d'opérations au cours des 12 prochains mois.

Des challenges complexes

 Cependant les opportunités qu'offre l'Afrique aux investisseurs s'accompagnent de challenges spécifiques et complexes. Tout d'abord l'information est limitée et peu fiable, ce qui rend les audits et les due diligences classiques insuffisants. Il est indispensable de compléter les approches traditionnelles par un véritable travail d'intelligence sur le terrain afin d'obtenir des éléments pertinents avant toute décision stratégique. Cela est bien illustré dans le rapport « Deal Drivers Africa », élaboré à partir de plus de 100 entretiens avec des experts des fusions-acquisitions en Afrique : 33% des répondants ont cité ce problème d'exhaustivité et de fiabilité de l'information comme le premier obstacle aux investissements sur le continent.

 Manque de transparence, flou...

Le défaut de transparence (36%) et le flou autour des évolutions législatives et réglementaires (48%) sont les deux autres défis majeurs, pour 48% des répondants, et toujours susceptibles de faire échouer des transactions dans presque tous les domaines. Le manque de transparence s'applique en Afrique aux processus décisionnels politiques et juridiques. Il est parfois difficile de comprendre l'attribution ou la révocation des licences et autorisations diverses. Il faut ici connaitre les circonstances dans lesquelles ces permis ont été accordés et ainsi pouvoir analyser l'impact potentiel d'un changement politique. C'est une analyse complexe, basée sur des scenarios prenant en compte des facteurs aussi divers que l'économie, la politique voire géopolitique, le contexte juridique...

 Les risques spécifiques aux secteurs miniers et au BTP

Les secteurs miniers, des infrastructures ou du BTP présentent des risques bien spécifiques liés à l'achat des terrains ou aux supports politiques locaux nécessaires. Les technologies et télécommunications sont en cours de consolidation sur le continent, créant un environnement plus concurrentiel. Celui-ci pèse sur la profitabilité attendue mais accroit aussi les risques de fuite d'informations en amont. La propriété intellectuelle, base de la valorisation dans ces secteurs, vit sous la menace des « cyber-attaques » . Or en Afrique, les lois sur la protection de l'information apparaissent de façon inégale et évoluent en permanence laissant peser un degré d'incertitude trop élevé.

 Protéger les données

La protection des données dans les opérations de fusions-acquisitions est un problème majeur. Sécuriser ses données est impératif pour protéger la valeur de la transaction et conserver un avantage dans la négociation. Or les multiples sources d'information, qu'il est nécessaire d'utiliser en Afrique, décuplent les risques au-delà de la seule sphère informatique. Il faut aussi être diligent sur le niveau de protection des données de la cible elle-même. Les « cyber- due diligence » ne sont pas un luxe en Afrique. La première étape est d'identifier les actifs critiques de la cible qui sont la base de la valorisation. Il faut ensuite évaluer les risques et les mesures de protection en place. Si ces mesures sont insuffisantes, il faudra estimer le coût de mise à niveau post acquisition, qui peut diminuer fortement le retour sur investissement d'un actif alors surpayé.

Des multinationales victimes de grosses attaques informatiques

Les victimes des plus grosses attaques informatiques de l'été dernier étaient toutes des multinationales qui avaient investi des millions en cyber-sécurité (JP Morgan, Home Depot, Target..., mais les intrusions ont eu lieu via d'autres systèmes que les leurs, plus faibles au sein de leur chaîne d'approvisionnement. Un risque encore plus important en Afrique, les chaînes d'approvisionnement sur le continent étant transnationales. Comme il est impossible de mener des due diligence sur l'ensemble des fournisseurs et partenaires d'affaires, il faut le faire sur ceux identifiés comme critiques et dont les systèmes sont liés à ceux de la cible (systèmes d'achats intégrés par exemple). La phase d'intégration des systèmes post-acquisition est aussi importante, les risques sur les systèmes en Afrique étant plus élevés, il faudra décider quels systèmes intégrer et à quel degré.

 Une approche globale des risques nécessaire

La priorité est encore donnée aux aspects financiers et légaux d'une transaction. Une approche globale des risques reste rare alors qu'elle est devenue un facteur clé de succès dans un monde où les risques sont interdépendants. C'est encore plus vrai en Afrique. L'utilisation des technologies en Afrique diffère de celle en Europe ou aux Etats-Unis :'une évolution qui a pris plusieurs décennies en Europe a eu lieu en quelques années seulement en Afrique, ce qui multiplie les risques. Une opération de fusion-acquisition n'aboutira donc avec succès que si la myriade de risques est abordée de façon holistique et pragmatique, en prenant en compte les facteurs technologiques, géopolitiques et surtout culturels et humains y compris sur le sujet cyber.

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Commentaire 1
à écrit le 19/12/2014 à 14:16
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Toujours le pessimisme quand il s'agit de l’Afrique...

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