"Bienvenue, monsieur le Président Janaillac"

Lettre ouverte à Jean-Marc Janaillac, Pdg du groupe Air France-KLM. Par Pascal Mathieu, Administrateur Groupe Air France et Représentant de l'encadrement.

 « Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une confiance inébranlable pour l'avenir » disait Jean Jaurès.

Monsieur Le Président, votre arrivée a été discrète. Vous avez pris le temps de vous faire votre opinion. Les grèves de l'été vous ont vite mis dans le bain ! Votre souci d'apaisement est bien perçu. Le besoin d'un recours au Boston Consulting Group pour accompagner la démarche « Trust Together » a beaucoup surpris tant le diagnostic est connu et la stratégie contrainte. Mais si cela vous permet d'avoir un état des lieux impartial et en prise plus directe avec l'avis de l'encadrement, c'est une bonne chose.

Des PDG, nous en avons vu beaucoup, dont certains n'ont fait que passer. L'encadrement attend donc avec circonspection, mais espoir que vous gouverniez Air France-KLM en remettant les choses enfin dans le bon ordre. C'est à dire : analyse de la concurrence et du marché, constat partagé de la situation de la Compagnie, exposé d'une vision pour Air France-KLM, choix d'un plan stratégique, collaboration avec les salariés et dialogue avec les syndicats pour sa mise en œuvre complète et rapide.

Votre calendrier est contraint. L'embellie de la Holding est fragile. Au moindre retournement de conjoncture, les comptes se dégraderont rapidement. Or, l'expérience montre que les ennuis reviennent inéluctablement à fréquence régulière. On peut même se demander si une nouvelle crise n'est pas déjà là. En effet, la surcapacité de l'offre et la chute d'attractivité touristique de la France entrainent un recul du trafic et une dégradation de la recette unitaire absorbant l'effet positif de la baisse du carburant. Dans l'idéal, il faudrait une vision claire en novembre pour que soit décidée la stratégie avant fin 2016. Mais vitesse ne veut pas dire précipitation, il faut du temps pour restaurer la confiance interne, convaincre et faire adhérer les salariés. Monsieur le Président, les salariés attendent de vous une vision et une stratégie pour leur Compagnie.

Faire un constat partagé de la situation

Le préalable à toute mobilisation est de faire un constat partagé. L'autocensure règne depuis trop longtemps. On peut être lucide sur la situation, les risques et les enjeux et en tirer une motivation pour se battre et gagner. Air France n'a pas besoin d'un nième benchmark, mais de discernement.

Le climat social est dégradé comme jamais : morosité, désenchantement, envie de partir, démotivation devant le sentiment d'éternel recommencement, d'efforts vains, d'injustice, de manque de reconnaissance. Les femmes et les hommes d'Air France ne supportent plus « d'être utilisés ». Ils endurent les incohérences entre les discours, les paroles et les actes. Cela dépasse l'exaspération, c'est une usure qui se manifeste à tous les niveaux de la Compagnie. Beaucoup de salariés n'espèrent plus rien, de personne ! Ils sont las du gâchis actuel et du manque d'avenir. Le fragile édifice humain ne tient, mais pour combien de temps, que grâce aux relations humaines encore amicales entre collègues et à leur passion partagée de l'aéronautique.

Il ne faut pas faire l'autruche en s'illusionnant sur le rang de la Compagnie. Notre part de marché s'érode. TransForm a permis de rester dans le peloton, mais Air France-KLM stagne en queue de celui-ci, car nos concurrentes font rapidement des réformes structurelles. Tous les gains de productivité sont absorbés par la baisse des tarifs. Air France-KLM n'est plus leader. Et en plus, elle est un challenger menacé sur pratiquement tous ses segments et activités. Pour le long courrier, la concurrence des compagnies du Golfe et l'émergence du low cost risquent de porter atteinte à nos hubs. Pour le réseau domestique et européen, le TGV, Easy Jet, Ryannair, et autres Vueling fragilisent une position encore enviable.

Le mur d'investissements à venir et l'épuisement des réserves rendent très fragile le redressement indubitable actuel. Enfin, c'est un leurre de croire que l'actionnariat de l'État protège la Compagnie !

Définir une vision

Que vous affirmiez clairement une vision combative, crédible, faisable, enthousiasmante pour Air France-KLM est une attente cruciale. Cela donnera du sens aux efforts de chacun. Ce but ne doit pas être économique. On ne se mobilise pas sur un résultat d'exploitation, mais sur un « idéal » de notre Compagnie. Le besoin est vital de prendre les décisions stratégiques structurelles de fond et de les appliquer. Ceci pour éviter de rentrer dans la spirale des non-choix, des décisions contraintes qui se révèleront mauvaises et ne feront qu'amplifier la relégation. Il faut donc « trancher », passer de l'imprécation à l'action.

Personne ne peut ignorer que le modèle du réseau court et moyen-courrier européen converge vers ceux d'Easy Jet et de Ryanair. Il serait dommage de regarder passer la croissance de ce marché et en particulier celui province - Europe sans y participer pleinement. Ne faudrait-il pas soutenir HOP!-Air France et développer au maximum Transavia y compris dans le créneau Affaire/Loisirs ? Et réduire le nombre de marques ?

Pourquoi ne pas s'inspirer de Renault-Nissan-Dacia pour constituer plusieurs entités industrielles complémentaires dans la Holding ? Pour rester un partenaire crédible et convoité dans nos accords et JV, il est important de retrouver la performance permettant de développer notre réseau. Air France-KLM doit pouvoir participer à la consolidation européenne, loin d'être achevée, et réfléchir à la reprise de la croissance externe par exemple avec Air Europa ou Virgin.

Pour le long courrier, osons tester du « low cost » loisirs comme le fait Lufthansa. Air France devrait se permettre de réfléchir à toutes les options d'alimentation de CDG. Car il faut anticiper les menaces de partenariat entre une concurrente et une low cost européenne.

Monsieur le Président, poursuivez vos actions pour que l'État cesse de ponctionner les gains de productivité interne, fruits des sacrifices des salariés. Obtenons des État généraux du transport aérien avec pour objectif un plan Marshall qui restaure la compétitivité externe. Intensifiez le lobbying à Bruxelles.

Pour la performance de base

Donnez des moyens au projet Perf'Ops car la performance opérationnelle est vitale pour l'avenir du Hub. Elle a aussi des impacts sur la sécurité de vols et les résultats économiques. Le respect du contrat commercial de base (sécurité, ponctualité, service, bagages...) est primordial pour fidéliser nos clients. Beaucoup de salariés espèrent que Perf'Ops atténuera les irritants quotidiens et qu'enfin notre fonctionnement sera simplifié. L'agilité réclame moins de règles rigides et de procédures souvent inadaptées. Pourquoi l'exploitation Air France n'arriverait-elle pas à faire des demi-tours avions en escale aussi brève que ceux de la concurrence low cost ?

 Dans l'organisation

Avec autonomie, mais pas indépendance, il est crucial d'articuler les organisations d'Air France et de KLM vers plus d'intégration. Aujourd'hui, la dysharmonie, qu'il est tabou d'exprimer, conduit de part et d'autre à des velléités de séparation qui serait catastrophique. Pour garder une taille critique, pour profiter de synergies et des atouts des deux groupes, il faut une gouvernance de la holding qui soit forte, qui puisse assurer une meilleure cohésion et une répartition équilibrée de l'activité entre Air France et KLM.

Libérez notre organisation en silos, faite de strates accumulées, pour redonner de la responsabilité, de l'autonomie et de la créativité. Beaucoup attendent une réforme de l'organisation actuelle éclatée en Business Units. Nous avons besoin de cohérence et de souplesse en particulier au hub. Enfin, sans déstabiliser le management, l'accueil de sang neuf dans le haut management est nécessaire.

Faire partager l'espoir

Depuis des années s'est ancré dans nos quotidiens professionnels le fait que le changement n'a que des impacts négatifs. Il est temps de positiver les réformes en développant leur partie « gain ». Par une révolution de notre façon de travailler plus efficacement et agréablement (télétravail encouragé, pas d'open space dogmatiquement imposé,...).

L'espoir que nos efforts nous donnent un avenir meilleur a besoin de se concrétiser. Principalement par la reconduction de la garantie de l'emploi. Il faut plus de cohésion «inter catégorielle». Cela ne se décrète pas. Cela sera le fruit d'une réelle équité et solidarité dans les efforts faits par chaque corporation, que vous saurez défendre.

Dynamiser le capital humain

Les réformes structurelles à venir peuvent être faites en respectant les salariés.

Face aux initiatives, on en entend encore trop souvent : « on a déjà essayé » ; « c'est trop tard » ; « ce n'est pas possible ». Air France a besoin d'un management bienveillant et exigeant qui responsabilise, donne du pouvoir et encourage l'expression. Les discours qui ne se transforment pas en acte et les pratiques qui sont parfois en totale contradiction avec les annonces sont catastrophiques pour le moral.

Au fil des plans d'économie, les rituels (convention, remise de médailles, pots de départ, etc.) ont quasiment disparu. Il faudrait recréer du lien social et renforcer la fierté de travailler à Air France.

Last but not least : les salariés sont écoeurés du peu de retours salariaux de leurs efforts. Le niveau des rémunérations de l'encadrement est nettement inférieur à celui du marché. La reconnaissance financière des mérites et un programme ambitieux d'actionnariat salarié sont indispensables.

Moderniser le dialogue social

Les grèves laissent exsangue la compagnie et attisent l'ire de nos clients et de nos concitoyens. Instaurons une nouvelle régulation sociale paritaire qui évite les luttes d'égo sur des questions de principe. Un comité paritaire de « sages » pourrait gérer en amont les « disputes ». Et les partenaires sociaux devraient s'engager au respect mutuel des accords signés.

La confrontation des idées et la défense des salariés sont indispensables. Soutenez les syndicats progressistes d'Air France et de KLM. Il n'est pas normal que la prime aux conflits irrationnels et absurdes soit le gel des efforts pour ceux qui abusent du rapport de force. La trêve doit bénéficier à tous les personnels.

Monsieur le Président, mettez en place un dialogue collaboratif avec les salariés, qui ne sombre ni dans l'instrumentalisation ni dans la démocratie participative.

L'État ne doit pas interférer dans le dialogue social

Confiance dans l'avenir

« Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l'opportunité dans chaque difficulté. » Winston Churchill

L'alternative devant laquelle se trouve Air France-KLM dont vous êtes désormais le pilote est simple : se résigner à un déclin inéluctable plus ou moins lent en continuant à tergiverser et à s'enferrer dans des conflits abscons qui rendent la Compagnie ingouvernable.

Prendre à bras le corps l'avenir, faire des choix répondant à une vision et s'accorder avec les syndicats pour gérer au mieux de réelles transformations structurelles. Abandonner définitivement le plan B en relançant une dynamique offensive de croissance rentable, vertueuse pour notre compétitivité et nos coûts. Vanter davantage les réussites et s'appuyer sur tous les progrès déjà réalisés.

Air France a progressé. Dans l'adversité les personnels ont toujours su réagir collectivement de façon efficace. Il faudrait savoir dépasser l'amertume du gâchis actuel qui nous fait passer à côté d'un marché en pleine croissance. C'est une question d'avenir soutenable. Air France peut être sauvée en se basant sur ses immenses atouts, dont la qualité de son service.

L'encadrement d'Air France n'attend que d'avoir les armes et d'être soutenu pour riposter sans entrave à la concurrence.

Cela passe par la confiance retrouvée

Regagner la Confiance de nos clients. Restaurer la Confiance dans le management. Retrouver la Confiance entre les différentes catégories de salariés et de métiers. Récupérer la Confiance des investisseurs. Instaurer la Confiance entre Air France et KLM.

Air France-KLM et ses salariés ont besoin d'un patron qui ouvre les yeux et écoute. Qui, sans fard, exprime l'état des lieux. Qui fédère autour d'une vision pertinente. Qui tranche dans les choix à faire sans se préoccuper de son avenir personnel ou des errements corporatistes. Qui redonne l'espoir et la « niaque » à la Compagnie.

Tous nos sincères voeux de réussite !

Pascal Mathieu, Administrateur Groupe Air France et  Représentant de l'encadrement

(Source alphafoxicare.com)

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.