A quoi ressemblera l'industrie ?

A propos du livre d'Alec Ross, "The Industries of The Future ". Par Fabien Darbois, journaliste

Ancien collaborateur de Barack Obama durant la campagne victorieuse de 2008 puis conseiller innovation d'Hillary Clinton au Département d'Etat, Alec Ross explore dans The Industries of The Future les secteurs qui vont porter les changements économiques et sociaux majeurs des vingt prochaines années.

Alec Ross n'est pas un gourou. C'est un dénicheur d'expériences qui a beaucoup à nous transmettre des nombreuses rencontres qu'il a pu faire à travers le monde. D'abord parce que lui- même a compris que l'apprentissage circulaire était plus enrichissant que l'enseignement vertical controuvé qui n'inspire guère plus qu'il n'intimide.

Robotique, génomique, spécialisation et féminisation, voici les chantiers d'avenir bien engagés que Ross identifie comme sources de progrès.

Oubliez C-3PO et son corps métallique, les robots d'aujourd'hui s'habillent déjà de silicone et ceux de demain utiliseront des nanotechnolgies si prometteuses et si compactes qu'elles ont déjà été intégrées dans des prototypes en soie d'araignée ! L'humanisation des robots avance à grands pas. Grâce à des composants comme les polymères électroactifs permettant au robot de changer de taille et de forme ou les ferrofluides qui autorisent une souplesse proche du mouvement humain. Quand l'infonuagique offre la possibilité au robot de ne plus être un objet fini à l'obsolescence programmée mais un organisme en constante évolution.

L'émergence du robot social

Des brassières électroniques venant palier les défauts de motricité inhérents au grand âge jusqu'au robot permettant de mettre le couvert, préparer à manger ou encore aider aux déplacements, le Japon anticipe le manque de personnel soignant auquel il sera âprement confronté dans les décennies à venir. D'après Ross, la robotique nippone du care est appelée à s'exporter et avec elle l'idée que le robot doué d'une âme peut jouer un rôle social. Ne flippez pas, ce sera sans doute le seul exemple où des générations âgées pourront jouer les early adopters et démontrer ainsi un certain savoir technologique aux plus jeunes, pour ne pas tomber dans l'écueil d'aînés n'ayant plus que des machines à qui parler.

Il n'y a d'intérêt à vivre plus longtemps que si le temps gagné se passe en bonne santé. Pour ce qui est de la machinerie humaine, la génomique va jouer un rôle primordial.

Si la Californie domine le monde par sa maitrise et sa créativité dans le domaine de l'internet, la Chine pourrait de son côté devenir leader en matière de génomique, rendant à son tour le reste de la planète dépendant de son industrie et de son savoir. C'est que l'Empire du Milieu a sacrément investi dans ce domaine et donné un blanc-seing aux chercheurs : le Beijing Genomic Institute (BGI) est aujourd'hui le plus important au monde et possède davantage de séquenceurs que l'ensemble des états américains au point d'envisager prochainement le séquençage de tous les bébés chinois à naître.

La Chine, nouvel empire de la génomique

Alors que le séquençage génétique coûte de moins en moins cher depuis 15 ans, l'accent va être porté sur des médicaments de précision davantage individualisés. Ross pointe toutefois une faiblesse dans ce qui devrait révolutionner la médecine au moins autant que l'apport de l'anesthésie à la chirurgie au XIXème siècle. La pédagogie accompagnant l'annonce des maladies susceptibles de concerner un patient et les modalités à suivre pour éviter qu'elles se manifestent trop vite n'auront ainsi pas les mêmes effets selon les catégories sociales. Quand bien même un séquençage tournerait autour de 1000 dollars par personne d'ici 10 ans avec une possible prise en charge par les assurances, il faudra des ressources individuelles conséquentes pour que ces connaissances - une fois recherchées, analysées et expliquées - soient ensuite mises à profit en changeant d'emploi, de lieu de vie ou en adoptant une activité physique non superficielle comme une alimentation singulièrement plus saine et variée. Qu'adviendra-t-il des personnes dont la trajectoire médicale sera peu ou prou tracée à 30 ans, sans qu'elles puissent la modifier autrement qu'à la marge, faute de moyens suffisants ?

A juste titre, Ross rappelle que toutes les tentatives de reproduire à l'étranger le développement spectaculaire de la Silicon Valley entre 1994 et aujourd'hui ont échoué. Souvent par paresse dans le calque choisi. Dès lors, il faut que les pays candidats à l'innovation inventent autre chose, un autre modèle, explorent de nouveaux domaines. S'atteler à devenir un phare dans une industrie du futur en particulier, donner un sentiment de communauté aux créateurs et entrepreneurs est un bon plan. Sortir du nombrilisme et de l'hyper-centralisation autour des trifouilleurs de data en Californie qui pourraient prétendre tout contrôler comme la Rome antique, fait aussi figure de motivation.

La maîtrise algorithmique n'étant par ailleurs guère américano-centrée, elle accompagne déjà le développement de domaines d'expertise partout dans le monde en se combinant souvent avec les spécificités locales.

Tous les pays auront leur chance

En 2002, seuls 3 % des Africains étaient usagers du téléphone mobile, 80% le sont aujourd'hui. De quoi considérablement changer et booster l'économie continentale. C'est là qu'entre en jeu M- Pesa qui a eu l'ingénieuse idée de conjuguer le boom du mobile au Kenya avec le codage de l'argent. Le leader des transferts par mobile a vu transité en 2012 un quart du PIB kényan avec pas moins de 19 millions de comptes dans un pays de 43 millions d'habitants, atteignant également les zones rurales. Les transferts s'effectuant par un simple texto mentionnant le montant de la transaction avec des frais autrement plus concurrentiels que ceux des banques traditionnelles. Ce qui permet de réduire considérablement le racket ainsi que la corruption davantage friands d'argent en espèce et développe la confiance dans les échanges commerciaux. Un cercle vertueux au potentiel considérable pour le reste du continent puisque parmi les 40 milliards de dollars de virements vers l'Afrique sub-saharienne, émis depuis l'étranger par des travailleurs émigrés, plus de la moitié ont été effectués par mobile en 2015.

Certains jeunes entrepreneurs comme Jeremy Johnson, créateur d'Andela, ont compris le potentiel d'envie de réussite et d'épanouissement personnel qu'il y avait à développer dans les nouvelles technologies en Afrique. Située au Nigéria, Andela est déjà la meilleure école de codeurs du continent et il est désormais plus dur d'y rentrer qu'à Princeton, ses diplômés étant courtisés dans le monde entier.

Autre success-story africaine, iCow, créée par l'entrepreneuse Su Kahumbu au Kenya, permet quotidiennement à 11.000 petits paysans qui possèdent en moyenne trois vaches laitières, de recevoir des conseils de vétérinaire pour mieux soigner et réguler la nutrition comme la gestation de leurs animaux mais aussi de s'informer sur la demande locale de lait par textos ou messages vocaux.

La féminisation, un critère de puissance

L'importance de la place accordée aux femmes actives dans l'économie, voilà un autre critère qui selon Ross sera déterminant au moment de rebattre les cartes.

Pour les nations qui voudraient devenir plus innovantes, la ressource principale à renforcer n'est pas leur capital financier mais leur peuple. Ce qui implique logiquement de ne pas considérer - avec plus ou moins d'hypocrisie - les femmes comme des sous-citoyennes dans le champ politique et des variables d'ajustement dans l'équilibre économique. Ainsi, ne pas chercher à dépasser des héritages culturels négatifs pour la place des femmes en société est présenté comme l'obstacle le plus redoutable à toute innovation économique et politique permettant une croissance durable et une vie démocratique renouvelée. C'est loin d'être un détail quand on sait qu'il y a plus d'entrepreneuses que d'entrepreneurs au Nigéria comme au Ghana — deux lionnes africaines devrait-on dire — et que cette différence se retrouve également lorsqu'on compare la Chine au Japon ou l'Indonésie à l'Arabie Saoudite.

Face à tous ces défis, on réalise que si certaines industries du futur sont déjà bien engagées quand d'autres nécessitent encore une implémentation, dans tous les cas les innovations technologiques doivent être accompagnées de pédagogie pour faire du commun, au risque sinon de diviser davantage les sociétés modernes. Avec cette idée aussi que les opportunités - comme le temps libre et l'argent - doivent être davantage partagées. En gardant à l'esprit que même au sein de sociétés technologiquement avancées, le logiciel du vivre ensemble ne se met pas à jour aussi aisément que celui d'un robot.

Ayant intégré la liste convoitée des best-sellers du New York Times peu de temps après sa sortie, The Industries of The Future vient déjà d'être traduit en mandarin. J'ai une confidence à vous faire : le petit livre rouge d'Alec Ross est autrement plus précieux.

The Industries of The Future par Alec Ross. Simon & Schuster, 2016.

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