Déployer la fibre : la France gagnante à long terme

Le coût d'équipement en fibre optique est élevé, en France. Mais le système de co-investissement avec Orange permet aux opérateurs de bénéficier d'un prix réduit. Par Charles Cuvelliez, professeur à l'Université libre de Bruxelles

Une étude mandatée par l'OFCOM, l'ARCEP britannique, a comparé le déploiement de la fibre dans sept pays dont deux en dehors de l'Europe mais aussi la France. Il y a deux architectures pour la fibre : point à point ou passif. Avec le point à point, c'est le luxe car c'est une fibre par client. En mode passif, une même fibre est partagée par plusieurs clients, avec des splitters qui répartissent le signal optique entre ces derniers. Cette seconde architecture rend plus difficile le dégroupage qui permettrait à des opérateurs alternatifs d'utiliser la fibre de l'opérateur historique. La France est un des seuls pays à supporter les deux approches et le point à point couplé au modèle de co-investissement qu'elle a mis en place pourrait faire la différence (pas tout de suite) par rapport aux voisins.


Equiper un pays en en fibre optique, le coût

On croit le déploiement d'un réseau de fibres hors de prix: les exemples des pays qui ont déjà déployé de la fibre prouvent le contraire. A Singapour et en Nouvelle-Zélande, les Etats ont financé le réseau de fibre optique qui est ensuite loué aux opérateurs. Au Portugal et en Espagne, l'investissement provient du privé et des opérateurs qui co-investissent en France, poussé par l'Etat et l'ARCEP . Aux Pays-Bas, c'est un modèle mixte d'investissement privé et public.

Le modèle français prévoit le co-investissement privé dans les zones très denses (5.5 millions de foyers) et moyennement denses (11 millions de foyers). Dans le premier cas, le co-investissement s'applique pour équiper les tout derniers mètres qui séparent un point de rencontre des opérateurs et le building visé. C'est le propriétaire du building qui décide quel opérateur (en concurrence) fera le reste et ce dernier facture le travail aux concurrents qui viendraient à fournir le service aux appartements ainsi équipés.

Dans le deuxième cas, un seul opérateur prend en charge de tirer une fibre jusqu'au foyer mais ses concurrents peuvent décider de co-financer l'investissement par tranche de 5 % de lignes (sur un minimum de 1000 lignes nouvelles) dans la zone qui sera équipée.

En France, un coût d'équipement élevé

Mais que coûte d'équiper un domicile en fibre optique ? Au Portugal ou en Espagne, les prix sont particulièrement bas avec à peine 400 dollars en moyenne pour faire passer la fibre devant chaque domicile. La France, d'après OFCOM, est le pays où équiper le trottoir en fibre revient le plus cher : 800 dollars. Une étude de HSBC arrive à 700 EUR pour les zones moyennement denses. La subtilité française est ce co-investissement. Orange doit de toute façon déployer une réseau de fibres : vu l'éloignement des maisons, upgrader la technologie ADSL ne donnerait qu'un gain modeste.

Avec une fibre co-investie, Orange permet aux opérateurs alternatifs d'avoir leur propre fibre au prorata des parts de marché qu'ils ont (par tranche de 5 %). Ils n'ont pas à déployer d'abord leur fibre partout, dans une ville, dans une région, pour enfin seulement se demander où et comment la commercialiser. Le coût reste le même par ligne mais en se limitant à 5 %, l'investissement total devient raisonnable. Seul hic : ces tranches de 5 % désavantagent les opérateurs qui ont de faibles parts de marché puisqu'ils devront investir pour plus de lignes que de parts de marché. Iliad qui a 22% de parts de marché en large bande s'en sortira alors le mieux. Dans les zones denses, le coût tourne toujours autour de 700 euros à ceci près que 100 euros sont à payer à l'opérateur choisi par le propriétaire et qui a fait le dernier câblage.


Quelle couverture?

Le Portugal et l'Espagne sont les pays où le taux de couverture est le plus grand (parce que le moins cher à déployer). L'Espagne atteint 49 % en 2014. Au Portugal, 61 % des foyers sont couverts. A Singapour, cité-état oblige, 100 % du territoire est déjà couvert. En Nouvelle-Zélande, fin 2014, 29 % des maisons étaient couvertes. Le pays a l'intention de couvrir 75 % d'ici à 2019. En France, on en est à 14 % dont 9 % sont assurés par les opérateurs alternatifs, Iliad, SFR-Numericable (qui peut à court terme privilégier le câble à la fibre). Dans tous les pays où les alternatifs déploient de la fibre, ce sont les centres urbains qui sont privilégiés : en France, 71 % maisons équipées s'y situent alors que ces centres ne représentent que 20 % du territoire. HSBC arrive au même résultat avec des chiffres plus récents : fin juin 2015, 4.7 millions de foyers sur 30 millions sont équipées en fibres, 15 % et de ces 4.7 millions, 1.13 millions a réellement souscrit à la fibre, soit 24 %. Il n'empêche, Orange reste sur sa volonté d'équiper 20 millions de foyers en 2020.


La concurrence stimule la fibre

L'étude a trouvé une corrélation entre le niveau de concurrence et le déploiement de la fibre : Telefonica, en Espagne, a mis les bouchées doubles devant la concurrence du câble et des opérateurs alternatifs qui ont, eux aussi, déployé de la fibre. C'est le cas, dans une moindre mesure du Portugal, de la France et des Pays-Bas. Au Portugal, 30 % des domiciles couverts le sont grâce aux nouveaux entrants : Vodafone, l'opérateur mobile, en mal de convergence, vise 50 % de la population fibrée en 2015. En Espagne, cette proportion atteint 15 %. Dans ces pays, il est possible, il est vrai, d'utiliser des fourreaux ou de la fibre noire grâce à une obligation du régulateur: les fourreaux dans le sol sont souvent un héritage du temps du monopole. Dans les zones peu denses et donc jamais rentables, ce sont les collectivités qui investissent dans l'infrastructure et la louent aux opérateurs.

Les clients mordent-ils ?

Installer de la fibre si personne ne s'y connecte ne sert à rien : heureusement, l'étude est optimiste sur ce point. Quelle que soit la vitesse et les modalités de déploiement, l'adoption de la fibre par le client suit la même tendance favorable. Le taux de croissance est le même : à peu près 20 % des maisons équipées sont passés à la fibre. C'est peu mais les déploiements sont récents. A Singapour, le taux d'adoption est déjà de 50 %. En France, il atteint 20 % d'après OFCOM et 24 % d'après HSBC, juste derrière les Pays-Bas et le Portugal. Le prix commercial actuel de la fibre, même avec une prime, n'est pas dissuasif. Il est très difficile de déterminer le bon prix pour un nouveau produit sans repère de que le client acceptera ou pas.

Les résultats de l'opérateur historique

Ces déploiements de fibre arrivent-ils à stopper l'érosion des parts de marché ou de l'EBITDA de l'opérateur historique qui fibre à tout va ? C'est un lent déclin qui est constaté pour tous les pays pour l'EBITDA et la part de marché, et plus franchement encore du revenu par utilisateur...La fibre n'y change rien. Alors, pourquoi déployer ? L'étude se veut prudente et attribue la chute dans le revenu par utilisateur « broadband » aux mauvaises conditions économiques récentes. Des 7 pays analysés, c'est en France que l'opérateur historique a la plus petite part de marché « broadband » (40 % en 2014 venant de 45 % en 2009). Le revenu moyen broadband par client est de 21 EUR en France. L'EBIDTA de l'opérateur historique est de 36 %.

La concurrence sacrifiée?

La fibre, comme innovation,devrait-elle être exemptée de régulation ? Pas forcément : bien pensée, elle évite les dommages collatéraux : en France et à Singapour, elle empêche l'opérateur qui pénètre le premier dans le building avec sa fibre d'en prendre le contrôle. Avec la régulation, un nouvel entrant peut souvent jouir de deux accès à la fibre optique via le réseau de l'opérateur historique : aux fourreaux pour installer sa propre fibre ou à a fibre noire, c'est-à-dire une fibre optique qui sera alimentée et gérée par les équipements du nouvel entrant uniquement. Ces deux remèdes sont appelés passifs.

 On leur oppose les remèdes actifs où l'opérateur historique continue à gérer électroniquement une partie de l'accès fibre octroyé à son concurrent. En Espagne, Telefonica doit offrir ce type de service aux concurrents qui en feraient la demande tant pour le VDSL que pour la fibre. Seule la France n'impose pas de remèdes actifs.
Ce n'est pas toujours la régulation qui donne le cadre de ces remèdes pris pour ne pas étrangler la concurrence lorsqu'un opérateur historique s'appuie sur son infrastructure (et sa puissance financière) pour y investir en fibres : c'est une loi en France tandis qu'ailleurs le cadre classique de la régulation est utilisé. A Singapour et en Nouvelle-Zélande, il n'a pas fallu de régulation puisque ce sont les gouvernements qui ont payé pour installer de la fibre.

20 milliards d'euros en dix ans

Ces pays ont imposé comme condition préalable à mettre la main au portefeuille la séparation fonctionnelle. Telecom New Zealand a dû se séparer de son entité qui gérait les réseaux pour en faire une entreprise séparée, Chorus, qui ne cherchera pas à favoriser Telecom New Zealand. Bizarrement, dit l'étude, c'est à Singapour et en Nouvelle Zélande où la fibre se porte le mieux . Est-ce à dire qu'un rôle économique doit de nouveau être dévolu à l'Etat ?
La France a trouvé un juste milieu qui pourrait être payant sur le long terme : forcer le co-investissement des opérateurs là dans les zones où cela reste rentable de déployer de la fibre à ce prix et ne pas hésiter via les collectivités et l'argent public à équiper les zones qui ne seraient jamais rentables. Et dans les grandes villes où tout le monde se bouscule, laisser le mot final au propriétaire pour ne pas dupliquer inutilement les tout derniers mètres pour équiper chaque appartement en fibres. Dans les grands pays, taille aidant, toutes les zones n'ont pas le même potentiel de concurrence (si 20 % du territoire français est considéré comme à potentiel suffisant de concurrence, on a des chiffres plus élevés comme 56 % et 61 % en Espagne et au Portugal).
La facture totale en France ne serait finalement que de 20 milliards en 10 ans, dit-on.

Pour en savoir plus :
─ French Telecoms, And the fibre winners are..., Nicolas Cote-Colisson, HSBC Research, Telecoms, Media & Technology, 05.10.2015
─ Final report for Ofcom,International case studies, 10 July 2015, James Allen, Ceri Tinine, Analysys Mason

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Commentaires 3
à écrit le 01/01/2016 à 8:41
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Il est économiquement stupide de déployer plusieurs réseaux (idem pour les réseaux mobiles) Nous aurions mieux fait de faire déployer le réseau fibre + mobile par l état et de le louer ensuite a des opérateurs Bref Singapour pays libéral a fait ce c...

à écrit le 30/12/2015 à 14:09
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Quand la fibre sera installée, l'ADSL sera coupé afin de ne pas donner le choix, et obliger à se rendre compte que c'est "mieux". "avec des splitters qui répartissent le signal optique entre ces derniers." je craignais que ce soit un signal banal él...

à écrit le 30/12/2015 à 13:09
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On nous vend toujours le futur au prix virtuel supposé et tout fonctionne de cette manière depuis la construction de l'UE de Bruxelles! Mais quelle déception!

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