Compte PME Innovation : le cadeau de Noël de Monsieur Sapin... #designedbyBercy

Le compte PME innovation, théoriquement destiné à favoriser l'investissement dans les petites et moyennes entreprises est né d'une bonne idée. Mais Bercy est passé par là. A l'arrivée, des défauts à la pelle... Par Jean-David Chamboredon, France digitale

Issu des Assises de l'Entrepreneuriat au printemps 2013 et porté par Marie Ekeland et Michel Taly, le Compte Entrepreneur-Investisseur (CEI) se voulait être un outil simple permettant la traçabilité d'un mécanisme générique de sursis d'imposition sur les plus-values de cession. L'idée fondatrice était simple : tant que tout est ré-investi, le sursis d'impôt perdure. Un tel mécanisme encourage la prise de risque et le recyclage de la création de valeur au sein des écosystèmes entrepreneuriaux. C'est sur ce cercle vertueux que la Silicon Valley a construit son leadership mondial...

Non retenu par le Président de la République à l'époque, le projet est réactivé fin 2015 par Emmanuel Macron alors Ministre de l'Economie puis confirmé début 2016 par Manuel Valls alors Premier Ministre. France Digitale formalise alors une proposition précise qui comprend :

  • Une éligibilité en termes d'apport ou de remploi de tout titre acquis ou souscrit dans une PME de moins de 10 ans (par référence au régime incitatif des plus-values dont le CEI ne devait être qu'une simple prolongation) ;
  • Une transparence ISF totale du CEI avec une éventuelle prolongation d'exonération ISF sur les liquidités intérimaires pendant leur période de remploi (2 ans) afin d'éviter un passage brutal d'une situation d'exonération à une situation de taxation ;
  • La capacité pour le titulaire d'investir en direct ou en indirect via des fonds d'entrepreneurs.

Cette proposition que j'ai portée depuis le printemps dernier était simple et cohérente et aurait dû aboutir à un outil volontiers adopté par les entrepreneurs et les business-angels comme une alternative efficace à la création de holdings personnelles plus coûteuses et lourdes à gérer et pour lesquelles la fiscalité peut être qualifiée de « kafkaïenne »...

Quand la machine Bercy s'empare du sujet

La « machine Bercy » s'est emparée du sujet avant l'été et a transformé le CEI en Compte PME Innovation (CPI) dont les modalités ont fait juste avant Noël l'objet d'un vote définitif dans le cadre de la Loi de Finances Rectificative. Le changement de nom est anecdotique mais il est révélateur d'un raisonnement en 3 étapes qui semble être naturel au sein du Ministère des Finances et des Comptes-Publics.

  • Quand un mécanisme est simple, il pourrait présenter des effets d'aubaine (identifiés ou non) qu'il convient par avance de contrer. Il faut donc « encadrer » au plus près le dispositif avec des conditions et critères limitatifs ;
  • Quand on « encadre », on crée un risque d'inconstitutionnalité (inégalité de traitement entre les contribuables). Il faut donc ajouter des modalités qui justifient et motivent un « intérêt général » et qui elles-mêmes complexifient le dispositif ;
  • Quand on a franchi les 2 premières étapes, on s'aperçoit que le mécanisme « ciblé » ainsi défini pourrait correspondre à celui d'une « aide d'Etat ». Il faut donc essayer de coller aux différents précédents péniblement validés avec Bruxelles ce qui rajoute une nouvelle couche de complexité...

Il est difficile de dire si ce processus de complexification en 3 étapes est légitime ou le fruit d'une dérive culturelle (pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué) ou d'une forme de paranoïa « fiscale » (la « perte de recettes » sera ainsi très limitée et les contribuables faisant la moindre erreur seront à « portée de fusil »). Il est, en tous cas, ravageur !

Des défauts à la pelle

Il faudrait des pages pour lister l'ensemble des défauts du CPI mais voici ce que cela donne en résumé.

  • En termes d'apport dans le CPI, la plupart des entrepreneurs-fondateurs pourront y amener les titres de leur entreprise. C'est positif mais décale l'éventuel impact du CPI en termes de remploi à la future cession par ses entrepreneurs de leurs sociétés.
  • Certains business angels déjà actifs auront peut-être l'opportunité d'y apporter les titres de sociétés dans lesquelles ils ont investi sous des conditions que l'on peut qualifier de « baroques ». C'est mieux que le projet gouvernemental initial mais clairement limitatif car un « serial business angel » ne pourra apporter au CPI que certaines de ses « lignes » et uniquement à un certain moment de la vie de la société concernée. Le rationnel de la mesure reste inexpliqué...
  • En termes de remploi en direct, le dispositif est calqué sur les critères de l'ISF-PME (avec sa complexité et ses limitations) assorti à minima d'une convention d'assistance entre la société cible et l'investisseur « business angel ». Il est de plus présenté comme une « aide d'Etat » ce qui est plus que contestable pour un simple sursis d'imposition.
  • En termes de remploi en indirect, le ré-investissement via des FPCI, SLP et SCR est autorisé mais les modalités sont totalement inopérantes (ex: délai d'investissement de 24 mois à compter de la cession par le souscripteur ou signature d'une convention d'assistance entre chaque souscripteur du fonds et chaque société du portefeuille !). Et ce, sans oublier la mention « fonds bénéficiant d'une aide d'Etat » dissuasive pour un gérant de fonds non issu du monde de la « défiscalisation » (ndr: c'est le cas d'ISAI, plus gros fonds d'entrepreneurs Français par exemple).
  • En termes d'ISF, aucune « franchise » sur les liquidités en attente de remploi n'est mise en place.

En résumé, ce produit « designed by Bercy » plaira peut-être aux « défiscalisateurs » amateurs et professionnels... Cela n'est pas certain du tout car les avantages fiscaux du CPI sont finalement très minces pour celui qui veut prendre peu de risques...

Il ne saura, en aucun cas, être attractif pour les entrepreneurs-fondateurs, pour les « serial business angels », ni pour les gérants de fonds d'entrepreneurs qui étaient pourtant visés par ce nouveau dispositif.

Cela s'appelle manquer totalement sa cible et cela méritait bien un coup de gueule !

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