Culture : la guerre du mobile aura bien lieu

Le secteur culturel peut mettre à profit le développement extraordinaire du mobile, et gagner la bataille de la valeur ajoutée. Mais à certaines conditions. Par Laure Kaltenbach, directeur Général et Olivier Le Guay, responsable éditorial du laboratoire d'idées Forum d'Avignon - culture, économie, innovation

« La culture, c'est l'intelligence du smartphone » prédit volontiers Jean-Michel Jarre, Président de la CISAC. La course pour capter cette intelligence s'accélère. L'enjeu est de taille. Celui qui contrôlera les apps ou l'accès contrôlera l'usage et la manne publicitaire sur mobile. Les stratégies « Mobile-First » de Facebook ou « Mobile-friendly » de Google deviennent aussi des enjeux culturels.

Capter la manne du marché publicitaire

Rien ne sert de construire, il faut mobiliser à point. Apple vs Samsung. La compétition entre les fabricants de téléphone - à coups de nouveaux gadgets et de sorties spectaculaires - a quasi éliminé les géants du net incapables de rivaliser : les échecs du First (Facebook) ou des Nexus (Google) sont patents. L'enjeu consiste désormais à en maîtriser l'intelligence et laisser à d'autres -pour le moment- le soin de les fabriquer. A la clé : forger les usages et capter la manne d'un marché publicitaire qui devrait représenter 51% de la croissance des investissements mondiaux entre 2014 et 2017 (selon l'agence médias ZenithOptimedia). L'enjeu est de taille puisque depuis l'année dernière, le smartphone supplante la TV en temps passé : 2h27 par jour contre 1h53 (pour un total de temps passé devant un écran de 417 minutes - voir étude de Millward Brown, 2014) et que des continents de consommateurs zappent l'étape TV et PC pour faire de leur mobile un couteau suisse, pour voir, lire, écouter, danser ...

Le mobile-First de Facebook ou comment maitriser l'usage

En moyenne, 7 applications sur les 35 téléchargés par an sur mobile sont réellement utilisées par les consommateurs [étude Wazapp, 2014]... Conscient que 65% de ses membres -en France- utilisent son réseau sur mobile, Facebook cherche à contrôler plus de la moitié des apps réellement utilisées avec Instagram, WhatsApp, Oculus Rift et selon les rumeurs, Snapchat. Renforcé par le passage du search engine (moteur de recherche généraliste) au search in apps (moteur de recherche intégré dans chaque apps et notamment son propre réseau), les projets du groupe ne s'arrêtent pas là pour verrouiller tous les usages sur ses apps. En effet, Facebook se propose aussi de devenir un hébergeur de contenus médias comme en témoignent ses pourparlers avec le New York Times. Apps, infos et réseaux, l'objectif est clair : maitriser l'usage du mobile tout entier - et piloter la vie, notamment culturelle, de chacun, grâce aux monceaux de données devenues le « fabuleux métal, que Cipango mûrit dans ses mines lointaines » (José Maria de Heredia). Voici venu le temps des nouveaux « Conquérants ». Sans attendre que les BAT (Baidu, Alibaba et Tencent chinois) prennent le relais...

Le mobile-friendly de Google ou comment doper l'accès

Face aux ambitions de ses concurrents (Apple n'est pas en reste avec ses technologies vocales type Siri), Google possède aussi ses atouts : le système Androïd qui équipe la quasi totalité des smartphones (en dehors d'Apple) peut se révéler un outil de reprise en main pertinent, la force de Youtube dont 50% du trafic provient du mobile constitue lui aussi une apps clé pour répondre à l'explosion des « achats programmatiques » publicitaires, technologie qui permet aux annonceurs d'acheter directement de l'espace en grande quantité dans le display en France: +65% entre 2013 et 2014 (selon SRI). Enfin, les rumeurs de lancement d'un abonnement téléphonique dessinent la volonté de maitriser l'accès des consommateurs.
Les bénéfices de l'automatisation pour tous (data marketing qui permet de comprendre les solutions automatisées d'aspiration, de traitement et d'analyse des données permet de réinventer la chaîne de valeur, autant pour développer de nouvelles apps sur mesure que des displays de publicité.

Partage or not partage

Pour les producteurs et les créateurs, l'enjeu reste de pouvoir garder la maitrise de leurs œuvres, de la gestion des droits dérivés et de plus en plus des données personnelles qu'elles génèrent. A ce titre, l'approche partenariale de Google notamment par des préfinancements de contenus est plus alléchante que les dictats de Facebook. Le témoignage de Marie-Laure Sauty de Chalon, présidente d'Aufeminin.com au Figaro.fr est éclairant : « Le problème avec Facebook, c'est que c'est le loup dans la bergerie. Une fois que vous rentrez dans son système, il ne vous partage rien, donc il vous dévore. Nous l'avons vu avec la vidéo. À la différence de YouTube, qui s'intéresse à vos contenus, les références et qui peut les préfinancer, ou à la différence de Google, qui accepte de partager les revenus publicitaires avec AdSense, Facebook vous prend vos contenus et ne vous donne rien. »
C'est par de nouveaux partenariats avec les plateformes ou les apps que l'avenir du secteur culturel se façonne : tant par une meilleure connaissance de leurs clients et de leurs attentes, que par sa remontée dans la chaine de valeur. En témoignent dans le secteur de la musique les demandes des producteurs de récupérer les données sur l'usage de leurs œuvres dans les renégociations avec les plateformes de streaming, l'accord d'Universal et d'Havas pour traiter les données clients pour de nouveaux services ...

La bataille de la valeur ajoutée sur le mobile n'est pas perdue

Pour le secteur culturel, l'union fait la force. Les enjeux culturels du contrôle des mobiles confirment que la filière culturelle aurait perdu la première manche : l'accès aux données a permis jusqu'à maintenant aux 'dragons' du net de dicter leur loi et leur règles. Une seconde étape - liée l'importance des services (apps) issus du traitement des données - ouvre de nouvelles perspectives :

- éditoriales en dessinant le temps consacré à la culture par des initiatives créatives innovantes ; associant par exemple culture et tourisme comme par exemple My Little Paris racheté par Aufeminin.com ou digital art & innovation comme Digitalarti.
- stratégiques en maitrisant les cultures de la donnée 'client' ; la filière culturelle (ré)invente son rôle : façonner ou valoriser la diversité culturelles via recommandations, algorithmes in apps, valorisation des « stocks » ....
- collaboratives face à des tentatives de verrouillage en système propriétaire jouer les bilatéraux et non pas unilatéraux à la Facebook à la fois techniques/culture qui ouvrent aux secteurs culturels et créatifs : relais de croissance, exploitation des données « dormantes », fidélisation de communautés, ...

 « Data culture » ou comment ouvrir le jeu

La filière culturelle et créative doit prendre conscience - sans tarder - de sa responsabilité dans la diffusion et la gestion de la culture de la data, propice à son développement. Avec, à la clé, le renforcement de la diversité culturelle. Comment ? Notamment par la formation et la R&D (en inventant les algorithmes culturels de demain) mais aussi par la collaboration sous forme d'accord de réciprocité et non unilatéraux qui ouvrent aux secteurs culturels et créatifs : relais de croissance, exploitation des données «dormantes», fidélisation de communautés, ... Déjà, des projets concrets émergent.
Sans culture, le smartphone risque de n'être qu'un stabile. Chiche.

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Commentaire 1
à écrit le 06/05/2015 à 13:58
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Donc, si l'on comprend bien, la "culture", dorénavant, c'est la vidéo sur des écrans de 4/6 ", du "son" mp3, des "amis" Facebook, des propositions "ciblées" d'amazon ou YouTube,... on a la culture qu'on mérite. Partant du constat que ce sont...

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