A quelles conditions la BCE peut réussir

La BCE va bientôt lancer son "quantitative easing". Pour que cette opération ait quelques chances de réussir, il faudra qu'elle mobilise au moins 1000 milliards d'euros, et que soient achètés prioritairement la dette des pays en difficulté. Par Christopher Dembik, Economiste de Saxo Banque, et Michel Ruimy, Professeur affilié à l'ESCP Europe
Christopher Dembik et Michel Ruimy

Alors que le risque déflationniste est bien présent en zone euro, l'assouplissement quantitatif (quantitative easing - QE), qui pourrait débuter dès la fin du mois, suscite de fortes réserves : certains pensent qu'il ne fonctionnera pas, d'autres qu'il ne ferait qu'alimenter les bulles spéculatives, et d'autres encore qu'il inciterait les États à relâcher leur discipline budgétaire. Ce QE serait donc indésirable. Pourtant, pour Mario Draghi, cela est tout autre. Pour le Président de la BCE, celui-ci est aujourd'hui indispensable. Dès lors, quitte à le faire, autant bien le faire. Mais, pour cela, trois conditions de réussite sont notamment à considérer : sa crédibilité vis-à-vis du marché, son calibrage et la mutualisation des risques encourus.

L'approche purement comptable de la BCE

La BCE ne le dissimule pas, elle a une approche purement comptable. Son objectif est d'augmenter son bilan de 1 000 milliards d'euros. Pour y parvenir et pour relancer le marché de la titrisation qu'elle considère comme utile au financement de l'économie, elle procède déjà à des rachats d'ABS. Compte tenu de l'étroitesse de ce marché en Europe (201 milliards d'euros émis en 2014), on peut espérer au mieux, une augmentation du bilan de l'ordre de 400 à 500 milliards d'euros. Manquent alors au moins 500 milliards d'euros supplémentaires. C'est justement le montant qu'elle souhaite mobiliser dans le cadre de son programme d'assouplissement quantitatif, ce qui représente que 7% des encours de dette publique totale dans l'Euro zone.

500 milliards d'euros, un montant d'achats peu crédible, en regard des 3000 milliards injectés par la Fed

Le problème est qu'un tel montant est peu crédible aux yeux des opérateurs du marché pour qu'elle puisse remplir son objectif. Bien que la structure économique et financière de la zone euro diverge grandement de celle des États-Unis, il y a de grandes chances que les investisseurs fassent intuitivement le rapprochement avec les 3 500 milliards de dollars (près de 3 000 milliards d'euros) injectés, de 2008 à 2014, dans l'économie américaine par la Federal Reserve via les trois programmes d'assouplissements quantitatifs.

Dès lors, pour être crédible, éviter un krach des marchés financiers, soutenir le retour de la confiance des agents économiques..., la BCE devra s'émanciper de ses objectifs initiaux en présentant un dispositif d'ampleur suffisante, que l'on peut estimer à, au moins, 1 000 milliards d'euros. Ce montant est néanmoins insuffisant pour avoir un impact significatif sur l'économie car cela dépend aussi de la vitesse d'exécution de son programme d'achats c'est-à-dire son calendrier.

Se focaliser sur les dettes des pays les plus fragiles

Deuxième point, le calibrage du QE. Il serait judicieux que celui-ci soit réalisé en liaison avec la clé de répartition du capital de la BCE - qui reflète, en particulier, le poids économique et démographique de chacun des pays de la zone euro. Dans ce cas de figure, au 1er janvier 2015, l'Allemagne serait le principal bénéficiaire de l'opération puisque 18% du montant total du QE serait alloué aux rachats de Bunds.

Des situations ubuesques pourraient toutefois apparaître rapidement : on pourrait assister, pour des pays bénéficiant déjà de la bienveillance des marchés, comme l'Allemagne et même la France, à un enfoncement des taux zéro sur les échéances longues. Quant aux pays marqués par un marché obligataire étroit, ils pourraient être confrontés à son assèchement, faute de liquidités. Ainsi, pour réussir, le calibrage du QE doit se focaliser sur les segments de marché les plus défaillants c'est-à-dire qu'il doit tenir compte de l'émetteur des titres afin de cibler les pays qui ont le plus besoin d'être soutenus (essentiellement le Sud de l'Europe) et de réduire la dislocation des taux entre les pays-membres de l'Union.

Une nécessaire mutualisation des risques

C'est donc bien la clé de répartition du capital de la BCE qui doit définir l'exposition des banques centrales nationales, indépendamment de la qualité et du montant total des titres qu'elles rachèteront. En d'autres termes, c'est elle qui doit servir à définir les entités qui sont les plus à même d'accepter et d'assumer des pertes sur des obligations souveraines d'autres États-membres, préservant ainsi l'unité du Système européen de banques centrales (SEBC). Sans mutualisation des risques, un QE n'aurait tout simplement aucun intérêt.

Répliquer l'expérience américaine?

Cependant, même en respectant toutes ces conditions, le succès du QE n'est pas garanti. Si les canaux de transmission de la politique monétaire d'une zone géographique à l'économie réelle sont relativement bien appréhendés par les économistes au plan théorique, en pratique, ces derniers ont du mal à en apprécier tous les rouages précis. Dès lors, on aurait certainement tort de croire que l'expérience américaine puisse être répliquée aisément. Ce serait oublier que la zone euro a pour spécificité de reposer sur un système bancaire très fragmenté. Une seule chose est certaine, la dépréciation de l'euro engendrée par ce nouvel assouplissement monétaire pourrait constituer une planche de salut pour de nombreux secteurs d'activité tournés vers l'exportation, y compris en France.

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Commentaires 6
à écrit le 26/01/2015 à 18:28
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Marrant le chiffre de 1000 milliards aux banques (ça sonne un peu le déjà vu!!) et la contrepartie???? on interdit la spéculation et les produits opaques?????à qui va t'on les donner??? aura t'on la liste et un suivi chiffré de ce à quoi il servira...

à écrit le 19/01/2015 à 16:58
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Le calibrage du QE ne doit pas être réalisé en liaison avec la clé de répartition du capital de la BCE: L'Allemagne ne connaît presque pas la déflation alors que la Grèce est très fortement en déflation. Cela s'explique par le rôle déflationniste des...

à écrit le 19/01/2015 à 16:46
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Pour moi seul une inflation massive peut relancer l'économie. Les pauvres n'ont rien à perdre, ils n'ont rien. Les banques et les plus riches y laisseront des plumes et c'est tant mieux. L'autre effet sera l'effacement de la dette, la chute de l'immo...

le 19/01/2015 à 17:09
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n'importe quoi

le 20/01/2015 à 8:25
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"Les pauvres n'ont rien à perdre". Excusez du peu, mais sii les salaires et les allocations ne suivent pas l'inflation, ils perdront en niveau de vie. Jusqu'à ne plus pouvoir manger ? A la différence des riches, ils n'ont pas de capital à perdre c...

le 20/01/2015 à 12:37
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L'inflation est l'économie par l'absurde. Il n'y a pas en France que des pauvres et des riches. Au bout tout le monde y perd

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