Après le Brexit, l’Europe à l’heure allemande ?

Le Brexit est largement dû à des raisons de politique intérieure à l’Angleterre : l’écart croissant de revenus entre Londres et le reste du pays ; l’attachement des Britanniques aux droits du parlement ; les conditions de la réélection de David Cameron. Toutefois, comment ne pas incriminer la gestion économique de la zone euro au cours des dernières années ? Par Emmanuel Sales, président de la Financière de la Cité.

Le Brexit est largement dû à des raisons de politique intérieure à l'Angleterre : l'écart croissant de revenus entre Londres et le reste du pays ; l'attachement des Britanniques aux droits du parlement ; les conditions de la réélection de David Cameron. Toutefois, comment ne pas incriminer la gestion économique de la zone euro au cours des dernières années ?

C'est un véritable drame qui s'est joué sous nos yeux. Pendant dix ans, l'euro a créé un faux sentiment de solidarité financière. Les banques allemandes participaient au développement des pays d'Europe du Sud en se finançant à bon compte. Dans le même temps, l'Allemagne faisait cavalier seul, menant une stratégie de dévaluation interne à l'abri de la monnaie unique.

La crise financière a fait éclater cette construction

Au moment où les Anglais et les Américains fournissaient des liquidités à leurs banques, l'Allemagne a imposé des politiques de contraction de la demande, obligeant les Etats à venir au secours des banques au prix d'une forte hausse de la dette publique. En l'absence de solidarité financière, le retour à l'équilibre des balances des paiements a été la voie privilégiée de sortie de crise. Comme le change ne pouvait plus jouer le rôle de paramètre régulateur, l'action a porté sur les prix intérieurs. Les pays du Sud se sont retrouvés ainsi, vis-à-vis de l'Allemagne, dans une situation analogue à celle d'Etats émergents, la Grèce jouant le rôle de victime expiatoire.

Quelle permanence des déterminismes historiques ! De même que les Etats s'étaient en vain accrochés à l'étalon-or en 1929, l'Allemagne a sacrifié l'équilibre du continent à la monnaie unique, pour le bénéfice de sa grande industrie et de ses filières d'exportation. Six ans après la crise, l'Europe est moins puissante. Les changes et les taux étant artificiellement réprimés, l'emploi est devenu la principale variable d'ajustement. Les hommes, les capitaux, affluent vers Berlin. Ailleurs, le climat reste morose, la croissance faible.

Certes, la BCE s'efforce de désengorger l'épargne allemande par les politiques d'achat de titres. Mais l'issue de ces mesures demeure incertaine : la taxation de l'épargne diffère la banqueroute sans créer de ressources à long terme. En outre, l'encadrement croissant des activités financières accentue les tensions sur le crédit.

Loin de l'image de l'Europe « ultra-libérale », c'est une forme de capitalisme disciplinaire qui se met en place. Du fait de la faiblesse de la France, il n'existe plus de contrepoids contre les excès des plus forts. La crise migratoire, dans laquelle la Chancelière agit à sa convenance, le narcissisme moral le disputant à l'intérêt démographique bien compris, en est la dernière illustration. La gestion de l'Europe porte ainsi en germe une nouvelle crise.

Le système bancaire italien pourrait en être le catalyseur

L'Italie s'est endettée pour converger avec le mark; son industrie a été pénalisée par l'euro fort et la contraction du crédit, la crise a grossi les mauvaises créances des banques, qui représentent le montant le plus élevé en zone euro. Or, l'Italie est en situation d'excédent primaire, sa dette est principalement aux mains des Italiens. Elle a les moyens de manœuvrer en relançant son activité ; troisième économie de la zone, signataire du traité de Rome, elle ne peut être traitée avec la même désinvolture que la Grèce. Toutefois, l'étrange président de l'Eurogroupe entend appliquer à la lettre les règles aux banques italiennes. La faillite du système bancaire italien pourrait ainsi être le point de rupture de la zone euro...

C'est un curieux retournement de voir le pays responsable de la destruction de l'Europe et de sa marginalisation politique exercer ainsi son influence dépressive, sans pour autant assumer son rôle impérial. Comme si l'Allemagne était restée éternellement cet Etat provincial, replié sur ses petites villes et ses corporations, incapable d'exercer le pouvoir qui va avec la puissance. Sans direction et sans équilibre, l'Europe apparaît ainsi de plus en plus sous la tutelle de son protecteur d'outre-Océan.

Pendant ce temps, l'Angleterre poursuit son chemin. Avant le Brexit, elle vivait dans le meilleur des mondes, avec tous les avantages de la flexibilité monétaire. Elle saura trouver la voie de son développement ; l'Ecosse ne rejoindra pas une union monétaire dysfonctionnelle ; ni Francfort ni Paris ne peuvent rivaliser avec la City, ses privilèges, sa pratique des affaires, son culte du marché, qui a inspiré l'ensemble de la réglementation européenne. Le Brexit pourrait être un non-événement pour les Anglais, mais il nous oblige à forger un projet commun.

Sommes-nous en mesure de relever ce défi ? Il faut le souhaiter car la pente disciplinaire de l'Union, alliée à l'impuissance gouvernementale, produit les pires effets. Au risque de passer pour un cuistre, on citera ici Albert Sorel, l'historien de la Révolution :

« Les symptômes se succèdent, on entend monter ces bruits sourds, on découvre le long des murailles ces lézardes mystérieuses qui annoncent les tremblements de terre. On voit alors ce qui paraît le plus intolérable aux peuples, l'incohérence dans le despotisme, l'irrésolution dans la toute-puissance, l'anarchie dans la centralisation. »

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Commentaires 3
à écrit le 23/07/2016 à 23:36
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Allo l`auteur du texte ci-haut `l`europe a l`heure allemande` ne donne aucun detail, donc impossible de verrfier ses propres predictions apocalyptiques. Son analyse est suspecte, possiblement fausse. Au revoir

à écrit le 20/07/2016 à 21:19
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La corruption et l'évasion fiscale en Grèce ? C'est la faute de l'Allemagne. L'apartheid social et ethnique des banlieues françaises ? C'est la faute de l'Allemagne. Le déclin de l'éducation nationale ? C'est la faute de l'Allemagne. La mauvaise imag...

le 22/07/2016 à 14:19
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Et donc d'après vous l'Allemagne n'est responsable de rien ? Elle est le leader de l'Europe et tout va pour le mieux ? Tout est de notre faute à nous, vilains petits canards ? N'est-il pas possible de sortir de ces extrêmes ?

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