Pathologies psychiques : peut-on toujours accuser l'entreprise ?

La nouvelle législation sur les maladies psychiques (dont le burn out), en débat à l'Assemblée nationale, va-t-elle trop loin? Elle conduirait à attribuer la responsabilité de tels troubles psychiques d'abord à l'employeur. Par Elisabeth Laherre, Avocat à la Cour, Coblence & Associés

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, le débat parlementaire ne porte pas sur le seul burn-out, mais plus généralement sur le traitement spécifique des pathologies psychiques au titre des maladies professionnelles (adoption des amendements 660 et 701).
L'amendement 335 (lui-même sous-amendé), présenté par M. Benoît Hamon et également adopté, prévoit la remise avant 1er juin 2016 d'un rapport portant sur l'inscription des maladies psychiques (burn-out, dépression suite à un épuisement professionnel et stress post-traumatique) au tableau des maladies professionnelles (qui associe un délai de prise en charge et une liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie) ou, à défaut, sur un abaissement du taux d'incapacité à 10%.

 Les pathologies psychiques déjà prises en charge


Or comme pour toutes les maladies non-inscrites au tableau la rédaction actuelle de l'article L.461-1 du Code de la Sécurité Sociale permet déjà la prise en charge des pathologies psychiques, sous la double condition que le médecin-Conseil ait reconnu un taux d'incapacité permanente partielle de 25% au moins (66,66% jusqu'en 2002) et que le Comité Régional de reconnaissance des maladies professionnelle (CRRMP) ait retenu l'origine professionnelle de la pathologie qui doit être dans cette hypothèse essentiellement et directement causée par le travail.
Le texte existe donc et il suffit de l'appliquer sans qu'il soit besoin de différencier les maladies psychiques des autres maladies (objet des amendements adoptés).
Les partisans de la réforme opposent la difficulté du parcours de reconnaissance professionnelle qui est pourtant le même pour toutes les autres maladies non inscrites au tableau, l'impossibilité quasi-absolue d'atteindre le taux de 25%, ce qui est faux, le médecin Conseil étant libre de son évaluation sous réserve que son avis soit motivé.
Ils invoquent enfin pour preuve le faible nombre de cas de reconnaissance, ce qui est exact, mais à rapprocher du nombre de demandes (440 cas/900 demandes entre 2001 et 2009 soit un taux de reconnaissance de 50%).
Or l'amélioration de l'accès à l'information et les «recommandations spécifiques» adressées aux Médecins Conseil et aux CRRMP ont déjà conduit à un quadruplement du nombre de reconnaissance entre 2012 et 2014.
L'amendement gouvernemental (660) vise à l'évidence à accélérer le processus en facilitant la prise en charge par une différenciation de traitement des dossiers des maladies psychiques par rapport aux autres maladies, selon des modalités à définir par décret.

Un enjeu idéologique

Mais l'objectif final d'une inscription au tableau des affectations psychiques, objet du deuxième amendement présenté par Benoît Hamon, permettrait une reconnaissance professionnelle automatique des pathologies psychiques dès lors que les conditions d'exposition au risque sont remplies.
L'enjeu est bien évidemment économique, puisque cela conduit à transférer le coût des maladies reconnues comme professionnelles sur la Branche accidents du travail/maladies professionnelles financée à 97% par les entreprises.
Mais il est aussi idéologique, puisque l'inscription au tableau fait de l'employeur l'unique responsable de la maladie psychique, dès lors que les conditions d'exposition sont remplies, peu important les antécédents du salarié ou les autres évènements de sa vie affectant sa santé psychique.

Dissocier la part du personnel et du professionnel

La question de l'imputabilité de la maladie aux conditions de travail n'aura plus à se poser, puisque l'existence même de ces conditions de travail définies comme critères d'exposition au risque justifiera la prise en charge, sans qu'il soit besoin de rechercher si la maladie du salarié est essentiellement et directement causée par le travail.
Cette volonté d'inscription au tableau part du postulat que certaines conditions de travail sont nécessairement pathogènes de façon univoque et donc l'entreprise automatiquement responsable, nonobstant l'existence d'autres causes.
Or, à l'évidence, tous les praticiens s'accordent sur la difficulté à qualifier un burn-out, à définir les critères objectifs d'exposition qui diffèrent selon les individus, et, pour les dépressions, à faire la part du personnel et du professionnel, la cause étant souvent multifactorielle avec une interférence de l'un sur l'autre.

Faut-il vérifier l'aptitude psychique d'un salarié lors de l'embauche?

Dans un pays champion mondial de la consommation d'antidépresseurs, le fait de vouloir systématiser la prise en charge des maladies psychiques, sans examen personnalisé, sérieux et objectif du salarié conduit à se demander, en poussant le raisonnement jusqu'à l'absurde, s'il ne conviendrait pas de faire vérifier par le Médecin du travail à l'embauche la capacité psychique du salarié à tenir son emploi de la même façon qu'on vérifie son aptitude physique...(!)
Quant à la « sanction positive », il n'en est nul besoin pour obliger l'entreprise à faire de la prévention, puisque, sans parler de sa responsabilité pénale, elle a une obligation de résultat en matière de santé mentale au travail dont le non-respect peut être sanctionné.

Elisabeth Laherre
Avocat à la Cour
Coblence & Associés
www.coblence-avocat.com

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