Des compagnies aériennes à la situation précaire

Alors que les compagnies aériennes commencent à renouer avec les bénéfices, on peut se demander si cette situation sera pérenne. Une partie de ces profits est en effet due à une conjoncture économique favorable. Si les coûts d'exploitation des compagnies venaient à augmenter de nouveau, le retour à l'équilibre serait fortement mis à mal. Comment donc les compagnies aériennes répercutent-elles leurs variations de coûts ? Par Paul Chiambaretto (Montpellier Business School / Ecole Polytechnique).

Alors qu'Air France vient d'annoncer le nom de son nouveau plan stratégique « Trust Together » qui devrait mettre l'accent sur le rétablissement de la confiance entre les partenaires sociaux, les enjeux économiques demeurent cruciaux pour le devenir de la compagnie française. Si Air France a réussi à renouer avec les bénéfices, c'est indéniablement grâce aux efforts de productivité de la compagnie, pour autant un certain nombre de facteurs économiques conjoncturels (comme la baisse du baril de pétrole) ont aussi joué en sa faveur. D'ailleurs, Air France n'est pas la seule compagnie à voir sa situation s'améliorer et 2016 aura été marquée par les annonces de retour aux bénéfices et de profits records de compagnies aériennes à travers le monde.

Une situation précaire

Cependant, la situation d'Air France et des compagnies aériennes reste précaire. Si le baril de pétrole est actuellement en dessous des 50 dollars, sa valeur dépassait les 110 dollars il y a à peine deux ans. Rien n'empêche un retour du baril autour des 100 dollars à plus ou moins court terme. De même, les projets de taxes ou l'évolution des redevances aéroportuaires peuvent mettre à mal le délicat retour à l'équilibre financier des compagnies aériennes. Dernier exemple en date, la proposition de financement de CDG Express par une taxe sur les passagers de l'aéroport de Roissy a généré une véritable levée de boucliers de la part du pavillon français.

La question de la répercussion des variations (et en particulier des hausses) de coûts par les compagnies aériennes demeure donc centrale. Deux chercheurs néerlandais, Carl Koopmans et Rogier Lieshout, ont essayé de répondre à cette question dans un article de recherche intitulé « Airline cost changes: To what extent are they passed through to the passenger ? » publié dans le Journal of Air Transport Management.

 L'impact de la répercussion des coûts sur la demande et les profits

La majorité des entreprises (et plus particulièrement les compagnies aériennes) évoluent dans un contexte économique avec une forte volatilité des coûts. La question qui se pose alors est de savoir dans quelle mesure une compagnie peut ou doit répercuter ces variations de coûts sur ses passagers ? Pour cela, les économistes étudient ce qu'on appelle le taux de répercussion (pass-through rate) qui est le pourcentage de la variation de coûts qui sera effectivement répercutée sur le passager. Par exemple, un taux de répercussion de 40% signifie que si une taxe de 1 euro par passager est ajoutée, alors la compagnie aérienne augmentera le prix du billet uniquement de 40 centimes. Et logiquement, si le taux de répercussion est de 100%, l'augmentation du coût sera entièrement portée par le passager.

 Pour autant, même en répercutant intégralement la hausse du coût sur le passager, la compagnie aérienne peut être impactée négativement. En effet, une répercussion totale implique généralement une baisse de la demande (en fonction de l'élasticité de la demande, c'est-à-dire de la sensibilité de la demande aux variations de prix) qui génère une baisse des profits (même à marge unitaire constante). À l'inverse, si la compagnie aérienne ne répercute pas du tout la hausse des coûts sur les passagers (avec un taux de répercussion égal à 0%), c'est qu'elle l'absorbe elle-même en réduisant sa marge unitaire. Et dans ce cas-là, même si la demande reste constante, la compagnie voit ses profits diminuer. Tout l'enjeu est donc de savoir comment fixer le taux de répercussion optimal.

 Un taux ou des taux de répercussion ?

Comme souvent en économie, les chercheurs se sont plongés dans des calculs afin de trouver ce taux de répercussion optimal (c'est-à-dire celui qui maximise les profits de la compagnie). Or la réalité est plus complexe. Koopmans et Lieshout expliquent ainsi que le taux de répercussion optimal dépend de nombreux critères : la nature de la variation de coûts (pour une seule entreprise ou pour toutes les entreprises du secteur), le degré de concurrence sur le marché, l'élasticité de la demande, etc. De manière générale, plus un marché présente un degré de concurrence élevé, plus les marges initiales des entreprises sont faibles, de sorte qu'elles seront obligées d'avoir un taux de répercussion proche de 100% si elles ne veulent pas faire faillite.

Pour autant, ces effets sont modérés par la sensibilité des consommateurs aux variations de prix, de sorte que plus la demande est impactée par une hausse de prix, moins l'entreprise aura une incitation à répercuter sa hausse de coûts.

 Le transport aérien : un marché oligopolistique différencié

Les chercheurs néerlandais ont donc essayé de caractériser la nature du marché aérien. Ils révèlent alors que contrairement à ce que l'on pense, le marché aérien est particulièrement concentré. S'appuyant sur des indicateurs d'économie industrielle, tels que l'Indice d'Herfindhal-Hirschman, ils soulignent que près de la moitié des marchés aériens sont en réalité des monopoles (même s'ils ne concernent que 10% des passagers). De manière plus intéressante, ils notent que 75% des passagers aériens se retrouvent à voyager sur des marchés qui sont en réalité des oligopoles avec uniquement de deux à quatre compagnies aériennes concurrentes.

Les auteurs de l'étude notent ainsi que le marché aérien est un oligopole différencié. En d'autres termes, il s'agit d'un marché où uniquement quelques entreprises sont en concurrence et fixent leurs quantités en adaptant les prix à la demande, ce qui est caractéristique d'un « oligopole ». Pour autant, tous les produits aériens ne se ressemblent pas et ont des caractéristiques différentes comme le service à bord, le confort de la cabine, etc., de sorte que l'on considère que les produits aériens sont « différenciés ». Il s'agit donc d'un oligopole différencié.

S'appuyant sur les travaux d'économistes antérieurs, ils en arrivent à la conclusion que dans le transport aérien, compte tenu des caractéristiques du marché et de la demande, le taux de répercussion moyen devrait être de l'ordre de 50%. Plus précisément, lorsque la hausse de coûts ne concerne qu'une seule compagnie aérienne, le taux de répercussion sera inférieur à 50%. À l'inverse, lorsque la variation de coûts concerne l'ensemble des entreprises, alors le taux de répercussion sera supérieur à 50%. Est-ce toujours le cas ?

 La répercussion des coûts : une opportunité stratégique ?

À ce stade, on peut avoir l'impression que la répercussion des coûts pour les compagnies aériennes est très déterministe. Or, la fixation du taux de répercussion est un travail subtil et la gestion de la hausse des coûts peut être utilisée comme une arme stratégique. En effet, comme le notent Koopmans et Lieshout, si toutes les compagnies aériennes font face à la même augmentation de coûts, toutes ne réagissent pas de la même façon et peuvent au contraire utiliser leur taux de répercussion pour se différencier de leurs concurrents.

Ainsi, face à une augmentation des coûts, certaines compagnies vont essayer de réduire leur exposition à ces coûts. Dans le cadre d'une hausse du baril de pétrole, à court ou moyen terme, les compagnies aériennes peuvent par exemple mettre en place des stratégies de couverture (hedging) en achetant à l'avance des quantités à un prix fixé. À plus long terme, elles peuvent changer la composition de leur flotte en investissant dans des avions moins gourmands en carburant.

 D'autres compagnies vont au contraire jouer la carte de la subvention croisée. En effet, répercuter ses coûts sur les segments ou marchés fortement sensibles à la demande va avoir un effet négatif plus fort que lorsque l'on répercute ces mêmes coûts sur un marché plus inélastique. Par conséquent, certaines compagnies augmentent fortement le taux de répercussion sur les marchés faiblement sensibles et laissent quasiment inchangés les prix sur les marchés les plus sensibles. Dans ce cas-là, les marchés les plus inélastiques subventionnent indirectement les marchés les plus sensibles aux variations de prix.

Gérer les retournements de conjoncture

Mais les effets de seuil liés aux variations de la demande sont tout aussi importants. Parfois, il peut être préférable de réduire son taux de répercussion pour maintenir un niveau élevé de demande et donc un taux de remplissage important de ses avions, plutôt que de faire des voler des avions quasiment vides. Enfin, répercuter ses coûts est aussi une question de timing. Toutes les compagnies aériennes ne répercutent pas à la même vitesse les hausses (et surtout les baisses) de coûts. Certaines utilisent justement ces périodes de transitions pour observer les réactions de leurs concurrents ou pour accumuler de la trésorerie en cas de baisse des coûts pour les périodes difficiles.

 Au final, si les compagnies aériennes traversent actuellement une période économique favorable, elles devront à l'avenir continuer de développer leur capacité à anticiper et gérer les répercussions économiques des retournements de conjoncture.

 Pour plus de détails : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S096969971600003X

Paul Chiambaretto est professeur de marketing et stratégie à Montpellier Business School et chercheur associé à l'Ecole Polytechnique. Spécialiste du transport aérien, il intervient dans de nombreuses institutions comme l'ENS Cachan, l'ENAC, l'ISAE-Supaero et l'Ecole Centrale de Lyon.

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