Agriculture et cuisine doivent aller de pair

Avec la cuisine française, l'agriculture a de l'or entre les mains, mais elle l'ignore trop souvent. Par Nicolas Jean Brehon, professeur à l'IHEDREA (institut des hautes études de droit rural et d'économie agricole) et titulaire d'un CAP de cuisinier

Ce fut un beau duel de télévision. Ou de visions tout court. BFM télé, 17 février 2016, grand angle, 23h 15. A la droite de Jean Baptiste Boursier, Christiane Lambert, vice-présidente de la FNSEA ; à sa gauche, Perico Legasse, chroniqueur gastronomique. Un duel entre rétiaire et mirmillon, ou, en l'espèce entre partiaire et marmiton. La première a ses atouts : agricultrice à 60 heures par semaine, porte-parole d'une profession en souffrance. Le second a les siens : bourru, limite agressif, mais influent et habitué des plateaux télé.

Environnement contre productivité

Qu'on nous laisse travailler et nous moderniser « sans se faire flinguer par des associations anti agriculture » dès qu'on a un projet pour être compétitif, dit la syndicaliste. « Notre agriculture ne doit pas rentrer en compétition » réplique le chroniqueur. « L'avenir de l'agriculture c'est de revenir à la paysannerie, à une petite productivité, à l'environnement (...) Les agriculteurs qui s'en sortent sont ceux qui ont abandonné votre doctrine ». Faux. »Vous caricaturez tout » répondit l'agricultrice

L'un opposait deux agricultures tandis que l'autre les voyait complémentaires. Il faut tout de même oser demander à l'agriculteur de ne pas être compétitif ! Les marchés se gagnent en étant compétitif, que ce soit par la qualité ou par les prix ! Lorsque tout dérapa. Elle : « Tout le monde ne peut pas se payer des produits sous signe de qualité » - Lui : « Il n'y a qu'à acheter moins ». Elle : « Qu'est-ce que vous dites aux gens qui ont des petits revenus? De là où vous êtes, avec votre salaire + + +...». Lui : « Même avec un petit revenu, on peut acheter mieux si on accepte de se donner le temps, de faire un peu de cuisine ».

Argument de bobo?

La cuisine. « ça y est, les femmes en cuisine » s'agaçait la syndicaliste. « Pourquoi ? c'est une honte de faire la cuisine ? « répliquait le chroniqueur. « Vous vous rendez compte du message que vous envoyez aux femmes de France ? Vous êtes vice-présidente du premier syndicat agricole et vous êtes en train de dire que faire la cuisine, travailler les produits de la terre, c'est avilissant ». « Il faut avoir le temps « se justifiait- -elle. « C'est hallucinant ! Vous devriez défendre ce que je dis ». « Non ».

Non, elle ne défendait pas. La cuisine ? On crève devant les grandes surfaces et on nous ressort le coup des herbes du fond du jardin, des chefs « poètes du potager » ou en habit savoyard. Est-ce là la réponse pour tous les éleveurs en colère ? Un argument de bobo et des plateaux télés.

Le cuisinier fait partie de la famille

Certes. L'argument semblait dérisoire. Mais il ne l'était pas. Le cuisinier, c'est le pionnier de la légion, portant la hache et le tablier mais défilant au premier rang. Ce n'est pas lui qui fait la guerre, mais il fait partie de la famille, c'est celui que l'on voit et que l'on suit. Un grand chef est à l'agriculture ce que Bill Millin, le cornemusier, fut aux soldats de Pegasus bridge le 6 juin 1944. Il faut des emblèmes qui portent le savoir et la fierté de toute une profession. Mais il n'y a pas que les chefs. La cuisine familiale, c'est aussi l'amour du travail bien fait, c'est de l'amour dans l'assiette, c'est le partage, c'est ce qui reste d'humain et d'authentique dans ce monde dématérialisé et mondialisé. Un beau et bon combat. Où agriculteurs et cuisiniers pourraient travailler ensemble. Cela paraissait du bon sens.

Les agriculteurs ont de l'or entre les mains

Avec la cuisine, les agriculteurs français ont de l'or entre leurs mains. C'est plus qu'un allié c'est un repaire identitaire. Le cuisinier défend une tradition et a besoin de produits de qualité. Dire non à la compétition était une agression irresponsable, mais dire non à la cuisine était incompréhensible. Se couper ainsi de ses alliés, renoncer ainsi à ses emblèmes ! La France doit aller sur ses points forts. En a-t-elle tant pour dédaigner ceux qui lui restent ?

La vice présidente avait défendu l'agriculture duale mais par ce non brutal, elle signifiait que, au fond, il n'y avait qu'une agriculture qui comptait. L'agriculture branchée sur les cours du blé à Chicago et la poudre de lait à Auckland.

Le bio est une solution

C'était dramatique. Le bio n'est plus une niche pour post soixante-huitards qui descendent de leur bergerie en 2Cv pour vendre leur fromage de chèvre sur les marchés. Il y a une vraie demande. Ce n'est pas la solution. C'est une solution. Comme la proximité, les circuits courts, et, pourquoi pas, la cuisine à la ferme. Les Italiens le font très bien et en ont fait un pilier du tourisme rural. Il y a même des circuits dédiés. Même si ce ne sont que des micro solutions, il ne faut pas mépriser ainsi ceux qui essayent de s'en sortir autrement. Le syndicat agricole se tirait une balle dans le pied en les classant dans le camp des anecdotes.

Jouer le marché ou attendre la règlementation

Ce non brutal marquait d'une certaine façon la faille du syndicalisme agricole qui n'a pas senti les attentes de l'opinion. Dans n'importe quelle activité, il y a des gens qui suivent, ou mieux, anticipent les atmosphères et les tendances. Les Allemands - encore eux-, sont opposés eux aussi aux règles environnementales. Mais pour des raisons radicalement différentes des nôtres. Pour les Français, c'est un abus de contraintes imaginées par des technocrates et décidées par des politiques un peu lâches. Les Allemands estiment qu'ils n'en ont pas besoin parce que c'est tout simplement une demande du marché. Ils anticipent les demandes de consommateurs. Par exemple, la tendance du moment est au bien-être animal, et chacun l'accepte. Les Français, comme d'habitude, attendront la contrainte de la réglementation et le dernier moment. Comme ce fut le cas avec l'aménagement des cages à poules.

Rupture entre agriculture et alimentation

De même, ce non brutal, marquait, au fond, la rupture entre agriculture et alimentation. Le producteur ne peut se désintéresser du produit final. Cela fut le cas jadis, au temps de la PAC administrée. L'agriculteur, protégé par des prix garantis, se souciait fort peu des transformations et du sort de ses produits. Qu'ils aillent directement en décharge n'était pas un problème. A chacun son métier pensait le producteur. Cette attitude est suicidaire et on espérait que cette époque était révolue. L'agriculteur ne peut se désintéresser du produit final, sinon, il s'isole de la société et perd sa légitimité. C'est pourquoi le lien entre agriculture et cuisine est si important.

M. Legasse était outrancier quand il osait déconnecter l'agriculture de la compétitivité mais il avait raison dans son indignation. Il était, en effet, incompréhensible et irresponsable qu'une des plus hautes responsables du syndicat agricole prenne ainsi ses distances avec cet argument de bon sens et se coupe de ses alliés naturels. Même les plus bienveillants -dont je suis- étaient abasourdis. Le syndicalisme agricole a besoin d'une introspection stratégique.

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Commentaire 1
à écrit le 06/03/2016 à 16:23
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La compétition à pour conséquence l'accroissement des domaines cultivables , la diminution du nombre de propriétaires de plus en plus riches et l'augmentation du nombres de prolétaires : on retourne au moyen-âge . Autres conséquences : mauvaise quali...

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