Compte personnel de formation : une grande illusion

L'idée d'un compte personnel de formation, portée par le Medef, n'apporte malheureusement aucune réponse adaptée aux besoins de montée en compétences des salariés. Par Jean-Claude Quentin, ancien secrétaire confédéral, Force Ouvrière

Chaque campagne électorale nous apporte son lot de déclarations lénifiantes quant à la formation professionnelle. A bout d'arguments pour énoncer des remèdes au chômage ou à la précarité, nos politiques invoquent régulièrement « Saint Apprentissage » ou « Sainte Formation continue » plus pour conjurer le mauvais sort que dans l'espoir de trouver l'inspiration et la volonté indispensables à une réforme dynamique et enfin efficace.

Privilégier et respecter le relation Salarié-Employeur

Le concept des droits attachés à la personne plutôt qu'au contrat de travail est un élément de flexibilité utile, mais qui ne modifie pas le rapport de dépendance du salarié vis-à-vis de son employeur. Jusqu'à maintenant, ces droits (assurance-chômage, retraite notamment) s'exerçaient de manière décalée et après la rupture du contrat.

Lorsque l'on parle formation, dans le cadre du C.P.F., il est destiné majoritairement à être utilisé sous le lien de subordination. Ceci change considérablement son effectivité. On a bien vu, sur les 10 dernières années, les omissions voire les obstructions dont a été victime le D.I.F. Nous avions prévu ces obstacles dans l'accord de 2003 et la loi de 2004 en faisant émerger la notion de « salarié acteur » en contrepoint de la responsabilité de l'employeur.

Tout d'abord, le départ en formation, dans le cadre du D.I.F. nécessitait une initiative du salarié et une discussion avec l'employeur, pour définir les tenants et les aboutissants de l'action de formation. En 2013-2014 les partenaires sociaux et les pouvoirs publics ont créé, dans le vide, un compte personnel de formation (CPF) qui n'est pas financé, ce qui préjuge mal de son développement futur.

Pas de vraie amélioration

Dans ce contexte, je ne suis pas convaincu que l'opposabilité du C.P.F. améliore et facilite les choses. Cela rejette donc son usage presque systématiquement vers des situations de crise (démission, licenciement, chômage). Chez les employeurs, se manifeste une volonté d'opérer de façon croissante un transfert du risque de l'emploi sur le salarié. Ce C.P.F. serait donc censé lui permettre prioritairement de faire face aux inéluctables turbulences de l'entreprise et aux ruptures d'emploi.

Cette invention imaginée par le MEDEF, n'apporte malheureusement aucune réponse adaptée aux besoins de montée en compétences des salariés. La formation sans l'employeur est un vœu pieux, une incantation vidée de sens.

Craignons, par ailleurs, que le ressenti très négatif du C.P.A. par les employeurs au travers du « compte pénibilité » n'englobe le C.P.F., lui ôtant ainsi tout pouvoir mobilisateur.

Ce droit doit être conçu comme une liberté d'usage que possède le salarié dans le lien de subordination. Car ce dernier engage par ailleurs la responsabilité de l'employeur comme l'a maintes fois confirmé la Cour de Cassation (arrêt Concorde Lafayette). Il ne faut pas pratiquer la politique de l'autruche, mais établir une vraie co-construction de la démarche formation.

Financer par la réduction du temps de travail

 Nous avons vu que le C.P.F. souffrait cruellement d'une absence de financement.

Le fait de pouvoir partir en dehors du temps de travail et d'être rémunéré à 50% de son salaire était là pour favoriser et appuyer cette liberté et cette initiative du salarié. Il faut se souvenir que, en 2003, les 35h commençaient à s'appliquer et qu'il n'était pas inhumain de demander au salarié de mobiliser un peu de ce temps personnel nouveau pour l'entretien de ses capacités professionnelles. Cette mesure incitatrice a aujourd'hui disparu. Si demain nous revenions aux 39 h, on ne donnerait pas cher de la formation continue. Il ne peut y avoir de formation réussie sans engagement personnel : j'apporte à ma formation un peu de mon temps et l'entreprise finance le contenu...

Vient ensuite le recours à la V.A.E. qui entre dans une logique d'économie de moyens, par une meilleure analyse des véritables besoins de connaissance de l'impétrant. La V.A.E. ne doit pas être conçue automatiquement comme une démarche de certification, mais plus sûrement comme une base pour un futur apport de connaissances. Il faut mener le débat de la V.A.E. passive et de la V.A.E. dynamique.

Ainsi, si nous nous résumons, le salarié acteur, plus l'employeur co-constructeur, plus la V.A.E. prescriptrice nous conduisent vers une efficience des moyens qui permet d'espérer enfin une approche mieux partagée de la formation permanente. Cela suppose, en fin, des démarches d'accompagnement qui restent à construire. Les DRH devraient comprendre qu'il en va de la valorisation de leur fonction.

Anticiper les besoins en formation

Parmi ces démarches, il en est une qui est de la responsabilité des entreprises : l'anticipation des besoins en qualifications. La révolution digitale place les entreprises dans un climat d'incertitude rarement connu sur l'avenir. Le manque de compétences adaptées aux métiers d'aujourd'hui et surtout de demain est criant.

Un management « réactif et responsable » est celui qui anticipe et permet la formation des gens. Quelle aberration de constater que l'une des principales offres de formation vise le « développement personnel ». Comme si nous n'avions rien de plus urgent à faire que de nous regarder le nombril. Nous avons créé des observatoires prospectifs des métiers et des compétences.

Il est temps d'en faire un bilan. Il est temps de donner de véritables moyens à ce remarquable outil qu'est « France-Stratégie » dont le but est de donner aux entreprises, aux organismes de formation, mais aussi et surtout à tous nos concitoyens, une projection sur leur avenir professionnel et celui des leurs enfants. Combien d'économies ferions-nous si nous évitions ces orientations « au doigt mouillé » qui nous coûtent si cher en renoncements, en abandons de parcours et en échecs scolaires et universitaires ?

Anticipation, Personnalisation, Professionnalisation

Les enjeux de la Formation Professionnelle Continue sont immenses, pour peu que l'on considère le problème dans sa globalité et non par le petit bout de la lorgnette. Il en va ainsi de ceux qui évoquent, par pure démagogie, les 32 milliards de la Formation professionnelle. Fuyez-les, car ils démontrent ainsi leur incurie et leur incompétence en la matière., tant cela revient à mélanger des financements infiniment disparates.

Ordonner les actions en coordonnant le salarié acteur, l'employeur co-constructeur et la V.A.E. prescriptrice afin que les actions de formation ne s'élaborent pas et ne s'effectuent « hors sol », mais sur des objectifs contractualisés entre les parties prenantes.

Alors viendra le temps de l'Etat et des Collectivités Territoriales dont le rôle sera de rééquilibrer la formation professionnelle continue par rapport à la formation professionnelle initiale. Ceci afin de corriger les deux tares majeures de notre système : la spécialisation trop précoce de nos jeunes et les inégalités d'accès pour les adultes, notamment les femmes.

 Les 32 milliards de la formation professionnelle, une évocation démagogique

 Les enjeux de la Formation Professionnelle Continue sont immenses, pour peu que l'on considère le problème dans sa globalité et non par le petit bout de la lorgnette. Il en va ainsi de ceux qui évoquent, par pure démagogie, les 32 milliards de la Formation professionnelle. Fuyez-les, car ils démontrent ainsi leur incurie et leur incompétence en la matière., tant cela revient à mélanger des financements infiniment disparates.

Ordonner les actions en coordonnant le salarié acteur, l'employeur co-constructeur et la V.A.E. prescriptrice afin que les actions de formation ne s'élaborent pas et ne s'effectuent « hors sol », mais sur des objectifs contractualisés entre les parties prenantes.

Alors viendra le temps de l'Etat et des Collectivités Territoriales dont le rôle sera de rééquilibrer la formation professionnelle continue par rapport à la formation professionnelle initiale. Ceci afin de corriger les deux tares majeures de notre système : la spécialisation trop précoce de nos jeunes et les inégalités d'accès pour les adultes, notamment les femmes.

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Commentaires 3
à écrit le 15/03/2017 à 17:24
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Excellente initiative d'évoquer la formation professionnelle. C'est un facteur de progrès technique et social. Qui s'en occupe vraiment? Les syndicats ont un role important. Continuez le débat, il doit être favorable

à écrit le 15/03/2017 à 14:33
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Et oui , le CPF c'est juste de l’affichage politique; un attrape gogo. Enfin un constat lucide sur ce qu'est la formation en France. LE CAE devrait en prendre de la graine ...

à écrit le 15/03/2017 à 12:55
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Le CPF est à la fois un leurre social, une impasse éducative et un désastre organisationnel.

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