Avec la fin du salariat, la protection sociale devra jouer un rôle accru

[Rencontres économiques d'Aix] La transition numérique va amener la disparition du salariat comme modèle dominant. Mais comment assurer un revenu stable aux « freelancers » ? La protection sociale doit y contribuer. Par Nicolas Colin, cofondateur de The Family.
Nicolas Colin, ingénieur et énarque, inspecteur des finances et cofondateur de The Family, société investissant dans des startups.

Même si ceux qui continuent de raisonner selon d'anciens schémas sont nombreux, nous sommes en pleine destruction créatrice. Un nouveau monde du travail est en passe de remplacer le précédent. Nous assistons à l'extinction du modèle industriel traditionnel. Ford avait inventé la production de masse, avec l'idée que ses salariés devaient devenir les acheteurs de ses produits. General Motors avait créé le marketing de masse, en diversifiant les gammes, les couleurs... Le monde du salariat avait trouvé sa cohérence, parfaite. Les employeurs avaient choisi ce mode de recrutement de la « force de travail » d'abord pour des raisons de coûts : comme l'a montré le prix Nobel d'économie Ronald Coase, auteur du fameux article The Nature of the Firm, le choix du salariat, du contrat à long terme, permet à l'employeur de mieux prévoir et lisser dans le temps le prix du travail, alors que le pur recours au marché suppose des coûts de transaction importants, avec une incertitude sur le prix final. De leur côté, les salariés échappent à la précarité et s'appuient sur la stabilité de leurs revenus pour emprunter afin d'investir : achat d'une voiture, d'un logement... ce qui contribue à alimenter la croissance de l'économie.

Ce modèle industriel a parfaitement tourné pendant les « trente glorieuses », mais commencé à se gripper dès les années 1970, et a été définitivement mis à mal à partir de 2008, avec l'accélération de la transition numérique. Toutes les filières sont concernées, la logique de The Nature of the Firm étant remise en cause par la révolution numérique : désormais les coûts de transaction deviennent minimes, le salariat perd une grande part de ses avantages du point de vue de l'employeur. Le numérique annule en quelque sorte le premier intérêt économique du salariat, à savoir l'économie sur les coûts de transaction. L'échange entre les demandeurs de travail et les offreurs - les ex-salariés - a lieu via des plateformes, les places de marché de l'économie collaborative, notamment, qui minimisent ces coûts. Employeurs et ex-salariés sont gagnants : les premiers peuvent ajuster la demande de travail à leurs besoins, avoir affaire à des professionnels à la réputation retracée, bénéficier d'une transaction sécurisée. Les seconds ont la fierté, nouvelle, de travailler en indépendants, de s'affranchir de la tutelle d'un patron.

Le problème, évident, est celui de la stabilité des revenus. Comment obtenir un prêt bancaire pour l'achat d'un logement ou même d'une voiture avec des rentrées d'argent erratiques, comme les connaissent les indépendants ? La question est d'autant plus grave que l'économie numérique est avant tout urbaine, un phénomène synonyme de hausse des prix de l'immobilier. La réponse réside dans la transformation de la protection sociale, qui va devoir jouer un rôle accru.

Fondée aujourd'hui sur le salariat, selon le pacte conclu en 1945, elle devrait beaucoup mieux prendre en compte le caractère intermittent des nouvelles activités. L'exemple pourrait être le régime des intermittents du spectacle. Si celui-ci est en déficit, c'est parce qu'il a été mal calibré. Il faudrait que les indépendants, toujours plus nombreux à ne disposer que de revenus irréguliers, puissent bénéficier d'un régime équivalent à celui des intermittents, mais mieux financé. Notamment via une imposition suffisante de la transaction. Le plus grand problème, c'est celui de la transition entre l'ancien et le nouveau modèle : comment financer le nouveau tout en continuant à payer l'ancien ? La solution reste encore à trouver.

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Commentaires 2
à écrit le 25/08/2015 à 22:18
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Oui, c'est très bien de répéter ce que dit Stiegler ! Mais il va aussi falloir arrêter les dégâts du gaspillage des matières premières, libérer la circulation des connaissances en changeant complètement de direction par rapport à l'appropriation priv...

à écrit le 03/07/2015 à 19:02
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Pas bete le mec. J' engrange les bénéfices et je laisse aux contribuables le soin de financer les degats collateraux. Il a compris ce principe vieux de cinquante ans. Il lui a fallu le temps.

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