L’analyse économique au secours de la responsabilité environnementale

L'analyse économique du droit dévoile les défaillances des lois et propose des méthodes pour renforcer leur pouvoir dissuasif et leur mise œuvre. Et qui pourraient s'avérer très utile dans le combat écologique... Par Pierre Bentata, chercheur en économie à l'Université Panthéon Assas

Le projet de loi sur le préjudice écologique est relancé. Comme toujours, il va falloir composer avec les intérêts divergents des différentes parties prenantes. Les dirigeants craignant pour la survie de leurs entreprises, les syndicats y voyant une menace pour l'emploi. Quant au citoyen lambda, il sera partagé entre la peur d'une hausse des prix et le désir d'un environnement mieux protégé.

Inévitablement, les débats se mueront en luttes idéologiques où chacun fera preuve de la plus grande démagogie. Les partisans de la loi expliqueront qu'en son absence, le paysage français ressemblera bientôt à celui de la Chine, tandis que ses opposants brandiront l'épouvantail du droit américain et ses dommages et intérêts astronomiques. Au final, et faute de débat scientifique sérieux, l'issue dépendra du pouvoir des lobbies, et la loi sera soit trop contraignante, incitant les entreprises à prendre des précautions inutiles, soit trop laxiste et donc sans effet.


Revoir la canalisation de la responsabilité civile

Pourtant, il existe une discipline dont l'objet est explicitement d'analyser l'efficacité du droit, et notamment du droit de l'environnement, en mettant en perspective les intérêts contradictoires de la société. En se fondant sur les réactions rationnelles des individus, l'analyse économique du droit, dévoile les défaillances des lois et propose des méthodes pour renforcer leur pouvoir dissuasif et leur mise œuvre.

Que nous dit-elle à propos du préjudice écologique ? Tout d'abord, l'efficacité de la loi dépend de sa crédibilité. Or, dans les faits, il existe trois barrières majeures à son application qui nécessitent trois réformes fondamentales. Premièrement, si les dirigeants de grands groupes craignent la loi, ils seront incités à sous-traiter leurs activités polluantes à des petites entreprises incapables d'assumer les montants des réparations écologiques. C'était la stratégie de Total dans l'affaire de l'Erika, c'est encore l'attitude de l'industrie du nucléaire qui délègue le nettoyage des centrales à afin de se défaire de toute responsabilité environnementale ou sanitaire. Pour éviter ce comportement, il faudra revoir la canalisation de la responsabilité civile en matière environnementale.

Deuxièmement, l'immense difficulté - voire l'impossibilité - de condamner solidairement plusieurs entreprises dont l'activité conjointe a entrainé un dommage écologique affaiblit la menace de la loi. L'exemple des algues vertes en Côte d'Armor est éloquent : toutes les expertises scientifiques ont montré que l'activité combinée des agriculteurs était la cause de cette pollution, mais devant l'impossibilité de condamner chaque agriculteur individuellement, la loi est demeurée impuissante. Une réforme introduisant la responsabilité solidaire d'un groupe de pollueurs est donc souhaitable, sans quoi, ils se regrouperont pour se protéger de la loi, favorisant l'apparition d'espaces de pollution.



L'action collective contre les dommages écologiques ?

Troisièmement, en l'état actuel, le préjudice écologique ne pourra être invoqué que par l'Etat et ses représentants. Or, ces derniers - des maires et des préfets principalement - ont simultanément le devoir de protéger l'environnement et de promouvoir l'activité économique. En conséquence, ils ne seront pas incités à poursuivre les responsables de préjudices écologiques si le procès est synonyme de dégradation de la situation économique locale. Plusieurs études montrent que ce risque est déjà une réalité en France, notamment  lorsque les responsables représentent une part importante de l'économie de la région, comme c'est le cas de l'agriculture en Bretagne.

Par ailleurs, les citoyens n'agiront pas non plus car les délais et les coûts d'un procès sont souvent prohibitifs. La solution à cette apathie est l'action collective qui permet de regrouper l'ensemble des actions individuelles en un unique procès. Ce mécanisme, introduit dans la plupart des pays de l'OCDE, s'est avéré très efficace, favorisant la réparation des dommages écologiques tout en dissuadant les comportements nocifs des pollueurs, du fait de son impact sur leur réputation et in fine sur leur chiffre d'affaire.


Une loi dévastatrice ?

Ces trois réformes sont des conditions nécessaires de la mise en œuvre du principe de préjudice écologique. Néanmoins, elles sont encore insuffisantes, car il faut aussi garantir la solvabilité des entreprises condamnées, sans quoi la loi serait dévastatrice. Il faut donc ouvrir des discussions avec le secteur de l'assurance, qui n'est pas en mesure actuellement d'assurer des dommages écologiques de plusieurs milliards d'euros. Aussi, l'Etat doit favoriser la création de pools de réassurance et organiser leur coopération avec les agences de protection de l'environnement.

En matière d'environnement, les écueils sont nombreux mais l'approche rationnelle et pragmatique de l'analyse économique du droit est un atout précieux pour éviter les polémiques et favoriser le consensus. Gageons que Madame Taubira saura en faire bon usage.

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Commentaires 2
à écrit le 28/02/2015 à 13:09
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Pourquoi envisager uniquement la responsabilité des entreprises? Le changement climatique concerne surtout les particuliers et justifierait une contribution systématique et pécuniaire sur la consommation d'énergie; cela s'appelle une taxe énergétique...

le 28/02/2015 à 22:24
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Toujours le même disque: taxer l'énergie des autres pendant que vous économisez la votre à la retraite... on s'étonne encore que cette idée ne vous ait pas traversé l'esprit plus tôt.

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