Ces Secrétaires au Trésor américains qui ont marqué l'Histoire

L'administration Trump s'est installée aux responsabilités le 20 janvier dernier, et l'ancien banquier de Goldman Sachs, Steven Mnuchin, va probablement prendre la tête des finances américaines et devenir le soixante-dix-septième Secrétaire au Trésor des États-Unis, succédant à certains illustres personnages qui ont marqué l'Histoire. Par Alexandre Reichart [1]

Aux États-Unis, le Secrétaire au Trésor est l'équivalent du Ministre des Finances en France, ou bien encore du Chancelier de l'Échiquier au Royaume-Uni. Membre de l'exécutif, il est le responsable des questions économiques, fiscales et financières du pays et de l'émission de la monnaie. Le Secrétaire au Trésor des États-Unis siège aux conseils d'administration d'un certain nombre d'institutions internationales prestigieuses, parmi lesquelles le Fonds Monétaire International et la Banque mondiale. Il se trouve à la cinquième place dans l'ordre de succession présidentiel, ce qui en fait un personnage central dans la politique américaine, et ce dès 1789.

Alexander Hamilton, le père fondateur protectionniste et fédéraliste

L'un des plus célèbres titulaires du poste de Secrétaire au Trésor est tout simplement le premier d'entre eux. Considéré comme l'un des pères fondateurs des États-Unis, Alexander Hamilton est né en 1755 à Charlestown, dans les Antilles britanniques, territoire appartenant aujourd'hui à l'État de Saint-Christophe-et-Niévès. Proche du général George Washington au côté de qui il combat lors de la Guerre d'Indépendance contre les britanniques, il en devient le Secrétaire au Trésor en 1789, après avoir participé à la Convention de Philadelphie de 1787, qui donna à la jeune nation sa Constitution. À la tête des finances américaines jusqu'en 1795, Hamilton milite pour la centralisation des dettes et la création d'une banque nationale[2] et se heurte aux positions du vice-président, Thomas Jefferson, totalement opposé à cette idée.

Bien avant l'opposition actuelle entre démocrates et républicains, le premier système politique américain repose, à la fin du XVIIIème et au début du XIXème siècle, sur une opposition entre deux partis politiques : les fédéralistes, menés par Hamilton et John Adams, Président des États-Unis de 1797 à 1801, et les républicains-démocrates, entrainés par Jefferson, James Madison et James Monroe, qui accèderont tous trois à la Présidence des États-Unis. Le parti fédéraliste d'Hamilton défend l'idée d'un gouvernement fort, capable de soutenir l'économie nationale et l'industrie, notamment aux moyens de tarifs douaniers, ou bien encore des relations pacifiées avec l'ancien occupant britannique[3]. À l'inverse, le parti républicain-démocrate s'oppose radicalement au 'big government' promu par Hamilton et à la création d'une banque nationale : attachés à la liberté individuelle et représentants du monde rural, ils promeuvent des politiques libérales et un rapprochement avec la France révolutionnaire[4].

Malgré l'opposition de Jefferson, Alexander Hamilton parvient à imposer la création de la première Banque des États-Unis en 1791, laquelle dispose d'un mandat de vingt ans et disparait en 1811. Une seconde Banque des États-Unis fut créée par la suite, en 1816, avant d'être abolie par le Président démocrate Andrew Jackson en 1836. Finalement, il faut attendre 1913 pour que soit créé un Système de Réserve Fédérale aux États-Unis, c'est-à-dire une véritable banque centrale. Quant à Hamilton, il parvient également à faire relever les droits de douane américains à plusieurs reprises, conformément aux propositions exposées dans son célèbre Rapport sur les Manufactures, publié en 1791. Il aurait largement influencé l'économiste Friedrich List, membre de l'École historique allemande et théoricien du protectionnisme éducateur des industries dans l'enfance, qui passa une partie de sa vie aux États-Unis[5]. Alexander Hamilton meurt en 1804, à New York, des suites fatales d'un duel au pistolet avec le vice-président de Jefferson, Aaron Burr.

Albert Gallatin, le banquier suisse qui régna treize ans sur les finances américaines

Né en 1761 dans une famille de la bourgeoisie genevoise, Albert Gallatin arrive clandestinement aux États-Unis, à l'âge de dix-neuf ans. Après avoir servi dans l'armée révolutionnaire, Gallatin commence une carrière politique, d'abord en Pennsylvanie, puis au niveau national. Après avoir vu son élection au Sénat annulée en 1793, car il ne remplissait pas les conditions requises, et notamment le fait d'être citoyen américain depuis au moins neuf ans, il est finalement élu à la Chambre des Représentants, en 1795. Réélu à plusieurs reprises, il devient le chef de la majorité républicaine-démocrate à la Chambre et contribue à créer le comité des finances de celle-ci. Il fait pression sur l'exécutif fédéraliste pour que celui-ci mette en œuvre des politiques budgétaires responsables, n'hésitant pas à refuser de voter des crédits. Devenu Président des États-Unis en 1801, Jefferson nomme Albert Gallatin Secrétaire au Trésor. Il occupera ce poste jusqu'en 1814, détenant ainsi le record de longévité à la tête des finances publiques américaines !

Gallatin contribua à la réduction de la dette fédérale des États-Unis - de 83 à 42 millions de dollars entre 1800 et 1812[6] - en mettant en œuvre des politiques budgétaires équilibrées, sans augmenter les impôts[7]. Il trouva néanmoins des fonds permettant aux États-Unis d'acheter la Louisiane, en 1803, pour 15 millions de dollars, et de financer l'expédition Lewis et Clark destinée à explorer l'ouest américain jusqu'à la côte Pacifique, de 1804 à 1806, délimitant lui-même les zones à explorer. Gallatin eut finalement à financer la guerre anglo-américaine de 1812-1815, à laquelle il s'opposait pourtant, et dû alors se résoudre à augmenter les impôts et à lever de nouvelles taxes[8]. Par la suite, il s'engagea dans la diplomatie, notamment comme ambassadeur en France entre 1816 et 1823, puis au Royaume-Uni. Albert Gallatin a créé l'Université de New York, en 1831, et, considéré comme le père de l'ethnologie américaine, a passé la fin de son existence à étudier les Amérindiens.

Salmon Chase, l'inventeur du billet vert et de l'impôt sur le revenu pendant la Guerre de Sécession

Parmi les plus importants établissements financiers de la planète, on trouve la banque américaine JP Morgan Chase, née en 2000 de la fusion de JP Morgan & Co et de la Chase Manhattan Corporation. Cette dernière avait pour aïeule le Chase Manhattan Bank, fondée par John Thompson en 1877, et nommée ainsi en l'honneur de Salmon P. Chase, éminent ancien Secrétaire au Trésor des États-Unis, qui n'avait pourtant rien à voir avec cette affaire et qui avait disparu quatre ans plus tôt. Né en 1808, Salmon Chase fut gouverneur de l'Ohio entre 1856 et 1860, et Président de la Cour suprême des États-Unis entre 1864 et 1873. Entre temps, il fut le Secrétaire au Trésor d'Abraham Lincoln à un moment clé de l'Histoire américaine : la Guerre de Sécession.

Alors que les armées de l'Union dirigées par Lincoln étaient aux prises avec les Confédérés menés par Jefferson Davies et le général Lee, le financement de l'effort de guerre reposait sur les épaules de Chase. Celui-ci avait 2 millions de dollars entre les mains en juillet 1861, alors qu'il estimait les besoins des forces de l'Union à 320 millions de dollars[9] ! Face à l'insuffisance des crédits bancaires et aux difficultés à placer les bons du Trésor, il lui fallait trouver de nouvelles sources de revenus. Pour ce faire, Chase introduisit l'émission de la monnaie-papier fédérale en 1862 - les fameux 'greenbacks' - dont la valeur était entièrement fiduciaire, c'est-dire reposant sur la confiance donnée à l'émetteur, puisque totalement inconvertible en or, en argent ou en tout autre métal précieux[10]. Le Bureau of Engraving and Painting, créé à cette occasion[11], émit pour 447 millions de dollars de monnaie papier[12]. Salmon Chase imposa la devise 'In God We Trust' sur les pièces de monnaie, la figure du Président Lincoln sur les billets de dix dollars, et sa propre figure sur les coupures d'un dollar !

En 1863, Chase mit fin au système de 'free banking' existant auparavant, quand chaque banque était libre d'émettre sa propre monnaie, et créa un système bancaire national. Les réformes financières de Chase autorisèrent la création d'un véritable marché pour les bons du Trésor américain, permettant au gouvernement de lever plus de 500 millions de dollars pour financer l'effort de guerre, en coopérant avec la banque Jay Cooke and Company pour le placement des titres de dette[13]. On lui doit également la création de l'impôt fédéral sur le revenu, qui fut collecté pour la première fois en 1862 : les revenus compris entre 600 et 10 000 dollars étaient taxés à 3%, et ceux supérieurs à cette somme étaient imposés au taux de 5%[14]. Le « financier de la Guerre de Sécession » passa ainsi à la postérité, sans toutefois pouvoir achever son ambition ultime : conquérir la Maison Blanche.

John Sherman, le pionnier de la législation antitrust

Né à Lancaster, dans l'Ohio, en 1823, John Sherman fut représentant et sénateur de cet État, avant d'être nommé Secrétaire au Trésor par le Président républicain Rutherford Hayes. Si Sherman occupa ce poste entre 1877 et 1881, réinstaurant notamment la convertibilité du dollar en or qu'avant suspendue Chase en 1862[15], c'est surtout à son action en tant que sénateur qu'il doit sa postérité : il a laissé son nom au fameux Sherman Antitrust Act de 1890, loi pionnière en matière de droit de la concurrence aux États-Unis. Le Sherman Act rendit illégale toute formation ou tentative de formation de monopole et prohiba les « contrats, combinaisons ou conspirations visant à restreindre le commerce[16]. » Fondée en 1870 par John D. Rockefeller, la compagnie pétrolière Standard Oil Company, en fit rapidement les frais.

L'exploitation de l'or noir avait commencé en 1859, quand Edwin Drake, perçu comme fou, devint le premier homme à se lancer dans l'extraction de pétrole, à Titusville, en Pennsylvanie[17]. D'abord utilisé pour l'éclairage, le pétrole servit rapidement dans le domaine automobile, à la suite du développement du moteur à combustion par les industriels allemands Gottlieb Daimler et Carl Benz dans les années 1880, puis dans d'autres domaines tels que la chimie, la pharmacie, le caoutchouc ou encore la teinture. En 1900, la Standard Oil, devenue un véritable monstre industriel, contrôlait la moitié de la distribution mondiale de pétrole[18]. En 1906, quand le Département de la Justice initia une action en justice comme la firme de Rockefeller, elle assurait plus de 80% de la production pétrolière des États-Unis. En vertu du Sherman Act, la Standard Oil Company est finalement démantelée par la Cour suprême le 15 mai 1911, et divisée en trente-quatre entreprises, dont les descendants sont aujourd'hui des firmes telles qu'Exxon Mobil, Chevron ou encore la branche américaine de British Petroleum[19].

Le même jour, la Cour suprême, dirigée par Edward D. White, imposa pareil sort à la firme American Tobacco. Si John Sherman affirmait, en 1889, que sa proposition « n'annonce pas un nouveau principe de loi, mais applique les principes anciens et biens connus de la common law à la gestion compliquée de la loi fédérale et des lois étatiques[20] », le Sherman Antitrust Act n'en reste pas moins l'une des lois les plus célèbres de l'Histoire des États-Unis. On doit également au sénateur de l'Ohio le Sherman Silver Purchase Act de 1890, ancêtre des politiques de quantitative easing actuelles[21], prévoyant l'achat par le Département du Trésor de 4,5 millions d'onces d'argent par mois contre des bons du Trésor échangeables en or ou en argent. Ceci eut pour conséquence une contraction des réserves d'or américaines : dans un contexte de bimétallisme or-argent, elle fut une parfaite illustration de la loi de Gresham selon laquelle « la mauvaise monnaie chasse la bonne », provoquant une thésaurisation de l'or[22] et l'abolition de cette loi en octobre 1893. Quant à John Sherman, il revint aux responsabilités exécutives en devenant Secrétaire d'État du Président McKinley, entre 1897 et 1898, avant de se retirer de la vie politique.

Carter Glass fut le créateur du Système de Réserve Fédéral américain

Carter Glass est né à Lynchburg, en Virigine, en 1858, dans une famille d'éditeurs de journaux. Commençant à travailler avec son père dès l'âge de treize ans, il est largement autodidacte et se tourne, lui aussi, vers le journalisme, devenant reporter au Lynchburg News. Avec des amis, il rachète cet organe de presse, puis le Daily Republican dont son père avait été le propriétaire. Le premier contact de Carter Glass avec le monde politique a lieu en 1896, quand il assiste à la convention nationale démocrate de Chicago et au fameux discours de la « Croix d'or » prononcé par le candidat investi, William Jennings Bryan, fervent partisan du bimétallisme. Considéré comme l'un des plus célèbres discours de l'Histoire américaine, celui-ci se conclut par la formule « Vous ne crucifierez pas l'humanité sur une croix d'or ! », adressée au Président démocrate sortant Grover Cleveland et aux partisans de l'étalon-or[23]. Engagé en politique, Carter Glass est élu à la Chambre des Représentants en 1902, et siège au sein du House Banking and Currency Committee, se spécialisant ainsi sur les questions bancaires et financières, qui allaient devenir fortement importantes.

En effet, la Panique de 1907 fut provoquée par une opération de corner ratée, menée par le spéculateur Otto Heinze sur le titre de la société United Copper. Faute d'avoir réussi à faire monter le cours de cette société pour obliger les vendeurs à découvert à liquider leurs positions, Heinze en provoque la chute et sa propre faillite, et celles de la société de courtage Gross & Kleberg et de la Caisse d'épargne du Montana dans son sillage. Les relations financières de ces établissements provoquent à leur tour des faillites en cascade : celle de la Mercantile Nationale Bank, puis celle de la Knickerbocker Trust Company, l'une des principales banques américaines[24] ... Ceci eut pour conséquence des retraits précipités des sommes placées dans les banques - les fameux bank runs - et d'innombrables faillites bancaires. Les États-Unis vivant sans banque centrale depuis 1836, c'est la banque privée J. P. Morgan qui fit office de prêteur en dernier ressort, organisant le sauvetage de certains établissements financiers. Le sénateur Nelson Aldrich lançait alors la National Monetary Commission, destinée à réformer le système financier américain, qui proposa de créer une banque centrale fédérale. Celle-ci fut créée en 1913, grâce à la collaboration de Carter Glass avec le sénateur Robert Owen. Le Federal Reserve Act de 1913, aussi connu sous le nom de Glass-Owen Act, créa le Système de Réserve Fédéral américain encore en vigueur aujourd'hui, reposant sur douze banques de réserves fédérales, détenues par des banques privées et placées sous l'autorité d'un Conseil des Gouverneurs basé à Washington.

Carter Glass fut également l'architecte de la séparation des banques de dépôt et des banques d'affaires

Si Carter Glass fut nommé Secrétaire au Trésor par le Président démocrate Woodrow Wilson en 1918, et qu'il occupa ce poste jusqu'en 1920, c'est son action législative qui fit sa renommée, à l'instar de son prédécesseur John Sherman. Outre la création du Système de Réserve Fédéral américain, on lui doit, en effet, le fameux Glass-Steagall Act, adopté pendant la Grande Dépression des années 1930. Le jeudi 24 octobre 1929, un krach boursier se produit : il va entraîner la plus grave crise de l'Histoire du capitalisme ! Alors que les États-Unis connaissent la prohibition de l'alcool, la frénésie porte sur les valeurs boursières, et les cours augmentent régulièrement à la fin des années 1920 ... jusqu'au « jeudi noir ». Le 24 octobre 1929, 13 millions d'actions sont vendues : les établissements financiers tentent de soutenir les cours, mais doivent rapidement y renoncer. Le mardi suivant, ce sont 16 millions d'actions qui sont vendues, et les cours continuent à chuter. En vingt-deux jours, la chute des valeurs industrielles est de l'ordre de 40%. Le krach boursier est alors la conséquence de la surcote des titres financiers, qui durait depuis un certain temps, et des ventes de titres en catastrophe. De nombreux spéculateurs sont ruinés, et une dizaine d'entre eux se suicident. Le Président républicain Herbert Hoover tente vainement de calmer le mouvement de panique, arguant que la reprise est au coin de la rue, mais la crise se poursuit et s'amplifie.

La crise boursière se mue alors en crise financière, quand spéculateurs et déposants retirent leurs avoirs des banques. Les établissements financiers ne peuvent alors faire face à ces retraits massifs : près de 600 banques font faillite en 1929, puis 1300 en 1930 et 2300 en 1931. Les banques qui survivent resserrent les crédits, entraînant la crise économique : environ 22 000 entreprises font faillite en 1929, 26 000 en 1930 et 28 000 en 1931. En 1932, le revenu national médian aux États-Unis a baissé de plus de moitié par rapport à son niveau de 1929, et le produit national brut est passé de 104 à 56 milliards de dollars entre 1929 et 1933. Le chômage touche un quart de la population active américaine, soit entre 11 et 12 millions d'individus. La production industrielle américaine chute de 30%, et la production agricole de 60% : les agriculteurs sont donc particulièrement touchés par cette crise et un mouvement d'exode rural massif se produit[25]. Dans son film Les raisins de la colère, adapté du roman de John Steinbeck, John Ford dépeint en 1940 cet exode rural et la misère qui sévit dans les bidonvilles. Par le canal de la contraction du commerce international et de la mise en œuvre de mesures protectionnistes, la crise économique américaine devient rapidement une crise économique mondiale.

Sur le plan bancaire, Carter Glass, désormais sénateur, s'emploie à séparer les banques de dépôt des banques d'affaires, à créer un système fédéral des dépôts bancaires - le Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) -, à réformer la FED à travers la création du Federal Open Market Committee (FOMC) et à plafonner les taux de rémunération des dépôts bancaires, à travers la règlementation Q. L'ensemble de ces mesures sont intégrées dans le Banking Act de 1933, plus connu sous le nom de Glass-Steagall Act, porté conjointement par Carter Glass au Sénat et par Henry Steagall à la Chambre des Représentants, qui avaient déjà porté ensemble une réforme financière l'année précédente. Conséquence de la séparation des banques de dépôt et des banques d'affaires, seules les premières étaient autorisées à recevoir les dépôts des épargnants, bénéficiant ainsi d'une garantie de l'État, et à accorder des crédits aux ménages et aux entreprises, tandis que seules les secondes étaient autorisées à procéder à des achats fermes de titres sur les marchés financiers. Le célèbre John Pierpont Morgan fut ainsi contraint à diviser ses activités en deux entités distinctes : la banque commerciale J.P. Morgan, fondée en 1871, fut séparée de la banque d'investissement Morgan Stanley, créée en 1935[26]. Après avoir fortement marqué l'Histoire économique américaine à travers des réformes financières progressistes sans toutefois soutenir la politique budgétaire expansionniste de Roosevelt, le sénateur Glass s'éteint en 1946.

Henry Morgenthau Jr., l'artisan du New Deal et de la Conférence de Bretton Woods

Né en 1891 à New York, Henry Morgenthau Jr. étudie l'architecture et l'agriculture à la Cornell University, en vue de s'installer comme fermier, en 1913, dans l'État de New York. Il y fait la connaissance du couple voisin, les Roosevelt, avec qui il se lie d'amitié, se spécialisant comme eux dans la vente de sapins de Noël. Après avoir racheté le magazine American Agriculturist en 1922, Morgenthau fut nommé six ans plus tard à la tête de l'Agricultural Advisory Committee de l'État de New York par le nouveau gouverneur, Franklin Delano Roosevelt. Devenu Président des États-Unis en 1933, Roosevelt nomma Morgenthau à la tête du Federal Farm Board, avant de l'appeler à prendre la direction du Département du Trésor, suite à la démission, pour raisons de santé, de William Woodin. À l'instar de Carter Glass, Morgenthau n'était pas un fervent partisan des politiques de relance budgétaire. L'économiste de Chicago, Jacob Viner, qui fut son conseiller de 1934 à 1942, était également opposé à ces thèses keynésiennes qui avaient le vent en poupe dans l'administration démocrate de Roosevelt.

Henry Morgenthau fut Secrétaire au Trésor des États-Unis de 1934 à 1945, soit pendant la quasi-intégralité des quatre mandats de Roosevelt et même brièvement pendant la présidence d'Harry Truman. En temps que Secrétaire au Trésor, Morgenthau siégea au sein du Federal Reserve Board de 1934 à 1936, jusqu'à ce que son mandat prenne fin du fait de la réforme du Banking Act de 1935, qui en changeait la composition et qui renforçait l'indépendance de la banque centrale américaine. En dépit de son opposition aux préceptes keynésiens, Morgenthau trouva les financements nécessaires à la mise en œuvre du New Deal, en séparant le budget ordinaire du budget d'urgence ('emergency budget')[27] destiné à financer les programmes spéciaux de Roosevelt, comme la Work Progress Administration ou la Public Works Administration. À la tête de l'administration fiscale, il fournit d'incroyables recettes au budget fédéral, et notamment plus de 200 milliards de dollars résultant de la vente d'obligations d'État qui servirent à financer l'effort de guerre américain pendant la Seconde guerre mondiale, à un taux moyen de 1,94%, contre 4,22% pendant le premier conflit mondial[28].

Mais Morgenthau fut également engagé dans la préparation de l'après-guerre[29], notamment en présidant la Conférence de Bretton Woods, qui s'est tenue dans le New Hampshire, du 1er au 22 juillet 1944. Cette conférence, qui a rassemblé quarante-quatre des pays alliés en vue de préparer le système monétaire et financier mondial de l'après-guerre, a débouché sur la création d'institutions internationales existant toujours aujourd'hui, comme le Fonds Monétaire International et la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement, plus connue sous le nom de Banque mondiale. Morgenthau y voyait le moyen de « sortir les usuriers du temple de la finance internationale[30]. » Démissionnaire quelques temps après la mort de Roosevelt, Morgenthau consacra la fin de sa vie à des œuvres philanthropiques.

Steven Mnuchin, le nouvel Hamilton ?

De cette présentation non-exhaustive des Secrétaires du Trésor ayant marqué l'Histoire, il ressort que des individus se sont engagés en politique et ont contribué, par leurs réformes, à bâtir le système économique et financier américain. Après avoir servi tous deux dans l'armée américaine pendant la guerre d'Indépendance, Hamiton créa un premier embryon de banque centrale, tandis que Gallatin contribua à financer l'expansion du territoire américain et la guerre de 1812-1815. Chase permis le financement de la Guerre de Sécession par ses innovations monétaires, financières et fiscales, et Sherman apporta une contribution majeure à la lutte contre les trusts. Après plus d'un siècle de tergiversations, le journaliste Glass finalisa enfin la création d'une banque centrale aux États-Unis et fit adopter des réformes financières considérables. Enfin, le fermier Morgenthau fut en première ligne pour le financement de la Seconde guerre mondiale et la préparation de la paix.

Au cours des années 1970-1980, toutefois, le tournant néo-libéral que connurent les politiques économiques fut accompagné par le fait que les Secrétaires au Trésor étaient, de plus en plus souvent, issus des grandes banques américaines. Le PDG de Merrill Lynch Donald Regan et le banquier d'affaires Nicholas Brady furent notamment choisis pour mettre en œuvre les Reaganomics, qui comprenaient des mesures de dérégulation financière. Celles-ci furent largement développées sous l'administration Clinton, notamment par le banquier de Goldman Sachs Robert Rubin et le controversé Larry Summers. C'est également un ancien de Goldman Sachs, Henry Paulson, que George W. Bush appela, en 2006, pour gérer les finances américaines et qui eu à colmater les brèches laissées par la crise des subprimes, largement issue de ce mouvement de dérégulation[31]. En cas de nomination effective au poste de Secrétaire au Trésor des États-Unis, le banquier de Goldman Sachs Steven Mnuchin aura-t-il l'étoffe de ses illustres et lointains prédécesseurs ou se contentera-t-il de poursuivre le mouvement de dérégulation initié ces dernières décennies ? Ses dernières déclarations fracassantes sur les régulations financières et la loi Dodd-Frank - 'Regulation is killing community banks' - prononcées au Senate Finance Committee le 19 janvier dernier donnent d'ores et déjà une première indication. La nomination de Steven Mnuchin fait actuellement l'objet d'un débat virulent aux États-Unis.

 [1] Chercheur associé au sein du laboratoire PHARE (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne).

[2] Michel Aglietta, Pepita Ould Ahmed et Jean-François Ponsot [2016]. La monnaie, entre dettes et souveraineté, Odile Jacob, pp. 148-151.

[3] Amy H. Sturgis [2002]. Presidents from Washington through Monroe, 1789-1825: Debating the Issues in Pro and Con Primary Documents, Greenwood Press, p. 49.

[4] Tim McNeese [2010]. Early National America, 1790-1850, Chelsea House Publishers, pp. 22-23.

[5] Gérard Marie Henry [2009]. Histoire de la pensée économique, Armand Colin, p. 22.

[6] Michael A. Morrison [2010]. Encyclopedia of U.S. Political History, Volume Two: The Early Republic, 1784 to 1840, CQ Press, p. 160.

[7] Sheldon D. Pollack [1996]. The Failure of U.S. Tax Policy, Revenue and Politics, The Pennsylvania State University Press, p. 37.

[8] Hugh Rockoff [2016]. 'War and Inflation in the United States from the Revolution to the Persian Gulf War', in Jari Eloranta, Eric Golson, Andrei Markevich and Nikolaus Wolf (eds.), Economic History of Warfare and State Formation, pp. 159-196.

[9] Edwin G. Burrows & Mike Wallace [1999]. Gotham: A History of New York City to 1898, Oxford University Press, p. 876.

[10] Jusqu'en 1879.

[11] Mary Ellen Snodgrass [2015]. The Civil War Era and Reconstruction, An Encyclopedia of Social, Political, Cultural and Economic History, Volumes I - II, Routledge, p. 408.

[12] Margaret E. Wagner, Gary W. Gallagher and Paul Finkelman (eds.) [2002]. The Library of Congress Civil War Desk Reference, Simon & Schuster Paperbacks, p ; 672.

[13] Rick Beard, 'The Rise and Fall (and Rise) of Salmon P. Chase', New York Times, 2 juillet 2014.

[14] Steven A. Bank [2010]. From Sword to Shield. The Transformation of the Corporate Income Tax, 1861 to Present, Oxford University Press, p. 12.

[15] Jean-Yves Grenier [2006]. « Introduction. Dettes d'État, dette publique. » in Jean Andreau, Gérard Béaur et Jean-Yves Grenier (dir.), La dette publique dans l'histoire. « Les Journées du Centre de Recherches Historiques. », Institut de la gestion publique et du développement économique.

[16] Wilbur R. Miller [2012]. The Social History of Crime and Punishment in America, An Encyclopedia. SAGE Publications, p. 1706.

[17] David A. Waples [2012]. The Natural Gas Inudstry in Appalachia, Mac Farland & Company, p. 18.

[18] Regina Anne Kelly [2007]. Energy Supply and Renewable Resources, Facts on File, p. 23.

[19] Kevin Hillstrom & Laurie Collier Hillstrom [2006]. The Industrial Revolution in America: Automobiles, Mining and Petroleum, Textiles, ABC-CLIO, p. 67.

[20] Hubert Kempf [1992]. « Comprendre le Sherman Antitrust Act de 1890 (Les origines de la politique concurrentielle fédérale américaine. » Cahiers d'Économie Politique, volume 20, numéro 1, pp. 187-211.

[21] Dans la continuité du Brand-Allison Act de 1878, qui prévoyait déjà un programme d'achats mensuels de 2 à 4 millions de dollars d'argent-métal.

[22] Les réserves officielles d'or ayant diminué de 132 millions de dollars et les réserves d'argent ayant augmenté de 147 millions de dollars. Quentin Convard [2014]. « William McKinley et la guerre hispano-américaine. Aux origines de l'expansionnisme américain. » 50 minutes, Grands Présidents, numéro 3.

[23] Leonard Schlup & James G. Ryan [2003]. Historical Dictionary of the Gilded Age, M. E. Sharpe, p. 115.

[24] Cihan Bilginsoy [2015]. A History of Financial Crises, Dreams and Follies of Expectations, Routledge, p. 213.

[25] Encyclopédie Larousse en ligne, La crise de 1929.

[26] Frederic Mishkin [2010]. Monnaie, banque et marchés financiers, Pearson Education France, neuvième édition, p. 408.

[27] Bruce S. Jansson [2001]. The Sixteen-Trillion-Dollar Mistake, How the U.S. Bungled Its National Priorities from the New Deal to the Present, Columbia University Press, p. 8.

[28] Allan H. Meltzer [2003]. A History of the Federal Reserve, Volume 1: 1913-1951, The University of Chicago Press, p. 592.

[29] On lui doit également un projet d'occupation et de division de l'Allemagne connu sous le nom de Plan Morgenthau.

[30] Ivan T. Berend [2008]. Histoire économique de l'Europe du XXème siècle, Éditions De Boeck Université, p. 260.

[31] David Coates [2012]. The Oxford Companion to American Politics, Oxford University Press, p. 383.

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Commentaire 1
à écrit le 28/01/2017 à 0:33
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Et quelqu'un connait Ferdinand Pecora..??

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