Le médicament n'échappe plus aux réglementations pro-concurrence

La possibilité de faire varier les avantages commerciaux consentis aux officines pharmaceutiques change la donne des pratiques concurrentielles. Par Thomas Lamy, cabinet Grall & Associés

Une modification des règles de détermination du prix des médicaments génériques remboursables est intervenue au cours de l'été 2014, qui libéralise en grande partie le niveau des avantages tarifaires pouvant être octroyés par les fournisseurs aux pharmaciens. Cette réforme laisse craindre que les entreprises concernées (officines, laboratoires et grossistes) soient, dans ce contexte de dérégulation auparavant inconnue du secteur, tentées de coordonner leur prix de revente.

Longtemps, on a pu croire que le circuit commercial de distribution en ville des médicaments remboursables était exclu de la sphère du droit de la concurrence, du fait des règles de maitrise des dépenses de santé issues de l'article L.138-9 du Code de la sécurité sociale, qui plafonnaient les avantages susceptibles d'être consentis par les fournisseurs des officines pharmaceutiques et qui, par voie de conséquence, rendaient stérile toute forme de concurrence par les prix. Bref, il en allait du prix du médicament un peu comme du prix du livre, les distributions pharmaceutiques et littéraires constituant, en somme, les deux ilots émergés de l'océan concurrentiel...

Le médicament concerné par la prohibition des ententes

Bien entendu, cette vision était erronée : le secteur du médicament remboursé ne bénéficie pas, et n'a jamais bénéficié, d'une exemption aux règles de prohibition des ententes anticoncurrentielles posées par l'article L.420-1 du Code de commerce, puisque les prix de vente aux officines pouvaient bel et bien fluctuer, quoique dans les limites posées par l'article L.138-9 du Code de la sécurité sociale.
Il est en revanche exact que, dans les faits, les politiques commerciales des fournisseurs des officines pharmaceutiques ont souvent été réduites à leur plus simple expression, à savoir l'octroi systématique des avantages maxima autorisés par la loi, soit 2.5% du PFHT pour les produits remboursés « princeps » non libres de droits et 17% pour les produits génériques, la véritable négociation commerciale étant alors déplacée sur le terrain des produits non-remboursés, ou prenant la forme de l'achat de service à des groupements de pharmaciens, ces deux négociations demeurant libres sur le plan juridique.

Encadrer les budgets de coopération commerciale

L'Autorité de la concurrence avait relevé cette situation, et indiqué son souhait que les budgets de coopération commerciale et d'avantages divers consentis par les fournisseurs des officines pharmaceutiques puissent être réintégrés dans le prix de vente des médicaments remboursés et, notamment, dans le prix des médicaments génériques.
L'arrêté du 22 août 2014 permet donc cette réintégration et, plus généralement, libéralise les conditions de la négociation commerciale sur la vente de génériques, en portant le taux maximal des avantages de 17 à 40% du PFHT. Dès lors, le fait que le prix des produits génériques puisse désormais fluctuer presque dans les mêmes conditions que celui des produits de grande consommation entraine comme conséquence que les règles de base du droit de la concurrence vont, dans le secteur pharmaceutique, retrouver toute leur force.
Or, le problème en l'espèce est que l'alignement des conditions de la négociation commerciale des produits génériques sur la négociation commerciale « de droit commun», si l'on peut dire, pourrait être en net décalage avec les pratiques observées sur le marché de la distribution aux officines.

 A ce titre, deux travers caractéristiques pourraient susciter les interrogations :
- La transparence des conditions commerciales pratiquées par les fournisseurs (c'est-à-dire par les laboratoires et les grossistes répartiteurs), et une propension à l'échange d'informations entre ces fournisseurs, s'agissant des prix pratiqués aux pharmaciens ;

- La tendance que pourraient avoir les acteurs de la distribution pharmaceutiques (laboratoires, grossistes et pharmaciens) à élaborer en commun les conditions de vente des produits à l'officine : on peut imaginer par exemple que, par le biais de mécanismes contractuels divers, le niveau des avantages octroyés par un laboratoire à un grossiste répartiteur soit en tout ou partie déterminé en fonction du niveau des avantages répercutés ou non répercutés par le grossiste sur le pharmacien. On peut également imaginer qu'un laboratoire convienne avec un pharmacien du prix uniforme auquel celui-ci pourra acheter les produits, qu'il se fournisse auprès des grossistes répartiteurs ou auprès du laboratoire, dans le cadre du circuit dit « direct ».

Quoique illégitimes au regard du droit de la concurrence, du fait de leur objet fondamentalement anticoncurrentiel , ces pratiques demeuraient toutefois peu préjudiciables dans un contexte de variabilité réduite du prix de vente des produits remboursés : celui-ci n'évoluant pas (ou peu) d'un fournisseur à l'autre (grossistes, laboratoires), du fait de l'imputation du niveau maximal des avantages prévus par l'article L.138-9 du Code de la sécurité sociale, certains acteurs de la négociation commerciale pouvaient ainsi légitimement croire que ce type de comportements ne portait pas à conséquence, ni sur le plan économique, ni sur le plan juridique.

Des avantages commerciaux très variables

Bien évidemment, tout change avec l'arrêté du 22 août 2014 : le niveau des avantages commerciaux susceptibles d'être consentis aux officines pharmaceutiques lors de la vente de spécialités génériques pouvant désormais varier selon une amplitude de 0 à 40% du PFHT, il ne saurait être question, pour les acteurs de la distribution pharmaceutique en ville, de perturber la fixation du prix de vente des produits, laquelle doit résulter uniquement du libre jeu du marché.
A défaut, les promoteurs de la pratique se rendraient coupables d'une entente anticoncurrentielle prohibée par les dispositions des articles L.420-1 du Code de commerce et 101 du TFUE , et s'exposeraient à une peine d'amende pouvant atteindre 10% du chiffre d'affaires mondial consolidé des contrevenants. On ajoutera que le risque en l'espèce n'est pas théorique, au vu de la pratique décisionnelle récente de l'ADLC, dont témoigne, par exemple, l'affaire dite du « pet food », à l'occasion de laquelle des agissements comparables à ceux envisagés ci-dessus ont été punis de lourdes sanctions .
Ce sont donc notamment toutes les pratiques qui auraient pour effet de cristalliser le prix de vente aux officines à un niveau donné et de compromettre la concurrence intra-marque entre les différents distributeurs qui sont désormais proscrites : leur disparition du champ de la négociation commerciale suppose donc que les acteurs de la chaîne de distribution se cantonnent à la construction d'une politique commerciale à la fois indépendante et peu complexe dans son principe, puisque fondée en priorité sur l'élaboration d'une marge avant de revente des produits. Or, l'expérience démontre que les ambitions les plus simples sont parfois celles dont la réalisation s'avère la plus malaisée...

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