"Du bonheur à l'école ! " (Olivier Faron)

Tout changer ! Oui, mais quoi ? Par qui ? Comment ? Et surtout : pour quoi ? C'est à y répondre que s'emploieront, le 9 novembre, les prestigieux débatteurs du Forum Cnam-La Tribune. A cette occasion, La Tribune questionne quatorze personnalités qui changent le monde tous les jours. Aujourd'hui, entretien avec Olivier Faron, professeur des universités, administrateur général du CNAM.

LA TRIBUNE - Refonder le système éducatif : un voeu pieux ?

OLIVIER FARON - La formation ne doit pas se cantonner aux savoirs, mais doit embrasser plus large, aller vers le sensible et l'affectif. Le système français a cette particularité d'être fortement méritocratique, avec une pédagogie basée sur des rapports hiérarchiques. Pour combattre les effets d'anxiété liés à l'angoisse de résultat, il faut redonner toute sa place au bonheur à l'école, qui doit passer des salles de colloques à celles de classes.

Malheureusement, un certain nombre de potentialités des apprenants restent largement inexploitées. Comment un système fondé prioritairement sur les savoirs académiques, et majoritairement sur les sciences exactes, peut-il permettre de déceler d'autres talents, plus créatifs par exemple ? Quid des arts ? Des langues ? La reconnaissance de compétences informelles s'impose en outre comme un nouvel enjeu. Être capable de s'intégrer à, voire de diriger, un groupe ne s'apprend pas mais se vit. La culture de projet est l'un des moyens les plus efficients de reconnaître des compétences autres, ce qui s'avère une absolue nécessité pour des publics différents comme les réfugiés, venus en France sans véritable moyen de démontrer leurs aptitudes professionnelles.

Il faut donc raisonner avant tout en termes de point de sortie du système de formation, alors que la tradition privilégie la formation initiale. À la limite, le point d'entrée n'a que peu d'importance si l'on sait où l'on va et que l'on se donne les moyens de le faire. La formation tout au long de la vie s'impose comme une absolue nécessité pour tenir compte des caractéristiques des différents individus et de leurs capacités propres.

Le système de formation doit en définitive savoir concilier ambitions individuelle et collective. L'ambition motive un individu à réussir dans le parcours qu'il s'est choisi, quitte à le reprendre ou à le changer à un moment ou à un autre de son existence. L'ambition est aussi collective, car le projet d'une école donnée comme d'un système de formation national est de définir les bons niveaux de formation. On parle désormais de métiers « en tension » quand ils ne sont pas pourvus, ce qui revient le plus souvent à dire que les formations nécessaires n'existaient pas ou qu'elles étaient de taille trop réduite. Tout l'enjeu est là. Permettre à chacun de vivre l'école ou la formation comme les conditions d'un épanouissement personnel au service du bien commun.

Pour être réformée, l'école doit-elle être traitée comme une entreprise ?

Au risque de choquer, acceptons l'idée que l'école est une entreprise, mais bien sûr pas n'importe quelle entreprise. Une entreprise à but non lucratif, ou en tout cas dont les profits ne seraient pas capitalisables, mais plutôt immatériels. Pourtant, dépasser les oeillères idéologiques pour parler de l'école comme d'une entreprise a valeur heuristique. L'école est en effet une entreprise, quand on songe à l'importance des enjeux humains et financiers induits. Gérer l'école est aujourd'hui un problème de management extrêmement lourd et complexe, qui suppose un encadrement particulièrement compétent. Gérer l'école suppose en effet de maîtriser les termes eux-mêmes ardus d'une équation difficile : comment s'appuyer sur une carte scolaire, gage des bonnes redistributions des efforts ? Comment mieux reconnaître l'investissement des enseignants, insuffisamment pris en considération alors qu'ils font un travail formidable ? Comment réussir le passage névralgique bac - 3 - bac + 3 pour tous les publics ? Comment combattre le décrochage et les formes d'échecs ? Comment renouveler les méthodes pédagogiques ?

En définitive, l'école est probablement l'entreprise publique la plus lourde à gérer, ce qui suppose une attention toute particulière. Elle doit être irriguée par les nouveaux outils des politiques publiques : plus d'autonomie ; plus de responsabilisation des acteurs ; plus de synergie avec les zones d'action concernées. Et surtout, une mise en cohérence avec les autres politiques publiques proches : culturelle ; économique ; de développement international... Trop de silos continuent à avoir des effets délétères.

L'entreprise-école a une double mission : transmettre des valeurs à chaque futur concitoyen et contribuer au développement de l'économie et de la société. Vaste serpent de mer, cette dernière dimension est pourtant névralgique. Elle consiste à former aux métiers efficacement, ni trop tôt pour ne pas écarter une culture générale indispensable, ni trop tard pour éviter tout éloignement de la sphère du travail. Il s'agit bien d'une double responsabilité : celle de l'État, bien sûr, qui doit contribuer à faire connaître et donc accepter l'entreprise, mais l'entreprise elle-même ne peut se dédouaner de toute responsabilité. Elle a ainsi un rôle incontournable à jouer, par exemple pour le développement de l'apprentissage.

Alors oui, l'école peut être la meilleure des entreprises : celle où l'on apprend à créer, à porter des projets, à réussir pour soi et pour les autres. Mais cette belle utopie n'a de sens que si l'entreprise devient aussi école : en faisant le pari que les jeunes, tous les jeunes sans discrimination, peuvent en pousser les portes un jour pour y trouver leur place demain. Une nouvelle école, une nouvelle entreprise sont à portée de main si les enjeux finissent par l'emporter sur les postures.

Propos recueillis par Denis Lafay

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Liste des entretiens TOUT CHANGER !

  • DARWIN, PÈRE DE L'INNOVATION par Pascal Picq
  • RÉENCHANTER LA DÉMOCRATIE par Alain Touraine
  • RÉAPPRENDRE A OSER LE RISQUE par Nicolas Baverez
  • REPENSER L'ÉTAT par Michel Wieviorka
  • L'HEURE DE CHANGER DE CIVILISATION par Edgar Morin
  • L'ENTREPRISE LE PRISME PHILOSOPHIQUE par  Roger-Pol Droit
  • DU BONHEUR À L'ÉCOLE ! par Olivier Faron
  • LA LAÏCITÉ SANS CONDITIONS MÊME DANS L'ENTREPRISE par Abdénour Aïn-Saba
  • LA SOCIÉTÉ AU RÉVÉLATEUR DE LA JUSTICE par Eric Dupond-Moretti
  • PLAIDOYER POUR UNE NOUVELLE EUROPE par Jean+Maris Cavada
  • LES MÉDIAS, SYMPTÔMES DE LEUR ÉPOQUE par Dominique Wolton
  • LE PROGRÈS SCIENTIFIQUE, JUSQU'OÙ ? par Serge Guérin
  • LES VOIES VERS L'ACCOMPLISSEMENT DE SOI par Cynthia Fleury
  • AUX RACINES DE L'ACTE CRÉATEUR par Cédric Villani

FORUM TOUT CHANGER, LE 9 NOVEMBRE AU CONSERVATOIRE NATIONAL DES ARTS ET MÉTIERS DE PARIS, programme et inscriptions sur latribune.fr

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