Découplage entre croissance économique et émissions de CO2 : à quelle vitesse ?

La transition énergétique va être véritable source de croissance. Par Andrew Harmstone, gérant de l'équipe Multi-Asset au sein de Morgan Stanley

Dans le secteur de la production d'énergie, on constate manifestement un report des investissements en capital vers des sources d'énergie plus respectueuses du climat, non seulement par un recours plus systématique aux « énergies renouvelables », mais également par le passage d'énergies fossiles très polluantes, comme le charbon, à d'autres énergies fossiles qui le sont moins, comme le gaz naturel. Si cette évolution n'est pas de nature à satisfaire totalement les puristes, elle reste positive pour l'environnement. De toute évidence, la tendance au remplacement de sources anciennes d'énergie par des énergies nouvelles et plus respectueuses de l'environnement est déjà bien engagée, même si la transition ne se fera pas du jour au lendemain. Pour autant, elle ouvre des perspectives de flux d'investissements à long terme, susceptibles de faire grimper considérablement le produit intérieur brut (PIB).

Découplage entre les émissions mondiales de CO2 et la croissance du PIB

Les émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) ralentissent depuis quelques années, avec une tendance à la baisse constatée dans la plupart des régions. À l'échelle mondiale, l'évolution des émissions de CO2 d'une année sur l'autre est passée de plus de + 5,0 % en 2010 à + 2,0 % en 2013, puis de + 1,2 % en 2014 à - 0,1 % en 2015. Sur la même période, la croissance du PIB s'est maintenue aux alentours de 3 %. En 2013 et 2014, le ralentissement des émissions de CO2 était dû en partie à un ralentissement de la dynamique de croissance en Chine. Dès 2015, il est devenu évident que la tendance à la baisse des émissions de CO2 était un phénomène autonome et qu'elle se déconnectait de la croissance du PIB.

Le découplage actuel est un phénomène nouveau. Jusqu'à 2010, il existait une forte corrélation entre le PIB et les émissions de CO2 : la production de biens et de services nécessite de l'énergie, historiquement alimentée par les énergies fossiles. Or, à partir de 2010, cette corrélation a commencé à s'effriter. En 2015, la croissance économique était en hausse et les émissions de CO2 en baisse.

Le découplage émissions de CO2/croissance du PIB signifie que l'énergie qui alimente l'économie est soit mieux exploitée, soit produite par des méthodes plus propres. Dans l'ensemble des régions du monde, la stabilisation générale des émissions s'explique par différents facteurs : il est donc utile d'étudier le degré d'avancement de chacune de leurs démarches de réduction du CO2.

États-Unis : l'éternelle rivalité entre charbon et gaz

Avec à leur tête un nouveau président visiblement climatosceptique et qui semble prompt à la déréglementation, les États-Unis risquent fort de revenir sur certaines politiques positives pour le climat. Cela dit, la baisse des émissions de CO2 aux États-Unis est due en grande partie à la faiblesse des cours du gaz naturel, qui incite à l'abandon du charbon.

Sur le territoire, des progrès importants sont également faits pour privilégier des sources d'énergie réellement renouvelables. L'emploi dans le secteur des énergies renouvelables affiche une excellente croissance depuis plusieurs années, à l'inverse du secteur de l'extraction des énergies fossiles et des activités connexes.

Europe : le plus important marché d'échange de droits d'émissions au monde ne connaît pas la crise

Si le passage du charbon au gaz naturel est l'un des facteurs clés de la baisse des émissions aux États-Unis, en Europe, cette baisse est plutôt à mettre sur le compte de l'échange des droits d'émission. L'Europe a lancé son système de « plafonnement et d'échange » en 2005. Appelé système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne, il contribue depuis plus de dix ans à la maîtrise des émissions polluantes. L'Union européenne plafonne la quantité de gaz à effet de serre que les entreprises peuvent émettre et le système facilite les échanges de quotas entre entreprises. Celles qui dépassent le quota qui leur est alloué peuvent ainsi acheter à d'autres entreprises une part de leur quota. À défaut, elles s'exposent à de lourdes amendes.

Marchés émergents : ils montrent l'exemple

Les marchés émergents s'intéressent aux énergies renouvelables dans le cadre de leur démarche d'industrialisation. En 2015, pour la première fois, les pays émergents ont dépassé les pays industrialisés en matière de nouveaux investissements dans les énergies propres. Tout comme elles sont passées directement au téléphone portable, sans passer par les cases télégraphe, standard téléphonique et ligne fixe, de nombreuses économies émergentes semblent adopter directement les énergies renouvelables. Si les investissements dans ce secteur fluctuent dans les pays industrialisés, ils enregistrent en revanche une croissance régulière sur les marchés émergents.

Brûler les étapes pour aller de l'avant

Parce qu'ils ont la possibilité de partir de rien, les pays émergents n'ont pas d'infrastructures existantes à éliminer avant de passer aux énergies renouvelables. Ils peuvent s'affranchir de ces étapes encombrantes et construire de zéro des infrastructures dédiées. Globalement, les marchés émergents représentent un potentiel considérable en termes de croissance des énergies propres. À l'échelle mondiale, si les pays industrialisés comme les pays émergents vont dans le même sens, ce sont bien les nations les plus développées qui sont à l'origine de projets innovants dans le secteur des énergies renouvelables.

Un véritable vecteur de croissance du PIB

Après avoir laissé les consommateurs se saisir de la problématique pendant plusieurs années, les entreprises réinvestissent, ce qui contribue plus nettement à la croissance du PIB. L'un de leurs domaines de prédilection est l'énergie, et notamment le passage d'anciennes méthodes de production d'énergie à de nouvelles technologies. Même s'il s'agit d'un processus à long terme, on ressent déjà l'influence de la destruction créatrice, qu'il s'agisse de la généralisation du gaz naturel aux États-Unis ou de la hausse mondiale de l'emploi dans le secteur des énergies renouvelables.

L'impact prévisionnel sur le PIB de plusieurs projets dans différentes régions du monde, dans les pays industrialisés comme sur les marchés émergents, est plus que conséquent. À titre d'exemple, aux États-Unis, d'ici à 2030, l'Agence internationale pour les énergies renouvelables estime que la décarbonisation entraînera 0,6 point de PIB supplémentaire en base annualisée. Au Royaume-Uni, l'augmentation de la part de l'éolien offshore ferait gagner 0,8 point de PIB par an. Plus intéressant encore, en Arabie saoudite, les énergies renouvelables devraient faire grimper le PIB de 4 points.

Nous sommes à l'aube d'un changement radical de paradigme en matière de production d'énergie. Lorsque des évolutions technologiques d'une telle ampleur se produisent, comme lorsque la voiture à cheval a été supplantée par l'automobile, la transition peut être rapide et violente.

Ce que l'on observe actuellement ne sont que les prémices d'un tourbillon de destruction créatrice qui va très certainement révolutionner le secteur de l'énergie et mettre à terre des industries anciennes pour en créer de nouvelles, plus respectueuses de l'environnement. Or, l'Histoire nous enseigne qu'en général, ces mutations s'avèrent, avec le recul, extrêmement positives pour l'économie.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de leurs auteurs à la date de publication et sont susceptibles d'évoluer en fonction des conditions économiques et boursières.

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Commentaires 2
à écrit le 21/01/2020 à 19:43
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Je trouve les nombreuses explications de cet article claires et justes ; j'avais besoin de me renseigner sur le sujet, et ça s'est fait rapidement et de manière efficace. Bien joué !

à écrit le 20/05/2017 à 8:21
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Pour la France, l'application de la note n°6 du CAE serait un facteur déterminant du retour de la croissance et de la baisse du chomage. On retrouverait la situation économique de l'Allemagne et de la Suède. Mais les économistes français refusent de ...

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