Clintonomics contre Trumponomics

Peu abordés lors des meetings de campagne, les programmes économiques des deux candidats à la présidence américaine ne sont pas pour rassurer une économie américaine qui a perdu de sa superbe. Par Michael J. Boskin, professeur d'économie à l'Université de Stanford, ancien conseiller économique de George Bush.

À un peu plus de deux mois de l'élection présidentielle américaine, Hillary Clinton mène Donald Trump de cinq points dans les sondages d'opinion (*), au niveau national et dans plusieurs swing states importants. Néanmoins, rien n'est encore décidé, compte tenu notamment de la campagne du grand remaniement et les grands discours politiques de Trump, sans parler des scandales de messagerie électronique qui continuent d'affliger la campagne Clinton, dont notamment la correspondance entre le personnel supérieur de la Fondation Clinton et les fonctionnaires du Département d'État sous Clinton qui a récemment été révélé.

Jusqu'à présent, les médias et le public se sont concentrés sur l'immigration, le terrorisme, la politique étrangère, et les traits de personnalité potentiellement problématiques de chaque candidat, mais beaucoup moins sur le sujet de la politique économique. C'est un grave oubli, car il existe des différences substantielles entre les programmes de politiques économiques des candidats.

Les dépenses publiques

Clinton est en faveur d'un élargissement de l'État-providence, entre autres via des prestations de sécurité sociale élargies (dont les engagements non financés dépassent déjà la dette nationale), la gratuité scolaire dans les collèges publics et des allégements de dettes étudiantes, ainsi que l'ajout d'une « option publique » à Affordable Care Act de 2010, connu sous le nom de Obamacare. Elle entend aussi poursuivre et renforcer la politique industrielle coûteuse de développement des énergies vertes du président Barack Obama, qui favorise certaines sources d'énergie, et même des entreprises spécifiques, au détriment d'autres.

Au contraire, Trump dit qu'il va laisser la sécurité sociale telle qu'elle est, abroger et remplacer l'Obamacare et augmenter l'efficacité des dépenses publiques (bien que, dans ce domaine, il n'ait rien dit de concret).

En matière de fiscalité...

Clinton dit qu'elle va rendre le système fiscal américain plus progressif, même s'il s'agit déjà du système le plus progressif des économies avancées. Plus précisément, Clinton appelle à l'augmentation de la taxe foncière et du taux d'impôt personnel sur les plus hauts revenus - qui affecte aussi les petites entreprises - ainsi qu'à des plafonds sur les déductions détaillées. Elle ne semble pas encline à diminuer l'impôt des sociétés.

Trump propose des taux d'imposition plus bas pour les entreprises et les particuliers américains. Les États-Unis disposent actuellement d'un taux d'imposition fédéral des sociétés à 35%, le plus élevé de l'OCDE. Trump appelle pour qu'elle soit abaissée sous la moyenne de 15%, et que les investissements des entreprises soient déductibles en totalité la première année.

Haro sur les échanges commerciaux

Sur le commerce, Clinton a fait volte-face et s'oppose désormais au Trans-Pacific Partnership, un accord commercial multinational négocié par l'administration Obama et 11 autres pays de la côte pacifique. Contrairement à son mari, qui a soutenu et a signé plusieurs accords de libre-échange au cours de sa présidence, Clinton se déplace lentement vers l'aile protectionniste du Parti démocratique.

La position de Clinton en matière de commerce n'a pas grand-chose pour elle, mais celle de Trump est encore pire. Entre autres choses, Trump a menacé de lancer une guerre commerciale contre la Chine et le Mexique, et dit qu'il renégocierait les accords commerciaux américains existants. De manière compréhensible, Clinton et Trump expriment le sentiment des travailleurs à revenus faibles et moyens, à qui n'ont pas bénéficié la mondialisation. Pour autant, la meilleure réponse politique n'est pas d'embrasser le protectionnisme (qui appauvrirait beaucoup plus de personnes), mais de mieux aider les travailleurs qui ont perdu leur emploi.

Déficit budgétaire : deux approches diamétralement opposées

Enfin, concernant le déficit budgétaire et la dette nationale, Clinton et Trump ne sont pas d'accord. L'expansion de la sécurité sociale et les autres dépenses voulues par Clinton, ainsi que son projet de renforcer le système de soins de santé Obamacare, sans contrôle du coût des droits aux prestations futurs - dont on prévoit qu'il montera en flèche - suggèrent que les déficits importants continueront au cours de sa présidence. On est loin de ce qu'avait réalisé son mari : Bill Clinton était parvenu à équilibrer le budget dans les dernières années de sa présidence, en collaborant avec un Congrès contrôlé par les Républicains.

Trump a récemment réduit le coût budgétaire de ses propositions d'allègements fiscaux, afin de les mettre davantage en ligne avec les propres objectifs des législateurs républicains. Même si on tient compte de l'augmentation de recettes fiscales liées à une plus forte croissance économique, ses réductions d'impôt devraient néanmoins être accompagnées de contrôles sur les dépenses, et en particulier sur les droits aux prestations. Sinon, une présidence Trump pourrait elle aussi avoir de graves problèmes de dette.

Une proposition qui met les deux candidats d'accord est d'entreprendre des dépenses massives d'infrastructure. Malheureusement, même si cela se justifie pour un gouvernement fédéral, aucun des candidats ne veille à ce que l'argent ne puisse pas être mal dépensé localement, en raisons de phénomènes de clientélisme. Les États-Unis n'ont pas besoin d'une répétition du gâchis qu'ont été les dépenses "à la pelle" de l'administration Obama.

Une période de « stagnation séculaire » pour le pays

Si on regarde l'ensemble, Clinton donnerait la priorité à la redistribution par rapport à la croissance économique, alors que Trump est plus orienté vers la croissance. La croissance américaine est une préoccupation mondiale, car elle alimente l'expansion ailleurs, via la demande des consommateurs des États-Unis et le commerce. Or, les deux principales sources de croissance, les gains de productivité et les embauches (comme le total des heures de travail par travailleurs), ont tous deux chuté brusquement au cours des dernières années. L'économie américaine a progressé à un taux annuel moyen de 3% au cours des décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, mais n'a pas connu ne serait-ce que trois trimestres consécutifs de croissance à 3% au cours de la dernière décennie.

Il y a différentes explications  à cela. L'économiste de l'Université Northwestern Robert Gordon souligne que l'innovation technologique contribue moins à la croissance économique aujourd'hui qu'au XXè siècle, lors de découvertes précédentes comme l'électricité, le moteur à explosion, l'aviation et l'informatique. L'économiste de Harvard Lawrence Summers met en avant une période de « stagnation séculaire », un terme inventé par l'économiste Alvin Hansen dans les années 1930 pour décrire la combinaison d'une faible demande de long terme et de possibilités insuffisantes d'investissements rentables. Mon opinion est que la politique économique médiocre a découragé l'investissement des entreprises, l'esprit d'entreprise et le travail.

Que nous disent les sondages ?

Les sondages montrent que les électeurs indécis se méfient profondément des deux candidats. Pour se faire élire et disposer d'un véritable mandat à poursuivre son programme, Clinton devra être plus transparente et honnête sur les erreurs du passé. De plus, en termes de politique économique, elle devrait se déplacer vers le centre, c'est-à-dire vers des mesures axées sur la croissance, et s'éloigner des positions de gauche qu'elle a adoptées au cours de sa campagne pour les primaires contre le sénateur du Vermont Bernie Sanders. Trump, pour sa part, devra faire preuve d'humilité et de volonté de rassemblement, et être ouvert aux conseils des autres sur les questions où il manque d'expérience.

Bien que la bataille entre républicains et démocrates pour garder le contrôle sur le Sénat soit serrée, ils garderont probablement une majorité à la Chambre des représentants. En conséquence, sur de nombreuses questions politiques, tous les yeux seront rivés sur le président de la Chambre Paul Ryan, qui fonctionnera probablement soit comme un contrepoids - et partenaire occasionnel - de Clinton, soit comme un guide et partenaire plus régulier de Trump.

(*) Le sondage cité, dans lequel H. Clinton devance D. Trump de 5 points remonte à quelques jours, au 2 septembre, date originelle de cet article en anglais. D'un sondage à l'autre, les écarts varient et à l'heure où nous publions la traduction en français sur le site de La tribune, ce jeudi 8 septembre 2016, les écarts se sont inversés, Trump devançant Clinton à 45% contre 43%. Ces variations dureront encore un moment, jusqu'à l'élection sans doute, mais elles n'ont pas d'incidence sur le propos central de l'auteur. Ndlr.

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Traduit de l'anglais par Timothée Demont

Michael J. Boskin, professeur d'économie à l'Université de Stanford et Senior Fellow à la Hoover Institution, a été président du Conseil économique de George H. W. Bush entre 1989 et 1993.

© Project Syndicate 1995-2016

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Commentaire 1
à écrit le 09/09/2016 à 17:14
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Les universités publiques, pas les collèges, M. le traducteur ^^

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