Affaire Google  : quelques réflexions sur une amende historique

Outre le contexte européen actuel marqué par la défiance grandissante vis-à-vis des Gafa, la décision de la Commission ne semble pas toujours prendre la pleine mesure des comportements des consommateurs. Par Michel Roseau, avocat spécialisé en droit de la concurrence et enseignant en droit européen à l'Université Paris II Panthéon-Assas.
Michel Roseau, avocat spécialisé en droit de la concurrence et enseignant en droit européen à l'Université Paris II Panthéon-Assas.

La Commission européenne a infligé à Google une amende de 2,42 milliards d'euros, la plus importante jamais mise dans le domaine des abus de position dominante. La Commission reproche à Google d'avoir abusé de sa position dominante dans la recherche en ligne afin de favoriser son comparateur de prix "Google Shopping".

Il faut sans doute se réjouir que cette affaire puisse enfin trouver son terme, du moins au niveau administratif, car il est probable que Google portera l'affaire devant la justice européenne.

Bien sûr, cette décision, qui permet à elle seule de déclencher une puissante campagne de presse pour la Commission, pourrait soulever quelques interrogations, voire de la suspicion. Fallait-il autant de temps pour prendre une décision alors que l'économie numérique se transforme si rapidement ? La Commission a-t-elle été bien avisée de changer plusieurs fois son fusil d'épaule, poursuivant l'affaire alors qu'un règlement amiable était semble-t-il à portée de main quand Joachim Almunia était commissaire à la Concurrence ? Que doit l'ampleur d'une telle amende à un contexte européen actuel marqué par la défiance grandissante vis-à-vis des Gafa et plus largement vis-à-vis des Etats-Unis ?

Questions sur le droit à la concurrence, et débats en perspective

Au-delà de ces considérations, il n'est pas inutile de s'interroger sur le fond du dossier - il faut naturellement être prudent, car la décision n'a pas encore été rendue publique -, et s'attacher à l'acte d'accusation (statement of objections) par lequel la Commission a établi l'ensemble de ses griefs et donc circonscrit l'affaire. Ce cas renvoie en effet à plusieurs questions essentielles du droit de la concurrence.

Tout d'abord, la délimitation du marché pertinent. Il s'agit toujours de la première des batailles, le régulateur concurrentiel ayant toujours tendance à le définir comme plus étroit que les parties incriminées, afin de caractériser plus facilement le pouvoir de marché de l'opérateur leader. A cet égard, l'un des points essentiels tient à la façon dont le consommateur en ligne procède à ses achats. L'analyse de la Commission, telle qu'elle est apparue dans sa notification des griefs, s'attache à définir une séquence de consommation en trois temps : le consommateur cherche son produit en ligne ; une fois trouvé, il a recours à un ou plusieurs comparateurs de prix ; enfin, il l'acquiert sur un site marchand. C'est à partir de cette analyse que la Commission a considéré que les services offerts par Amazon ne se situaient pas sur le marché pertinent considéré au cas d'espèce. Outre le fait qu'Amazon, premier commerçant en ligne mondial, propose également des services de comparaison de prix, une telle analyse ne rend pas compte de la diversité des modes de consommation en ligne. Beaucoup d'acheteurs se rendent directement sur des sites via leur ordinateur ou leur smartphone pour acheter. Il n'existe plus de frontière clairement définie entre vendeurs, comparateurs, plateformes, lesquels fournissent des services d'achat à des degrés divers.

Ensuite, la question de la dominance et de l'abus. C'est à l'évidence l'une des questions les plus difficiles et les plus controversées de l'antitrust. Si la Commission a essayé il y a une dizaine d'années de mieux encadrer son action dans le domaine des abus de dominance, chacun comprend que chaque cas fait l'objet d'un traitement spécifique. Or, en l'espèce, est-il permis de considérer que le juge de paix de cette question est avant tout le consommateur, et de rappeler que l'objectif unique du droit de la concurrence est de maximiser son bien-être ? A cette aune, il est indubitable que Google, qui dépense 5 fois chaque année en recherche-développement le montant de l'amende ici considérée, consent des efforts d'innovation constants. Dans le domaine du shopping, Google a ainsi continuellement amélioré son service, ajoutant par exemple photos, prix, comparaisons comme résultat des demandes en ligne faites par les consommateurs pour tel ou tel produit.

Enfin, la concurrence potentielle et la dynamique concurrentielle. Au cours des dix dernières années, en matière de commerce en ligne, plusieurs centaines de sites de comparaison de prix sont apparus. La plupart de ces nouveaux entrants ont finalement disparu, mais certains ont prospéré. Le fait est que le phénomène de destruction créatrice cher à Schumpeter, concerne bien ce marché, signe de son caractère concurrentiel.

En définitive, si l'on fait abstraction de son caractère médiatique, la décision de la Commission ne semble pas toujours prendre la pleine mesure des comportements des consommateurs. Ceci annonce des débats intéressants si l'affaire est portée devant la justice européenne.

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Michel Roseau est avocat spécialisé en droit de la concurrence et enseigne le droit européen à l'Université Paris II Panthéon-Assas.

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Commentaire 1
à écrit le 03/07/2017 à 13:23
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Magnifique plaidoyer en faveur de gogole. Ainsi, je vais reprendre point par point... Hé hé. 1) la délimitation du marché pertinent. Donnez-moi un site commerçant qui n'est pas OBLIGE d'utiliser gogole..?? Merci d'avance. Vous prenez le cas de "amazo...

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