A quoi servirait de supprimer l'ENA ?

Le thème de la suppression de l'Ena est relancé, notamment par Bruno Le Maire. Mais cela revient à poser un faux problème, ou plutôt à éviter d'en poser un vrai, celui de la fonction publique de demain, de son rôle et de son périmètre

Serpent de mer du débat public, Bruno Le Maire a eu l'honneur de remettre sur la table des élections présidentielles de 2017, la suppression de l'ENA, fabrique des élites politico-administratives françaises depuis 1945. En 1997, la journaliste Ghislaine Ottenheimer révélait dans un article intitulé : « Faut-il brûler l'ENA ? », l'existence d'une association baptisée Organisation Contre le Système ENA (OCSENA), dédiée à sa disparition. Elle rappelait à cette occasion que sa suppression faisait partie du programme du Parti Socialiste en 1972. Dire que l'on adore détester l'institution relève donc d'un euphémisme. Mais que peut-on bien reprocher à l'ENA ?

 Deux grands types de critiques

Deux grands types de critiques coexistent. Pour l'opinion, l'ENA est le symbole de la faillite de ses élites et de l'échec de ses gouvernants. « L'énarchie » favoriserait l'immobilisme de l'Etat : s'en débarrasser serait le seul moyen d'enclencher le changement. La critique venue du sérail émane souvent d'anciens énarques. Elle se focalise sur l'organisation de l'école, ses enseignements et sur sa légitimité à former l'élite administrative. Nombre de nos voisins européens recrutent leurs hauts-fonctionnaires sans passer par une école spécialisée. Doit-on pour autant les considérer comme étant mal administrés ?

 Ne pas en faire un tabou

L'avenir de l'ENA ne devrait pas être un tabou. Son existence doit être justifiée par la nature spécifique des compétences qu'elle transmet, ce qui, si l'on en croit les intéressés, ne semble pas toujours être le cas. Par ailleurs, sa création répondait aussi à un objectif de démocratisation de l'accès aux fonctions publiques les plus prestigieuses. Là aussi, l'ENA doit réfléchir à la manière d'ouvrir son recrutement à des profils plus variés. D'ailleurs, elle le fait. En témoigne la création d'un concours pour les cadres du secteur privé. Des ajustements sont nécessaires pour adapter les compétences aux besoins de l'administration et diversifier les profils. Des leviers existent : la formation initiale et continue, la promotion interne, une gestion dynamique des carrières. Et puis, avant de supprimer l'Ena, encore faut-il expliquer par quoi on veut la remplacer.

 Gardons-nous en effet de confondre l'influence de l'Ena avec la démission du politique. Rendre l'école seule responsable de l'échec des politiques publiques depuis trente ans, reviendrait à lui attribuer plus de pouvoirs qu'elle n'en a. On n'attend pas de ses élèves qu'ils proposent des réformes clés en main, mais qu'ils secondent ceux qui les mettent en œuvre. Par ailleurs, l'ENA n'est pas la seule voie d'accès à la haute fonction publique. Des écoles comme Polytechnique, les écoles normales supérieures, l'école nationale de la magistrature, l'école spéciale militaire de Saint-Cyr, sélectionnent et forment chaque année un grand nombre de fonctionnaires.

 Le problème, c'est l'omniprésence des élites administratives en politique

Le problème n'est donc pas celui de la formation des élites administratives, mais de leur omniprésence dans la classe politique. Elle alimente le sentiment que le pouvoir en France n'est pas l'affaire que d'une poignée de gens autorisés, à l'opposé de la promesse démocratique. Elle limite la circulation des idées, accentue le fossé entres gouvernés et gouvernants. Pour y remédier, plusieurs solutions sont possibles. Leur point commun : oxygéner la vie publique, en mettant fin aux carrières interminables et en l'ouvrant à une plus grande diversité de profils. Il faut par exemple réfléchir à un véritable statut de l'élu qui donne la possibilité aux salariés du secteur privé d'accéder plus facilement aux fonctions électives. Il convient également d'exiger des hauts fonctionnaires qu'ils démissionnent de la fonction publique s'ils souhaitent se lancer dans une carrière d'élu, comme c'est le cas au Royaume-Uni. Les partis doivent aussi réfléchir aux modes de recrutement et de sélection de leurs candidats.

Une classe politique usée

 L'ENA est l'arbre qui cache la forêt, celle d'une classe politique usée et repliée sur elle-même. Les primaires de la droite et du centre mettant aux prises un ancien Président, deux anciens Premiers ministres et trois anciens ministres, en sont un exemple parmi d'autres. La suppression de l'Ena revient à poser un faux problème, ou plutôt à éviter d'en poser un vrai, celui de la fonction publique de demain, de son rôle et de son périmètre. Ensuite seulement il sera possible de concevoir les formations et les modalités de recrutement adéquates.

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Commentaires 2
à écrit le 14/11/2016 à 17:58
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La suppression de l'ENA ne sera qu'un geste symbolique car il faudra toujours recruter des hauts fonctionnaires. Le plus important serait que les politiques réinvestissent le champs de leur action plutôt que de passer leur temps à se combattre au li...

à écrit le 14/11/2016 à 11:41
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Supprimer l'ENA sans remettre profondément en question le fonctionnement oligarchique de notre société ne servirait en effet à rien du tout. Mais bon c'est la campagne des présidentielles faut trouver une idée populiste qui fasse le buzz, le rest...

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