Areva : jusqu'où l'Etat doit-il intervenir ?

Le soutien financier apporté par l'Etat à Areva semble évident. Il soulève en fait une série de questions sur l'intervention publique dans la vie des entreprises. par Régis Bourgueil et Sophie Vermeille, Droit & Croissance

Le suspens est à son comble. L'Etat avait laissé entendre il y a moins d'un mois qu'il entendait généreusement recapitaliser Areva en 2017, sans exiger de réelles concessions de ses créanciers. Il annonçait ni plus ni moins un bail out complet de l'entreprise publique, lourde de conséquences pour les finances publiques .
Coup de théâtre la veille, le jour de la supposée publication des comptes d'Areva : l'Etat semble vouloir désormais exiger des concessions plus importantes de la part des établissements bancaires, sommés de faire des efforts, sans que pareil traitement ne puisse être exigé au dernier moment des obligataires, dispersés (heureusement pour eux !) sur les marchés financiers. L'État créé un nouveau dangereux précédent et entretient avec brio le sentiment d'insécurité juridique au détriment des entreprises en difficulté à la recherche de capitaux privés.

Comme s'il était évident que l'État doit éponger les dettes

Tout ou presque a été dit sur les problèmes opérationnels d'Areva liés en particulier à l'EPR Finlandais, à Uramin et à son échec dans l'énergie renouvelable. Peu avait été dit en revanche jusqu'à présent sur les conditions de la restructuration financière, comme si c'était une évidence que l'État devait, en sa qualité d'actionnaire, éponger les dettes de l'entreprise.

Un actionnaire n'a pourtant intérêt à contribuer à recapitaliser une société manifestement insolvable que s'il y trouve un intérêt financier... Or, cela suppose qu'il ait obtenu des concessions suffisantes de la part des créanciers, que l'État français n'avait visiblement pas jugé pertinent de solliciter dans le cas d'Areva, jusqu'à ce revirement.

Rien n'obligeait l'État à recapitaliser Areva

Sur un plan strictement juridique, rien n'obligeait l'État à recapitaliser Areva en prenant à sa charge la totalité des pertes. Areva mettait ainsi en œuvre à son profit la garantie dite « implicite » que l'Etat accorde de manière générale aux entreprises publiques comme aux établissements de crédit « too big to fail ». L'Etat n'est pourtant pas tenu par une loi ou un contrat, il le fait pour des raisons politiques, stratégiques ou afin d'éviter tout risque systémique (ce fut le cas des banques lors de la crise des subprime, faute de solution alternative, comme le bail-in à l'époque).

Au-delà du cas spécifique d'Areva, l'enjeu de l'opportunité du soutien de l'Etat à une entreprise publique en difficulté est important. Si l'État soutient toutes les entreprises en difficulté, alors il n'y a plus de risque et donc de prime de risque pour les créanciers et actionnaires. L'Etat doit faire un choix, autrement l'aléa moral faussera le marché. "L'aléa moral est une chose que je ne prends pas à la légère" avait déclaré Henry Paulson, Secrétaire américain du Trésor entre 2006 et 2009, au moment de la crise financière des subprime.

La question de l'aléa moral

Quand et comment l'Etat doit-il soutenir une entreprise en difficulté, quand ne doit-il pas le faire ? Si AIG a été sauvé, pourquoi ne pas avoir sauvé Lehman Brothers ? Si Areva est sauvée, pourquoi ne pas sauver d'autres entreprises ? Même à supposer qu'il existe des raisons stratégiques légitimes pour le faire, l'Etat se doit d'avoir une approche sélective, aléatoire et non-systématique. Si l'Etat intervient trop, alors les actionnaires et les créanciers n'ont plus d'incitation à exercer un contrôle sur les dirigeants.

Un État omniprésent

Or, en multipliant les soutiens depuis 2016 (Areva directement, CGG et Vallourec indirectement, le tout déjà pour près de 6 milliards d'euros), l'Etat français a tendance à devenir omniprésent. Ce n'est pas son rôle : jouer la voiture-balai du marché est en réalité contre-productif pour plusieurs raisons, encore davantage lorsqu'il le fait dans la position d'investisseur la plus risquée - celle de l'actionnaire alors que d'autres Etats, parviennent grâce à leur droit des faillites plus efficace, à prendre la position de créancier privilégié.

Un État en difficulté ne pourra plus aider les entreprises en difficulté

Une étude du FMI de janvier 2016 a justement analysé le coût fiscal des sauvetages par l'Etat d'entreprises entre 1990 et 2014 dans les économies développées et émergentes. Sur 32 cas, il ressort un coût moyen de 3 points de PIB pouvant aller jusqu'à 15 points de PIB. C'est un coût direct très important qui rappelle une évidence : un État en difficulté ne pourra plus aider les entreprises en difficulté.

En plus de ce coût direct pour la collectivité, il faut y ajouter un coût indirect moins perceptible : comme évoqué l'intervention de l'Etat annule précédemment toute discipline de marché. Les dirigeants d'entreprises publiques ou semi-publiques n'ont alors de comptes à rendre à personne et les investisseurs en prennent bonne note.

Les entreprises à participation publique se financent moins bien

En analysant plus de 5000 titres de dette dans 43 pays sur la période 1991-2010, des chercheurs américains  ont ainsi montré que le coût de financement des entreprises où l'Etat est présent au capital serait supérieur au coût du financement des entreprises privées. Sur des longues séries statistiques, l'intervention de L'État ne permettrait donc pas de réduire le coût de la dette. Ceci s'expliquerait par le fait que les investisseurs considèrent de facto que les entreprises détenues par l'Etat sont moins bien gérées que les entreprises du privé. L'avantage procuré par le bénéfice de la garantie implicite serait donc neutralisé compte tenu de la suspicion de mauvaise gestion.

La garantie de l'État, une solution coûteuse

En définitive, la garantie implicite de l'État apparaît comme une solution exagérément coûteuse qui fausse le marché et dont l'efficacité est très discutée. Avec l'instauration récente d'un mécanisme de bail-in pour les banques qui contraint en un instant de raison les actionnaires et les créanciers à prendre les pertes avant toute injection d'argent public, le secteur financier est sommé de prendre ses responsabilités. Qu'en est-il pour les entreprises non-financières ? Au vu des sommes publiques engagées et de la récurrence de ces affaires (du Crédit Lyonnais à Areva), il est urgent de poser publiquement la question de l'intervention de l'État au capital des entreprises en difficulté. Un État trop garant ne serait-il pas un État trop grand ?

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Commentaires 6
à écrit le 11/03/2016 à 9:23
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C'est dur pour l'état car Areva est au sens économique cliniquement mort. C'est encore des milliards euros qui seront dépensés à fonds perdus car l'énergie nucléaire est condamnée à terme.

à écrit le 26/02/2016 à 12:22
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Un oubli important dans cette analyse du rôle de l'Etat vis-à-vis d'Areva : l'arsenal nucléaire avec notamment ses sous-marins nucléaires lanceurs d'engins… Cela explique pour une large part le poids de l'Etat pour maintenir son contrôle et emprise ...

à écrit le 26/02/2016 à 11:14
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Mme Lauvergeon aussi "qualifiée" qu'elle fut s'est retrouvée à un poste qu'on a cru confortable et servant de refuge aux "élites" en reconversion. Elle s'est piquée de stratégie, comme au monopoly sans garde fous à son profit,avec vanité et en plus a...

à écrit le 26/02/2016 à 9:19
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et on dit merci Anne ! Notamment pour l'affaire Uramin qui n'a pas été mauvaise pour tout le monde....

à écrit le 25/02/2016 à 18:44
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Quel étrange raisonnement.. l'Etat quand il intervient dans une société dont il est actionnaire ne fait que jouer son rôle d'actionnaire, ni plus ni moins. Sans argent frais, Areva ne sera pas soutenu par des prêteurs (es banques), et l'état pour de...

le 25/02/2016 à 21:38
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C'est sûr areva reste le fleuron etc... tin bvo les nucléocrates ! et ça c'est avant la vraie cata qui va vider des départements entiers ! et edf qui plonge derrière ! yesss encore bvo à nos élites qui nos ont ruinés dans leurs plans à la con ma...

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